Malgré son caractère nouveau, il est possible de relever quelques éléments composant ce tableau. Le plus cité est l’impact des actions du gouvernement. « Bien qu’il y ait toujours eu sous d’autres gouvernements des projets sociaux, ces derniers ont toujours été non seulement fragmentés, mais minimes et sans profil défini. Sous le gouvernement Lula, il y a eu une politique sociale, les couches populaires ont vu l’Etat travailler avec elles et pour elles », analysait le professeur de l’Université de São Paulo Marilena Chauí lors du débat promu par le Syndicat des Employés de Banque. Selon les données de l’enquête « Misère, Inégalité et Stabilité : Le Second Real », basée sur l’Enquête Nationale d’Echantillon par Domicile, le pourcentage de la population en situation de misère a chuté entre 2003 et 2005 de 28,2% à 22,7%.
Mais le phénomène s’étendrait-il à des domaines autres que l’élection présidentielle ? Pour le sociologue et chroniqueur de Carta Maior Emir Sader, la bonne performance de Lula ne parvient pas à se traduire dans les candidatures liées au président qui concourent aux gouvernements d’états en position d’opposition. « On ne peut pas comparer avec les candidats au niveau de chaque Etat, car ce sont des promesses [les candidatures]. La force de Lula n’est pas dans les arguments, mais dans les politiques sociales concrètes, car dans une bataille mot contre mot, c’est la droite qui gagne ; et il n’y a pas eu de candidature régionale qui se serait opposée au consensus existant alors que lui [Lula] a mené à bien des politiques concrètes. Ce n’est pas par un discours politique fort et vigoureux que l’on s’oppose au lobby des médias », analyse-t-il. Selon le sociologue, les médias continuent à promouvoir l’idéologie libérale et maintiennent leur influence sur la population, mais ne parviennent pas à avoir une incidence sur la formation du vote, formation qui dans le cas de Lula cesse d’être « idéologique » pour devenir « sociale ».
La perte d’influence des médias dans le cas Lula ne signifie pas l’altération du rôle des moyens de communication dans la construction des valeurs et de l’agenda public, reconnaît Flavia Biroli, professeur de Science Politique à l’UnB. « Les médias rendent visibles les phénomènes sociaux, les événements et les acteurs qui composent ce que nous appelons l’actualité, qui, dans notre système politique, la démocratie, tire essentiellement son existence de cette visibilité, et dépend donc des médias en tant qu’espace par lequel la politique devient visible », argumente-t-elle. Un exemple de cela, ajoute Venício Lima, est le fait que le scénario électoral indique la reconduction d’une majorité conservatrice dans la dispute pour les gouvernements de chaque Etat. Ce groupe dirigeant, et ce n’est pas un hasard, entretient un lien direct (et indirect) avec les propriétaires des réseaux de télévision, radio et journaux dans les Etats. Roseana Sarney (PFL), dont la famille détient la filiale de la Rede Globo dans le Maranhão, et Paulo Souto (PFL), lié au groupe de Antônio Carlos Magalhães, qui possède également la filiale de la Globo dans l’Etat de Bahia, en plus de journaux et radios, en constituent de nets exemples.
Le traitement journalistique du cas du « dossier » -l’emprisonnement de membres du PT tentant d’acheter un dossier contenant des informations sur une supposée implication de José Serra dans la « mafia des sangsues »- se conforme également à ce schéma, selon Venício Lima. « Il y a là une unanimité médiatique jamais vue. Dans les grands médias, ce qui domine tant l’édition des sujets que les chroniques d’opinion et la mise en page, c’est la condamnation du gouvernement et du candidat, sans le moindre contrepoint. C’est une présomption de culpabilité (expression qui s’oppose au droit constitutionnel à la ’présomption d’innocence’) ».
La question du traitement du cas du « dossier » était le thème de la chronique dominicale du médiateur de la Folha de S. Paulo, Marcelo Beraba, dimanche 24 septembre dernier. Selon lui, le choix de l’éclairage prioritaire de l’achat du fameux dossier au détriment de son contenu -"était le choix correct et se justifie par des critères journalistiques", particulièrement par la prise en flagrant délit impliquant des membres du comité de campagne présidentielle pétiste, mais aussi une coquette somme de 1,7 million de réais, et des indices de participation de certains canaux de communication, le tout à la veille des élections. « Le fait de considérer la conspiration pour l’obtention du dossier plus importante que le dossier lui-même ne signifie pas que l’on approuve le peu d’empressement des journaux à enquêter sur les dénonciations contre Serra et Barjas Negri. Le traitement d’une information n’annule pas celui d’une autre. Les journaux disposent de suffisamment de professionnels et d’espace pour suivre deux enquêtes simultanées. Cela ne veut pas dire qu’elles doivent avoir le même poids dans l’édition, mais il devrait y avoir de la place pour les deux », a-t-il tempéré.
Pour le professeur Venício Lima, un changement de ce cadre paraît lointain : avec la condamnation unanime du gouvernement vient aussi la critique a priori de toute tentative de constituer un système de médias nationaux pluriel et démocratique, qui signifierait une perte de pouvoir pour le club restreint et concentré des groupes détenant le contrôle des moyens de communication du pays.
Par Jonas Valente - Carta Maior - 25/09/2006
Traduction de Caroline Sordia pour Autres Brésils