Lula ! Écoute les personnes non-humaines Au Brésil, la Nature s’invite au Palais du Planalto

 | Par Sumaúma

Dans la troisième partie de la série ’La nature s’invite au Palais du Planalto’, SUMAÚMA fait entendre les voix qui ne sont jamais écoutées, mais qui sont les plus touchés par l’action de l’espèce dominante.

Recherche, enquête et texte des déclarations : Talita Bedinelli
Traduction et relecture pour Autres Brésils : Philippe ALDON et Du DUFFLES

Autres Brésils propose une traduction par semaine, choisie par l’équipe éditoriale de Sumaúma. Pour mieux connaître Sumaúma voir en fin d’article

Les plantes, les oiseaux, les mammifères, les reptiles, les amphibiens, les poissons, les champignons, les insectes, toutes les personnes non-humaines [1] que nous divisons en catégories biologiques ne sont jamais entendus. Non parce qu’ils n’ont pas de voix, mais parce que nous ne comprenons pas leur voix. La conversation dans la forêt amazonienne est intense, tout comme dans d’autres enclaves de la nature. Mais nous ne sommes pas en mesure de la rejoindre. De même, l’hégémonie de la pensée occidentale, qui place l’homme au centre, hiérarchiquement supérieur à toutes les autres personnes qui habitent la planète-maison, fait qu’elles sont considérées et traitées comme des espèces inférieures, à la disposition des besoins et des circonstances humaines. Et ces besoins et circonstances, à leur tour, sont déterminés par la même minorité mondiale dominante qui a causé et continue de causer la crise climatique.

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Ce phénomène brutal s’appelle le spécisme, le racisme commis à l’encontre des autres espèces. Dans le monde contemporain, le spécisme permet l’holocauste quotidien des bœufs, poulets, porcs et autres animaux, vies fabriquées à grande échelle pour l’esclavage et la mort et nourries en grande partie avec le soja qui dévaste la forêt. Dans cette troisième partie de la série ’La nature s’invite au Palais du Planalto’(Natureza no Planalto), SUMAÚMA fait entendre la voix de certains des habitants non-humains de la forêt.

"Comment ?" peut se demander le lecteur.

De la même manière que nous soutenons qu’au XXIe siècle, une démocratie ne peut être complète que si elle englobe les droits de la nature et des peuples-nature. La nouvelle démocratie, pour être ainsi considérée, doit également inclure les personnes non-humaines, ce qui peut et doit se faire avec des porte-parole ou des défenseurs prévus pour les représenter dans toutes les instances, du parlement au pouvoir judiciaire.

C’est ce que fait SUMAÚMA ici.

Comme nous ne sommes pas en mesure de comprendre ces voix, nous avons invité des scientifiques reconnus dans leur domaine à représenter leur espèce d’étude auprès du Président élu Luiz Inácio Lula da Silva. Les femmes et les hommes de science parlent ici au nom des non humain.es. Le choix du terme "humain.es " au lieu de "humains " est une prémisse de SUMAÚMA. Avec délicatesse et attention, nous cherchons à initier nos lecteurs au langage inclusif, celui qui accepte aussi celles et ceux qui ne s’identifient pas aux genres donnés. Cela n’a aucun sens d’imposer le genre masculin ou féminin, des constructions culturelles, à d’autres espèces. Surtout à un moment où la nôtre, l’espèce humaine, tente d’avancer dans la lutte légitime pour la défense des minorités.

Le journalisme de SUMAÚMA est un journalisme de transformation, qui cherche à intervenir dans la langue comme un outil pour créer une communauté animée par les principes d’égalité et de respect des différences. Ce travail est le résultat de cet effort. Il contemple les prémisses fondamentales du manifeste de création de SUMAÚMA [2]

Ainsi, Président élu Lula, au nom des personnes non-humaines d’Amazonie, nous vous invitons à les écouter et à intégrer la voix de ces populations dans votre gouvernement. Après tout, ce sont elles qui sont les plus touchées par les projets gouvernementaux. Elles font partie de la forêt, certaines de ces espèces ont contribué à planter ce que nous appelons aujourd’hui l’Amazonie, et toutes ont une fonction qui, en échange avec d’autres êtres, maintiennent l’écosystème en vie et régulent par ailleurs le climat de la planète.

