Mon mari me bat dans les limites du normal

 | Par Juan Arias

Commencer à dire « non » à cette barbarie, c’est poser la première pierre pour construire une société de femmes et d’hommes libres.

Source : El Pais - 16/11/2015
Traduction pour Autres Brésils : Pascale Vigier
Relecture : Zita Fernandes

Manifestation de femmes à São Paulo / Roberto Parizotti : "Violent envers une, violent envers toutes"

Le Brésil vit un moment important de prise de conscience de certaines atrocités commises par la classe politique, qui jusqu’à hier paraissaient normales. Par exemple, le rejet, de la part des carioques [1], en particulier de la part des femmes, du jeune candidat à la mairie Pedro Paulo, qui a déjà frappé sa femme à plusieurs reprises, ce qu’il a d’abord nié, mais a fini par avouer. Et qu’il a justifié par un raisonnement ahurissant : « qui ne se dispute pas à la maison ? Qui ne perd pas sa maîtrise de soi ? Qui n’exagère pas lors d’une discussion ? Nous sommes un couple comme n’importe quel autre. À qui cela n’arrive-t-il pas ? Qui parfois ne perd son self- control ? »

Affirmer que la majeure partie des hommes mariés ne se contrôle plus au point de perdre la tête et d’en venir à battre sa femme est une offense envers les milliards d’hommes qui respectent leur femme, une provocation à l’égard des hommes pacifiques, de ceux qui n’ont jamais pratiqué de violence contre leur épouse ni contre aucune femme. C’est du mépris.

Certains hommes politiques, même parmi les plus en vue comme Eduardo Paes, maire de Rio de Janeiro [2], sont à tel point convaincus de leur autorité, que beaucoup de gens ont été surpris et d’autres scandalisés, lorsqu’il a affirmé que la violence, quand elle est perpétrée contre sa propre femme, appartient à la vie privée du couple.

Ainsi, son ami et protégé, Pedro Paulo, pourrait selon lui aspirer à gouverner une ville-symbole comme Rio bien qu’il ait frappé sa femme Alexandra à plusieurs reprises, puisque ce serait normal.

Selon la réaction pleine de bon sens de Miriam Leitão [3], dans O Globo, « l’agression contre la femme n’est pas un problème personnel. C’est, en fait et en droit, un crime et, par conséquent, un phénomène d’intérêt collectif ». Et elle ajoute que considérer l’agression de la part du mari envers sa femme comme un fait qui devrait rester entre quatre murs « est une attitude révélatrice du mépris à l’égard de la femme, sa cause et son combat ».

Si quoi que ce soit de positif a surgi de cette affaire, alors que le pays traverse une crise de confiance envers ses dirigeants, c’est la force que la société est en train de conquérir au moment de décider de la vie publique.

Ce que le jeune Pedro Paulo aurait de mieux à faire serait de renoncer à sa candidature, malgré l’importance de l’appui qu’il pourrait avoir dans son parti, puisque j’ai lu que les carioques – à commencer par les femmes carioques - se sont d’ores et déjà fait leur opinion. Or ce sont eux qui votent.

Si le récent mouvement de prise de conscience de leur dignité et liberté propres, qui a surgi parmi les brésiliennes, continue à progresser, beaucoup de choses pourront, sans aucun doute, commencer à changer.

Les hommes politiques habitués, par exemple, à tourner en dérision ceux qui exigent d’eux de la dignité au parlement, sachant qu’ils peuvent être élus en s’appuyant sur le poids de leur parti, sur leur argent, souvent fruit de la corruption et en achetant les votes des électeurs les moins alphabétisés, pourraient désormais avoir la vie moins facile.

Les femmes, quant à elles, qui sont en train de s’éveiller et de prendre conscience de leurs droits et même du fait qu’elles sont majoritaires, et qui se refusent à être considérées comme un objet que les hommes peuvent traiter comme bon leur semble, doivent être aujourd’hui les premières à opposer un « ça suffit » à des affirmations telles que celle qui consiste à qualifier comme étant d’ordre domestique la violence exercée par les maris.

Un maire comme Paes joue un rôle exécrable pour la démocratie politique, lui qui considère normal qu’un mari frappe sa femme du moment que cela se passe en privé. De la même manière, l’épouse du candidat, Alexandra, insulte les femmes en affirmant que son mari l’a agressée seulement deux fois mais qu’il ne s’agit pas d’un homme violent. Cela, bien qu’il lui ait arraché une dent à la suite des coups donnés devant sa fille Manuela âgée de 10 ans.

Cela me rappelle une espagnole qui, après avoir été agressée physiquement par son mari chez elle, lorsque la police lui a demandé s’il la frappait beaucoup, a répondu : « mon mari me bat dans les limites du normal ».

À l’intérieur de ce « normal » se cachent, comme une tumeur dans l’âme, des siècles de soumission de la femme au mari, des peurs ancestrales, et une conviction secrète, parfois confortée par la religion même, qui exige de la femme, devant l’autel, « obéissance totale à son mari ». Commencer à dire « non » à cette barbarie, c’est poser la première pierre pour construire une société de femmes et d’hommes libres, avec tout ce que cela implique de respect des différences.

Notes de la traduction

[1Carioca  : Habitant de Rio de Janeiro.

[2Eduardo Paes est maire de Rio de Janeiro depuis 2009.

[3Journaliste et économiste.

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