Je lance un appel à toutes celles et à tous ceux qui savent ce que pourrait signifier un coup d’Etat policier-militaire, mené par des forces fascistes. Les signaux sont alarmants, ostensibles et en constante augmentation. Aujourd’hui, 2 juin 2020, le vice-président s’est fendu d’un article absurde et menaçant dans l’Estadão [1]. Aras [2], même s’il s’est corrigé par la suite, a déclaré à Bial [3] que les Forces Armées pourraient intervenir, si “certaines forces tentaient d’empiéter sur les plates-bandes du voisin”, en une allusion clairement critique au Tribunal Suprême Fédéral. Ives Gandra est déjà prêt à écrire la justification “constitutionnelle” du coup d’Etat. Les généraux n’ont jamais manqué de juristes ; Le capitaine n’en manquera pas non plus. Eduardo Bolsonaro l’a confirmé : la rupture est décidée, reste à attendre l’opportunité. Le président a survolé une manifestation contre le Tribunal Suprême Fédéral et le Congrès au côté du ministre de la Défense. Y-a-t-il encore besoin d’un dessin ?
Pendant ce temps-là, de ce côté-ci, on s’excite avec des manifestes proclamant l’union pour la démocratie. On s’interroge sur les intentions et les origines. On ne veut pas être utilisés par des adversaires qui tentent de se racheter des erreurs passées. Bref, ils ont perdu toute connexion avec la réalité. Les flammes leur lèchent déjà les pieds. Réveillez-vous, bon sang !
Dans cette conjoncture, des mouvements sociaux sont en train de préparer des manifestations pour dimanche (le 7 juin). Alors voilà mon appel. Camarades, ne voyez-vous donc pas que Bolsonaro vous tend un piège ? Vous pensez pouvoir empêcher des infiltrés de jouer les casseurs ? Vous ne le pourrez pas. Ne sous-estimez pas les fascistes. La P2 [4] a déjà fait ça, pourquoi ne recommencerait-elle pas maintenant ? Les agitateurs fascistes sont des professionnels de la destruction. Ils savent comment gérer ce que les bolsonaristes et la presse appelleront le “chaos”, ils savent comment arranger les scènes que la presse aime tant qualifier de “vandalisme”.
Si vous descendez dans les rues, même si vous êtes bien organisés, vous n’arriverez pas à empêcher les provocateurs de faire ce dont Bolsonaro rêve depuis qu’il a pris le pouvoir. Si vous descendez dans les rues, et j’adorerais que vous y alliez et dans des conditions normales, j’y serai avec vous, mais là, non seulement vous allez favoriser la propagation du virus dans nos groupes, comme vous allez offrir aux fascistes l’opportunité qu’ils attendent, désespérément, et qu’ils n’ont eu de cesse d’encourager systématiquement.
Si cela devait arriver, dimanche prochain au soir, Bolsonaro annoncera à la télévision et à la radio que pour défendre la loi et l’ordre et la “démocratie”, il enverra dès le lendemain, une requête au Congrès pour décréter l’état de siège. En l’absence de réaction, le “pouvoir modérateur” des forces Armées s’imposera, parce qu’en fin de compte, “le Brésil au-dessus de tous, Dieu au-dessus de tout”. Des interventionnistes, avec l’appui des polices d’états, prendront le pouvoir dans les différents Etats du pays. À la place du Tribunal Suprême Fédéral, un tribunal d’exception sera nommé.
Au cours de cette nuit aussi ténébreuse que prévisible, les leaders des organisations sociales et politiques non-alignées au fascisme seront la cible de différents types d’action. Je préfère ne pas les décrire ici. Car alors ceux qui, à gauche, ont pris pour habitude de snober la “démocratie formelle” et la “Constitution qui n’est jamais arrivée aux classes populaires ou aux territoires vulnérables”, vont enfin comprendre qu’au Brésil, le régime politique, la fameuse démocratie, aussi limitée et précaire soit-elle, fait bien oui, toute la différence.
Vous pensez que j’exagère ? Que je suis paranoïaque ? Que je n’ai pas supporté la quarantaine ? Pourvu que vous ayez raison. Quoiqu’il en soit, je crois qu’il est aujourd’hui du devoir de tous et de toutes, et plus spécialement des leaders, d’alerter et d’expliquer avec force détails, ce qui est en jeu et quels sont les risques à organiser des manifestations en ce moment. Chercher la confrontation n’a de sens que si le rapport des forces en présence le permet, sinon, nous nous exposons à subir une défaite historique, un bain de sang, un coup d’Etat. À moins que nos camarades n’aient la certitude d’arriver à bloquer les casseurs et les provocateurs au service du fascisme. Mais qui peut avoir cette certitude ? Quel leader responsable dispose d’une telle certitude ?