Zogue-zogue de Alta Floresta. Photo : Francielly Reis

Zogue-zogue de Alta Floresta

Un petit primate à peine découvert et déjà en danger d’extinction

Je m’appelle Jean Boubli, je suis primatologue et professeur à l’Université de Salford au Royaume-Uni. Je représente ici une espèce de singe que j’ai récemment découverte dans la région du biome amazonien du Mato Grosso. Il a été nommé Zogue-zogue de Alta Floresta. Ce petit primate d’environ 2 kilos, à la queue noire, au dos brun et au ventre bien rouge, vient à peine d’être découvert qu’il est déjà menacé d’extinction. L’environnement où il vit est très fragmenté par la déforestation. En son nom, Président élu Lula, je demande que la destruction de la forêt soit arrêtée immédiatement. Et que davantage de zones de conservation soient créées dans les régions soumises à la pression de l’agronégoce, comme celle où il vit.

Alta Floresta est une municipalité du nord du Mato Grosso, à la frontière avec le Pará. Lorsque nous observons cette région sur les cartes satellite de Google, la ville ressemble à un échiquier : les petits carrés de forêt et les petits carrés de pâturage sont parfaitement placés. Et ce petit singe était là. Il a été trouvé lors d’une expédition de mon collègue Rogério Rossi, de l’Université fédérale du Mato Grosso, qui dressait un inventaire des espèces dans la région. N’étant pas primatologue, il m’a montré le nouveau primate collecté. J’ai immédiatement remarqué qu’il s’agissait d’un zogue-zogue, différent de ceux que nous connaissions. Son espèce sœur est le zogue-zogue du Pará, mais nos analyses génétiques ont montré qu’ils se sont séparés il y a plus d’un million d’années. Il vit dans une zone d’endémisme - c’est ainsi que l’on appelle les régions où l’on trouve des espèces qui n’existent que là - entre deux rivières, la Teles Pires et la Juruena, qui sont les sources du Tapajós. Le fait qu’il habite une zone d’endémisme est une preuve supplémentaire que nous avons affaire à une espèce unique.

Nous ne savons toujours pas combien il y a de ces singes. Je me rends maintenant au Mato Grosso pour effectuer la première expédition de reconnaissance dans la région et proposer un dispositif de suivi. Nous allons essayer de déterminer combien il y a de zogues, de cartographier les fragments de forêt qui existent encore et de commencer à effectuer un suivi de cette population. Mais ce que nous savons déjà, c’est que 42% de cette zone a déjà été détruite, convertie en pâturages. Et l’un des moyens d’attester de l’état de conservation d’une espèce est précisément l’analyse de son habitat. Car si la maison disparaît, il est évident que la population qui s’y trouvait disparaît avec elle.

L’Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources (UICN), qui a créé le plus grand catalogue de conservation des espèces au monde, la liste rouge des espèces menacées, dispose d’un critère qui permet de prédire l’avenir de chacune d’entre elles. Il est nécessaire d’estimer comment sera l’habitat dans trois générations. Dans le cas du zogue, nous avons calculé que ce sera en 2042. Nous avons ensuite fait une projection, basée sur le taux actuel de déforestation, selon laquelle 86% de son habitat sera perdu au cours de ces 20 années si rien n’est changé. Presque tout aura disparu. Cela signifie qu’il est en danger critique d’extinction.

L’Institut Chico Mendes pour la conservation de la biodiversité (ICMBio) n’a pas encore validé le fait que le zogue de Alta Floresta soit en danger critique d’extinction. Mais ce que nous avons subi pendant les quatre années du gouvernement Bolsonaro montre que le risque est réel. Et nous parlons d’une seule espèce. Imaginez toutes les autres qui existent dans cette même zone d’endémisme, des espèces qui disparaîtront avant que nous ne le sachions.

Nous avons espoir, Président élu Lula, que vous reconnaîtrez le risque imminent et que vous ferez quelque chose pour empêcher la mort d’une espèce entière. Tout d’abord, le zogue-zogue doit cesser de perdre son habitat, car il n’y a presque plus rien. Ensuite, un programme permettant de mieux relier les fragments de forêt qui existent encore doit être mis en place, car ils ne peuvent pas vivre sur des îlots isolés de forêt. De nouvelles zones de conservation, comme les parcs nationaux et les réserves écologiques, qui sont axées sur la protection des espèces, doivent également être créées.

Cette région du Mato Grosso est vraiment délaissée sur le plan environnemental. Les zones protégées créées par les gouvernements du PT sont plus concentrées dans d’autres régions. Dans cette région du Mato Grosso, dominée par l’agronégoce, la protection de la forêt et de ses habitants, humains et non humains, a connu de nombreux échecs. Plus il y a de zones de conservation, mieux c’est, mais il faut du courage pour les créer, même là où il y a de puissants intérêts économiques, comme dans cette région d’élevage de bétail située dans l’arc de la déforestation.

Champignon phosphorescent (Mycena cristinae). Photo : Julia Simons

Champignons inconnus de l’Amazonie

La destruction est peut-être en train de décimer des êtres dont nous ignorons l’existence.

