Marcelo Evelin ou la danse comme processus d’inclusion

 | Par As Noticias de hoje, Piaui Hoje

Rédaction et adaptation : Marie-Hélène Bernadet et Pascale Vigier pour Autres Brésils

Invité par la chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues dans le cadre du Festival d’Automne à Paris au mois de septembre dernier, le chorégraphe et danseur Marcelo Evelin, seul sur scène à soixante ans, a présenté sa pièce Ai, Ai, Ai, créée à l’origine il y a déjà 26 ans. Ce spectacle, dont le titre est inspiré d’une chanson de la célèbre chanteuse brésilienne des années 30, Carmem Miranda, navigue entre présent et mémoire avec, comme base d’interprétation, le seul corps dansant d’Evelin. Le spectateur est invité à partir à la découverte des racines brésiliennes du chorégraphe qui, longtemps éloigné de son pays, retrace son parcours de façon poétique.

Dans un entretien accordé au site d’informations brésilien As noticias de hoje [1], Marcelo Evelin souligne l’importance de l’art en tant qu’espace rendant possible « la création d’une pensée pour un monde nouveau, un monde meilleur, un monde inclusif ».
Par ailleurs, il évoque son expérience de présenter le solo de Ai, Ai, Ai sur scène 26 ans après l’original et parle « d’une double confrontation avec le passé ». Evelin se dit très satisfait de pouvoir revenir à ce solo « revisité » qui reprend non seulement ses souvenirs d’enfance, mais également la mémoire du temps écoulé. Selon lui, les choses ne se détériorent pas énormément avec le temps, elles demeurent en quelque sorte intactes, indépendamment de l’évolution personnelle de l’individu.

La question du genre

Il y a presque 30 ans, le solo Ai, Ai, Ai soulignait déjà la question du genre, aujourd’hui si actuelle.

« C’était important pour moi. J’étais à New York avec toute cette mouvance Drag Queen, avec le mouvement gay qui se produisait là avec importance. Il est vrai qu’aujourd’hui ceci est plus à la mode et qu’on en parle davantage, mais à l’époque on en parlait peu, on en discutait peu », se souvient Marcelo.

Ce monde nouveau auquel il aspire est représenté sur scène par ses personnages dansés qui se transforment sans transition entre homme et femme et évoquent une quête d’identité, homme sauvage-homme urbanisé, personnages tournoyant comme par enchantement, femme accablée sous le poids des tâches, douleur de l’exilé-bonheur du souvenir de la terre natale dont la musique soudain retentit comme un souffle bienheureux, ou bien tout autre image surgie de la sensibilité propre au spectateur.

Selon l’entretien accordé à Piauí Hoje [2] à propos du documentaire Destrave [3], Marcelo assure que sa façon de travailler se développe à partir de questions d’actualité, aux formes changeantes, en transformation. « J’ai travaillé avec des personnes dans des lieux du monde divers, ce qui me nourrit et me fait aller de l’avant ».
Márcia Evelin, professeure, conteuse d’histoires et sœur de Marcelo, commente sa fascination envers les procédés de création de son frère : « Ceux-ci sont intenses, il se transpose vers le spectacle qu’il monte ». D’après Regina Veloso, directrice de production [du documentaire], le travail de Marcelo parvient à remuer les fondements et ne laisse pas intact celui qui agit, collabore ou assiste à ses spectacles. En effet, même s’il est déconcerté au premier abord, le spectateur se sent très vite pris par les émotions, les sentiments, les évocations personnelles qui peuvent le saisir et n’en sort pas indemne. De plus, le “Ai, Ai, Ai” final reste comme en suspens : cri de douleur, cri de rébellion...Allons-nous vers ce monde nouveau ?

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Demolition Incorporada

Ai, Ai, Ai n’est pas seulement un spectacle, c’est également le point de départ de la plateforme de création Demolition Incorporada, lancée par Marcelo Evelin à New York en 1995 en collaboration avec d’autres artistes. Ce concept artistique unique a surgi de la volonté affirmée du chorégraphe de ne pas enfermer le processus de création dans des modèles préétablis, rejetant par exemple l’idée d’ouvrir sa propre compagnie de danse. Ainsi, une des caractéristiques originales de Demolition Incorporada est de faire participer des artistes et des collaborateurs de différents horizons, dans un lieu ouvert et mobile privilégiant une démarche de création et d’existence horizontale et interdisciplinaire. En portugais du Brésil, le mot « incorporada » peut être directement lié au corps et au fait de « devenir un corps » mais se réfère également à la tradition afro-brésilienne de caractère ritualiste et populaire.

A partir de 2006, date qui marque le retour de Marcelo Evelin au Brésil, la plateforme Demolition Incorporada trouve sa nouvelle base à Teresina, devenant ainsi une passerelle artistique entre la terre natale du chorégraphe et le reste du monde. Un tournant décisif dans la carrière du chorégraphe, dont le travail se concentre alors davantage sur le social, le politique et le collectif : « J’ai choisi Teresina parce que c’est ma ville natale mais aussi parce que c’est un lieu abandonné, presque méprisé, y compris au Brésil », explique Marcelo Evelin à la journaliste Laura Kelly dans As noticias de hoje. « J’ai commencé à me situer dans le monde par rapport à cette précarité, dont je me suis ensuite servi comme d’un levier pour mon travail. Actuellement, le Brésil vit un moment très difficile, surtout politiquement, et je trouve important de persister dans cette voie de création d’un espace où l’art aurait la possibilité de produire une pensée pour un monde nouveau, un monde meilleur. J’espère que nous aurons bientôt un nouveau Brésil plus ouvert, plus inclusif, plus égalitaire et plus heureux », conclut-il.


Né à Teresina (capitale de l’Etat du Piauí), au Brésil, Marcelo Evelin est chorégraphe, performeur et chercheur. Il vit et travaille entre Amsterdam et sa ville natale. Il se forme à Paris puis étudie à la School for New Dance Development d’Amsterdam. En 1988, il rejoint, en tant qu’apprenti, le Tanz Theater Wuppertal, dirigé par Pina Bausch. A partir de 1989, il développe ses propres pièces chorégraphiques où se mêlent danse, théâtre physique, performance, musique, vidéo, installation et création in situ. En 2003, il commence la création d’une trilogie inspirée du roman Os Sertões de l’auteur brésilien Euclides da Cunha. En découlent Sertão (2003), Bull Dancing (2006) et Matadouro (2010). Ces pièces sont suivies par De repente fica tudo preto de gente (2012), d’après Masse et Puissance d’Elias Canetti, et Batucada (2014). En 2019, A Invenção da Maldade (spectacle présenté au Festival d’Automne à Paris) est l’occasion pour Marcelo Evelin de mettre en scène l’Homme nu et sauvage au cœur d’une invocation tribale.

Voir en ligne : Corégrafo Marcelo Evelin defende "o lugar da arte Como possibilidade de gerar um mundo mais inclusivo” et Documentário inédito sobre Marcelo Evelin é exibido pela Balada Literária

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