Je m’appelle Noemia Ishikawa, je suis mycologue à l’Institut national de recherche amazonienne (INPA) et je prête ma voix aux espèces de champignons amazoniens encore inconnues. On estime que la science ne connaît, à l’heure actuelle, que 10% des types de champignons qui existent sur la planète. Et l’on pense qu’une grande partie des 90% qui n’ont pas encore été catalogués se trouvent en Amazonie. En leur nom, je demande au Président Lula d’arrêter avec la destruction de la forêt [3]]], qui est peut-être en train de décimer des êtres dont nous ignorons l’existence. Et qu’il investisse dans la science pour que nous puissions progresser dans la découverte de ces espèces.

Les champignons ont évolué pendant plus d’un milliard d’années et sont des organismes extrêmement importants, produisant des centaines de milliers de composts qui pourraient être la solution à de nombreuses maladies. Un seul compost, la pénicilline, a augmenté la survie de l’humanité de 23 ans. Ils sont essentiels à la forêt, assurent le cycle des nutriments et constituent la nourriture de nombreux insectes, arthropodes, humains et autres organismes. À l’intérieur de chaque arbre, des champignons effectuent un travail de défense, en maintenant les plantes en bonne santé. Ils sont également essentiels pour leur nutrition et leur communication dans le sol amazonien, qui est pauvre en nutriments. Sans le travail silencieux et discret des champignons, nous n’aurions pas la forêt exubérante. Ils ont des couleurs, des tailles, des formes et des stratégies de reproduction différentes. Président élu Lula, les champignons sont des œuvres d’art de la nature.

Lorsque nous voyons des images d’incendies en Amazonie, nous nous lamentons toujours sur les arbres et les animaux qui meurent, mais personne ne s’émeut d’une espèce de champignon qui peut disparaître. Dans un seul feu de forêt, nous en perdons une quantité incalculable. Des études estiment qu’il existe aujourd’hui 3,8 millions d’espèces de champignons dans le monde. Et nous n’en connaissons qu’une toute petite partie. C’est ici, en Amazonie, que nous avons le plus de chances de trouver ces nouvelles espèces. Dans de petites parcelles de forêt, nous voyons des dizaines d’espèces de champignons. Rien qu’au cours des dix dernières années, notre équipe en a répertorié 30 nouvelles et en étudie actuellement 20 autres. Mais c’est très peu comparé aux millions que nous pouvons découvrir. En détruisant la forêt, nous perdons ce dont nous ignorons l’existence. Ça constitue un crime incommensurable que d’éteindre une vie qui a évolué pendant des milliers d’années avant même que nous ne la connaissions.

Non seulement le nouveau gouvernement doit mettre fin à la destruction de la forêt, mais il doit aussi envoyer d’avantage des chercheurs en Amazonie pour étudier et mieux connaître la biodiversité existante. Nous devons embaucher davantage de mycologues, de généticiens, d’écologistes et de nombreux autres professionnels déjà formés dans le pays qu’ils quittent parce qu’ils ne trouvent pas d’emploi au Brésil. Nous devons également investir davantage dans l’enseignement post-universitaires afin de former davantage de maîtres et de docteurs en champignons. Nous avons besoin de plus d’argent pour les projets d’expédition - et plus d’argent pour la recherche et l’entretien des collections dans nos instituts. Aujourd’hui, en ce qui concerne la technologie, nous sommes très dépendants des pays étrangers pour faire du séquençage moléculaire et génomique, par exemple. Président élu Lula, je demande, au nom des champignons connus et inconnus, que l’objectif de votre gouvernement soit de garantir aux scientifiques brésiliens l’autonomie nécessaire pour mener à bien leurs recherches en Amazonie.

Acari-jaune. Photo : Leandro Sousa

Acari-jaune et acari-zèbre

Suite au projet de construction de la centrale de Belo Monte, les poissons agonisent sur les rives du fleuve Xingu, dans l’État du Pará.

Je suis Jansen Zuanon, un biologiste spécialisé dans l’écologie des poissons de l’Amazonie, et je représente ici l’acari-jaune. Lorsqu’il est jeune, ce poisson attire l’attention par ses nageoires au bord jaune vif et par les taches réparties sur tout le corps. Il subit une véritable extermination dans une partie de son habitat, la région de Volta Grande, sur le fleuve Xingu (Pará), où a été installée la centrale hydroélectrique de Belo Monte. Je parle également au nom de l’acari-zèbre, un poisson aux rayures noires et blanches qui n’existe que dans cette même région et qui est en danger d’extinction. En leur nom et au nom des autres poissons affectés par Belo Monte, je demande que le Président Lula écoute les scientifiques, les populations autochtones et les communautés traditionnelles riveraines, pour que des habitats adaptés à ces non-humains continuent d’exister et que des projets destructeurs comme Belo Monte ne soient plus jamais entrepris en Amazonie.

Lire aussi Davi Kopenawa : le terme « changement climatique » signifie « vengeance de la Terre ». Une interview du leader politique autochtone pour Sumaúma

La construction du barrage hydroélectrique a fait qu’une grande partie des rapides de la rivière, où vivent ces poissons, a été inondée en permanence par le réservoir du barrage. Dans cette zone, l’eau a commencé à s’écouler plus lentement et, de ce fait, des sédiments plus fins, qui auraient auparavant été transportés par le courant, s’accumulent maintenant sur les rochers, étouffant les algues et les petits animaux qui servent de nourriture aux poissons et enterrant les terriers qui leur servent de maison et de frayère.

Le ralentissement du courant a également entraîné une augmentation de la température de l’eau et une diminution de l’oxygène, ce qui a causé de terribles dommages aux crotales jaunes. Ils sont habitués à ces eaux rapides, avec beaucoup d’oxygène. Sans cela, ils tombent malades. Lors d’une récente visite à Volta Grande do Xingu, j’ai été confronté à un scène terrible : les acaris-jaunes étaient en train de mourir. C’est une mort par agonie et torture.

Dans une autre partie du fleuve, d’où l’eau est détournée vers les turbines de Belo Monte, la variation imprévisible du niveau de l’eau cause des dommages extrêmes aux poissons. La quantité d’eau qui s’écoule dans la rivière est désormais déterminée par le robinet et les priorités de la centrale électrique - et non par les intérêts et les besoins des personnes humaines et non humaines qui habitent la Volta Grande do Xingu. Lorsque la demande d’électricité diminue, la centrale libère soudainement beaucoup d’eau. Quand il y a besoin de plus d’énergie, au contraire, elle avale une énormité d’eau de la rivière. Il n’y a pas de rythme, pas de temporalité, et ces poissons dépendent de ces indices de la nature, puisqu’ils ont évolué pendant des millénaires dans un système prévisible.

Le début de la crue indique aux poissons qu’il est temps de se reproduire, et la poursuite de la crue inonde les igapós où ils se nourrissent et grandissent. Mais maintenant, c’est inondé et asséché, inondé et asséché, et les poissons deviennent fous. Sebastião Bezerra Lima, résident de Ilha do Amor et chercheur participant à la surveillance environnementale territoriale indépendante de la Volta Grande do Xingu, a déclaré que les poissons sont devenus des illettrés de la rivière, ils ne savent plus la lire ni comment réagir. Ils vivent dans une situation de stress permanent.

La baisse soudaine du niveau de l’eau fait également de l’acari- zèbre, très recherché par le marché illégal des poissons d’ornement, une proie facile. Il n’a nulle part où aller et finit par être capturé. Il est transporté du Xingu à la frontière colombienne, puis introduit clandestinement dans d’autres pays. Les curimatãs et les pacus, espèces très importantes dans la région, souffrent également beaucoup. La quantité de poissons a diminué et met les populations humaines traditionnelles de la Volta Grande en danger d’insécurité alimentaire. Il y a une pénurie de poisson dans les assiettes et sur les marchés des villes de la région.

La rivière doit retrouver son rythme d’antan. Pour l’instant, il ne semble pas possible d’inverser complètement les effets du détournement des eaux vers la centrale, car cela signifierait qu’il faudrait arrêter de détourner l’eau vers les turbines et cesser de produire de l’énergie. Mais il est possible de réduire les impacts en veillant à ce que la répartition des eaux entre la Volta Grande do Xingu et le barrage permette aux cycles naturels de crue et de reflux de se reproduire au bon moment, pendant la durée nécessaire, et que la quantité d’eau soit suffisante pour inonder les piracemas (frayères pour les poissons) et les igapós où ils se nourrissent. Cela augmente les chances que le poisson continue à exister, à se reproduire, à vivre. Nous avons une proposition claire sur la manière de le faire, il suffit que le gouvernement l’écoute. Lula, parle aux scientifiques et aux populations traditionnelles de la Volta Grande !

Jacamim à dos noir. Photo : Pilar Louisy Maia Braga

Jacamim-à-dos-noir

Un oiseau qui dépend de la santé de la forêt et qui vit dans l’arc de la déforestation.

Je m’appelle Camila Ribas, je suis chercheuse à l’Institut national de recherche amazonienne (INPA) et j’étudie la biogéographie des oiseaux amazoniens. Ici, je représente le Psophia obscura, ou jacamin-à-dos-noir, comme cet oiseau est populairement connu, qui vit dans une seule région de l’Amazonie, entre le Pará et le Maranhão. Son domicile se trouve précisément dans l’arc de la déforestation, la zone la plus touchée par la destruction de la forêt. Dans peu de temps, Président Lula, il n’aura plus d’environnement pour vivre. Je demande, en son nom, que l’abattage des arbres et les incendies cessent immédiatement dans cette région. Il ne faut pas détruire un centimètre de forêt de plus, sinon ces oiseaux disparaîtront.

Les jacamins sont un genre de grands oiseaux qui marchent sur le sol. Ils sont très caractéristiques de l’Amazonie, car ils n’existent qu’ici. Chaque espèce de jacamim se trouve dans une zone d’endémisme, comme on appelle une région géographique qui possède des espèces qui n’existent que dans cet espace et nulle part ailleurs dans le monde. Ils vivent dans des zones découpées par les rivières et dans chaque région de terre sèche entre les rivières ( inter-fleuves ) vit une espèce différente de jacamim. C’est un oiseau qui n’habite que la forêt fermée, il ne va pas dans les plaines inondables. C’est pourquoi il n’y a pas deux espèces de jacamim dans le même interfleuve, chacun a sa propre région. C’est comme s’il s’agissait de villes dont les limites sont les rivières. Chaque espèce de jacamim vit dans une ville et uniquement dans cette ville. C’est la zone endémique de cette espèce.

Le jacamin-à-dos-noir vit dans le dit Centre d’endémisme de Belém, le plus touché par la destruction des forêts. Une étude récente indique que 76 % de la zone a déjà été déboisée. Cet oiseau dépend beaucoup de la bonne santé de la forêt. Lorsque la forêt est abattue et qu’elle est transformée en un vaste champ ouvert, ces personnes non-humaines deviennent des proies faciles, incapables de se protéger des prédateurs. De plus, ils souffrent d’un manque de nourriture, car ils se nourrissent des fruits qui tombent des grands arbres. Ils ont besoin de vastes territoires pour chercher leur nourriture au cours des différentes saisons de l’année. Si la forêt est trop fragmentée, coupée à blanc par la déforestation, ils ne quittent pas le fragment car ils ne peuvent pas se promener en plein champ. Ils sont alors confinés, sans accès à la nourriture. Ils nichent dans les creux des arbres et, comme ils sont grands, ils ont besoin de grands arbres disponibles. Lorsque tout cela disparaît, les jacamins commencent aussi à disparaître.

Nombreux sont ceux qui pensent à l’Amazonie et imaginent la forêt comme une grosse boule verte. Il y a ce discours selon lequel l’Amazonie est très grande, que 80 % de son territoire est préservé, ceci parce qu’on est censé en prendre soin, comme le prétendent les terribles ministres de l’Environnement du gouvernement Bolsonaro. Mais les jacamins montrent que ce n’est pas vrai, que ces différentes parties de l’Amazonie évoluent de manière différente et indépendante. Les 20 % détruits sont concentrés dans des zones où se trouvent des espèces uniques qui risquent d’être perdues à jamais. Le Psophia obscura est un grand animal que nous connaissons relativement bien, mais il représente diverses autres créatures qui sont peut-être aussi uniques à cette région et qui sont détruites en même temps qu’elle, mais nous ne sommes même pas capables de les voir.

Président Lula, il faut arrêter immédiatement la déforestation dans cette région du Centre d’endémisme de Belém. Pas un centimètre de plus ne peut être coupé, car il n’y a presque plus de forêt. Le Psophia obscura est très sensible et se trouve déjà dans une situation d’extrême menace ; il a besoin que les environnements restants soient maintenus et que des corridors soient créés entre eux. Le jacamin-à-dos-noir a besoin non seulement d’une déforestation zéro, mais aussi d’une restauration de la forêt, pour qu’elle puisse redevenir un endroit où il fait bon vivre.

’Prepona narcissus’. Photo : Raymê Carvalho

’Prepona narcissus’, le papillon coloré

Si la région où il vit est détruite, cette espèce majestueuse disparaîtra.

Je m’appelle Ricardo Spaniol, je suis biologiste, chercheur et auteur de l’étude "Décolorer l’Amazonie : comment la déforestation affecte la couleur des papillons" [4]. Je représente ici Prepona narcissus, une espèce majestueuse de papillon amazonien qui présente une coloration bleu et rouge métallique sur l’extérieur de ses ailes et un incroyable orange tropical sur le ventre. Habitant la canopée des plus hauts arbres de la forêt, il est en danger de disparition, tout comme une immense variété de papillons amazoniens colorés.

Notre étude, publiée en 2020, a révélé que la déforestation élimine la diversité et les couleurs, produisant un terrain vague avec une prédominance de papillons bruns et gris. Ce sont eux qui parviennent à se camoufler dans la forêt dégradée ou détruite. Être accrocheur devient un inconvénient. Les couleurs peuvent faire des papillons des proies faciles, de sorte qu’ils meurent ou migrent rapidement ailleurs.

Beaucoup de ces papillons sont endémiques, ce qui signifie qu’ils ne se trouvent que dans cette région géographique et nulle part ailleurs dans le monde. Lorsque nous détruisons de plus en plus de parcelles de cette région où ils existent, ils n’ont nulle part où aller pour se réfugier et ils pourraient disparaître à jamais. Si cela se produit, cette population ne pourra plus jamais être sauvée.

Le magnifique Prepona narcissus fait partie du Livre rouge de la faune brésilienne menacée d’extinction [5], une collection en 7 volumes publiée en 2018 par l’Institut Chico Mendes pour la conservation de la biodiversité (ICMBio). C’est pourquoi, en son nom et au nom des autres papillons colorés de l’Amazonie, je demande au gouvernement Lula que les agences environnementales soient renforcées immédiatement, afin qu’il soit possible d’inverser l’augmentation de la déforestation et des incendies dans la forêt.

Dans notre étude, nous avons remarqué qu’à mesure que la forêt se régénère, on assiste à un mouvement progressif de retour des papillons colorés. Un schéma très proche de celui d’une forêt conservée qui se reconstitue. Il s’agit d’espèces de papillons qui ont trouvé refuge dans des vestiges de forêts voisines qui n’ont pas été touchées par la déforestation ou les incendies et qui reviennent repeupler les espaces en voie de reconstitution. Par conséquent, le nouveau gouvernement doit travailler sur des projets de restauration des forêts, pour que nous ayons des chances de sauver la diversité des papillons dans les espaces détruits. Nous disposons des outils et de la technologie nécessaires pour récupérer de vastes zones de la forêt. Il est également fondamental d’augmenter les investissements dans la science et la technologie.

Enfin, il est nécessaire que le gouvernement fournisse un effort pour sensibiliser les gens à l’Amazonie et qu’ils sachent que des vies magnifiques comme celle de Prepona narcissus existent. Il est difficile de prendre soin et de conserver quelque chose que l’on ne connaît pas, que l’on n’aime pas ou dont on n’est pas curieux. Il est nécessaire de fournir au plus grand nombre de Brésiliens possible des informations sur ce qui se passe réellement dans la forêt - par l’éducation.

Assacu, l’arbre des communautés riveraines. Photo : DDAVILAREYES

Assacu, l’arbre du bord de la rivière

Des millions d’êtres vivants ont besoin de cette plante pour exister, mais elle est en train de disparaître.

Je suis Marta Regina Pereira, experte en botanique et professeure à l’Université de l’État d’Amazonas (UEA). Je prête ma voix à l’assacu, ou Hura crepitans, un arbre de la famille des euphorbiacées typique de la région amazonienne. Comme il est très léger et flotte, il sert de bouée, c’est pourquoi il est utilisé pour construire des maisons flottantes. Dans toutes les communautés riveraines de l’intérieur de l’Amazonie, les constructions sont réalisées avec ce bois. Cet arbre est également utilisé dans la construction de bateaux touristiques et d’hôtels flottants, devenus à la mode ces dernières années. Son prélèvement non géré, associé aux taux élevés de déforestation, l’a pratiquement fait disparaître de la forêt. Pour le sauver, Président élu Lula, il faut maintenant investir dans l’éducation environnementale et prendre des mesures urgentes pour endiguer la déforestation.

L’assacu est la première plante qui a attiré mon attention lorsque je suis arrivée en Amazonie en 2012, pour travailler. J’étais allée déjeuner avec un collègue et j’ai vu un bateau tirant un énorme rondin. Il m’a alors raconté l’histoire de l’arbre et comment son utilisation est si typique des communautés d’ici. Depuis lors, j’ai commencé à distinguer les assacus à l’occasion de mes fréquents déplacements à l’intérieur du pays, pour donner des cours. J’ai développé une affection particulière pour cet arbre. Mais ces dernières années, mes étudiants m’ont signalé leur difficulter d’en trouver pour fabriquer leurs flotteurs. Quand ils trouvent un arbre mature, c’est la fête.

Chaque fois que nous devons chercher longtemps pour trouver quelque chose qui devrait être abondant, nous devrions vraiment nous inquiéter. L’assacu est très utilisé, non seulement par les riverains mais aussi par les propriétaires de bateaux et les dirigeants des grandes entreprises. Selon la loi, cet arbre ne peut plus être abattu, mais cela n’est pas respecté. Il n’y a pas de gestion, ce n’est pas une plante cultivée et elle pousse lentement. En conséquence, l’assacu n’a pas réussi à se régénérer, à devenir adulte. Il est tué lorsqu’il est encore très jeune. Et donc son espèce est en train de disparaître.

L’assacu, en plus d’habiter la terre ferme, vit dans l’igapós, la zone des rivières d’eau noire, et dans les plaines d’inondation des rivières boueuses. En raison de la catastrophe climatique, il y a des années où nous avons de longues sécheresses et d’autres où les inondations sont plus importantes. Ces arbres, bien qu’adaptés aux zones inondables, ne peuvent pas y résister. Ils sont adaptés pour résister aux inondations pendant 4, 5 mois, mais maintenant ils restent 8, 9 mois dans l’eau. Cela provoque des dommages nutritionnels à l’assacu, qui en meurt.

A l’impact de la crise climatique s’ajoute celui de la déforestation dans l’existence de plus en plus difficile de cet arbre. Lorsque toute la biomasse indigène aérienne est déracinée - c’est-à-dire toute la forêt - l’assacu, qui est déjà devenu une espèce rare dans de nombreuses régions, s’en va avec elle.

Un arbre comme celui-ci, haut de 30 ou 50 mètres avec une canopée majestueuse, abrite des millions de champignons, de bactéries, d’oiseaux et de mammifères, comme les chauves-souris, qui s’en nourrissent. C’est tout un écosystème qui fonctionne dans son corps. La perte de chaque assacu est une catastrophe et peut entraîner la disparition d’autres espèces dont nous ignorons l’existence et qui ne dépendent peut-être que de lui. Dans la nature, tout est interconnecté.

Pour sauver l’assacu, Président Lula, il faut élargir les études sur cet arbre, mieux comprendre son interaction avec l’environnement et avec les autres êtres vivants et faire davantage de travail d’éducation environnementale dans les régions intérieures et auprès des entrepreneurs, afin de pouvoir remplacer l’utilisation de ce bois dans les flotteurs. En outre, la déforestation en Amazonie doit cesser dès maintenant. Nous sommes trop proches du point de non-retour pour la forêt et pour tant d’espèces qui composent l’Amazonie. Nous devons commencer à reboiser !

Tracajá. Photo : Josiel Juruna

Tracajás, chéloniens d’Amazonie

Affectés par les barrages, ils souffrent de la faim et sont victimes de la pêche illégale.

Je suis Cristiane Costa Carneiro, biologiste, chercheuse en écologie aquatique et pêche, et je fais partie du réseau de chercheurs de l’Observatoire de la Volta Grande do Xingu, une région à risque en raison de la construction de la centrale hydroélectrique de Belo Monte. Je représente ici le tracajá, une espèce de chélonien qui souffre de la construction de barrages sur les rivières amazoniennes. En son nom, je fais une requête au Président élu Lula : il est temps pour le pays de repenser sa matrice énergétique. Je demande également que l’hydrogramme de Belo Monte soit revu. Il détermine que 80 % de l’eau du fleuve Xingu, dans la région connue sous le nom de Volta Grande, doit être détournée vers les turbines de la centrale. Des études menées par les scientifiques les plus renommés ont déjà prouvé que, s’il en est ainsi, il ne sera pas possible de maintenir la vie.

Les grands barrages hydroélectriques en Amazonie sont un problème pour la faune aquatique. Les chéloniens, comme le tracajá, sont parmi les groupes les plus touchés. Je travaille dans la région de Belo Monte depuis 2007. Mais les problèmes s’étendent également aux barrages de São Manoel et Teles Pires sur le fleuve Teles Pires, de Jirau [6] et Santo Antônio sur le fleuve Madeira, et de Tucuruí sur le fleuve Tocantins.

La création de réservoirs entraîne l’élimination de nombreuses zones d’alimentation et de reproduction des chéloniens. Dans le cas de Belo Monte, l’eau détournée pour la production d’énergie provient de la Volta Grande do Xingu, un cours d’eau de plus de 100 kilomètres. Ce détournement a provoqué l’inondation des forêts alluviales (zones inondées lors des pluies d’hiver en Amazonie). Les chéloniens avaient l’habitude de passer tout l’hiver dans ces forêts, qui se sont asséchées depuis la mise en service de la centrale électrique. Ces forêts servaient de zone d’alimentation, avec beaucoup de fruits, de graines, de feuilles, pour qu’ils puissent grossir et garantir une réserve d’énergie pour survivre à l’été, la période sèche, lorsqu’ils sont confinés dans le canal principal de la rivière, avec peu de nourriture disponible. Aujourd’hui, dans la Volta Grande do Xingu, on prélève tellement d’eau pour les turbines que les forêts alluviales ne sont plus inondées. Le tracajá ne peut pas se nourrir suffisamment pour assurer sa subsistance. Et moins ces chéloniens mangent, moins ils pondent.

La forêt alluviale est également importante pour que les animaux puissent se protéger de la pêche à grande échelle. Les tracajás sont largement consommés dans les villes de la région, même si leur pêche est illégale. Sans les inondations, ils ne peuvent plus trouver de refuge dans cette zone forestière et sont confinés dans le chenal principal de la rivière, où ils deviennent des proies faciles. Auparavant, cela ne se produisait que dans la seconde moitié de l’année, pendant la saison sèche. Mais aujourd’hui, ils sont chassés toute l’année, ce qui entraîne une surpêche de l’espèce.

Le Tabuleiro do Embaubal, l’une des plus grandes frayères de chéloniens du fleuve Xingu, est également menacée. Une étude montre que l’endiguement effectué par la centrale électrique retient le sable qui était transporté le long de la rivière pour former les plages où les chéloniens pondent. Cela pourrait entraîner la perte de l’une des zones de reproduction les plus importantes pour ces espèces.

Ces impacts se répètent dans tous les barrages hydroélectriques de l’Amazonie. Dans les barrages de la rivière Teles Pires, il n’y a même pas eu d’étude détaillée de la population de chéloniens dans la région. Il n’existe pas non plus de programme de surveillance spécifique. À Belo Monte, la situation en matière de surveillance n’est guère meilleure. Plusieurs conditions ont été convenues avec les agences environnementales pour atténuer les impacts de la construction de la centrale, mais certaines n’ont pas été respectées.

Il faudra que le gouvernement Lula applique les études produites par le monde universitaire et les avis techniques de l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables (IBAMA). Et que toutes les conditions pour la construction de Belo Monte soient remplies, puisque sept ans après le début des opérations, ce qui était une condition pour que la centrale puisse fonctionner est encore loin d’être entièrement rempli. La supervision de la région doit être structurée de manière à ce que les institutions puissent jouer leur rôle.

Il est également nécessaire que le Brésil repense sa matrice énergétique. Les réservoirs produisent du méthane, qui contribue à l’effet de serre et à l’urgence climatique. Les chéloniens sont très affectés par ce changement climatique, car leur sexe est déterminé par la température à laquelle leurs œufs sont incubés. Une recherche scientifique que nous avons menée à Tabuleiro do Embaubal a montré que les années très chaudes, seules les femelles naissent. Parfois, la température du nid est si élevée qu’elle est mortelle pour l’embryon, qui ne peut pas se développer. Les années de fortes inondations, également causées par le changement climatique, les nids se retrouvent inondés. Président Lula, nous arrivons à un point de non-retour.


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Voir en ligne : Lula, escute as pessoas não humanes

En couverture : mosaique de photos à gauche, l’Assacu, photo de ddavilareyes ; à droite la Tracajá. photo : Josiel Juruna ; En bas, le Zogue-zogue de Alta Floresta. photo : Francielly Reis

[1Par personnes Non-Humains, il faut entendre une déclinaison n portugais de « tout ce avec quoi les humains sont en interaction constante » tel que le précise Philippe Descola dans l’émission Comment composer avec le monde « non-humain » ? pour France Culture. Dans la tradition française, on s’accorde pour associer ce concept à la théorie de l’acteur-réseau développée par Bruno Latour, Michel Callon et Madeleine Akrich. En anthropologie, les non-humains rompent avec les représentations occidentales pour laisser la place à d’autres « ontologies ». Autres Brésil invite à la lecture de Humains, non-humains : Comment repeupler les sciences sociales de Sophie Houdart et Olivier Thiery aux éditions La Découverte (2011)

[2Le manifeste de la création de SUMAÚMA est disponible en portugais, espagnol et anglais sur l’onglet qui sommes nous "quem somos"

[3Dans un article du 27/09/2022, non-traduit en français, Jonathan Watts montre [[en quoi le nombre de morts sous le mandat de Bolsonaro devrait aussi inlure l’holocauste contre les vies non-humains, dont 2 milliard d’arbres tués.

[5non-traduit, Livro Vermelho da Fauna Brasileira Ameaçada de Extinção

[6Rappelez-vous des travaux de l’Observatoire des Multinationales et de l’article d’Olivier Petitjean Jirau : retour sur le mégabarrage amazonien de GDF Suez

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