« Lettre de São Paulo » dénonce la législation « anti-crime » et le tout pénal

 | Par Collectif

Lettre de São Paulo

Les institutions et organisations énumérées ci-dessous , réunies dans le cadre du Séminaire « Recrudescence pénale et politique criminelle au Brésil », tenu les 14 et 15 février 2019 à São Paulo (état de São Paulo), réaffirment leur engagement à construire une société plus libre, plus juste et plus solidaire, reconnaissant que la promotion du progrès social dans notre pays passe par l’affrontement des problèmes de la corruption et de la violence, dans toutes leurs dimensions.

Les stratégies de lutte contre ces problèmes doivent être cohérentes et fondées sur des recherches empiriques, dans le respect des droits fondamentaux et des garanties consacrés par la Constitution fédérale et les traités internationaux relatifs aux droits humains.

Le document est disponible en portugais en cliquant ici

Par là même, les institutions et organisations signataires rejettent les formules principalement fondées sur la surenchère de la législation criminelle et de la procédure pénale qui se sont révélées inefficaces et ont conduit à une aggravation de l’insécurité publique. En ce sens, plusieurs points du « projet anti-crime », annoncé par le ministère de la Justice, manquent de fondement théorique suffisant, d’analyse d’impact social et de construction démocratique effective, se révèlant ainsi inefficaces.

La complexité et l’ampleur des problèmes en question exigent l’élaboration de réponses systémiques et sophistiquées, qui comprennent la mise en œuvre des droits sociaux, la discussion des compétences fédérales et exigent une complète planification et une réorganisation structurelle de la gouvernance, de la gestion et du contrôle social des organismes de sécurité publique, du système pénitenciaire et du système judiciaire pénal.

L’insistance sur des solutions axées sur l’expansion de l’incarcération révèle l’absence d’intérêt vis-à-vis de la situation inconstitutionnelle du système pénitentiaire national, dont la surpopulation a davantage contribué à recruter des personnes en situation de vulnérabilité par les factions censées dissoutes, qu’à réduire la violence.

Outre la violence et l’oppression qui résultent de ces politiques criminelles, ces mesures finissent par renforcer les factions en milieu carcéral, dues à l’absence de l’État, étant donné la situation tragique des prisons brésiliennes. Elles dénotent également :

  • 1. la nécéssité d’élaborer un plan national de réduction de la population carcérale, avec l’établissement de buts et de mécanismes de suivi des objectifs définis, qui articule les mesures législatives, judiciaires et de politique publique autour de cet horizon stratégique ;
  • 3. la nécessité d’adopter des mesures visant à réduire le nombre de civils tués par les forces de l’ordre, en tenant compte de la sélectivité évidente de ces agents dans l’exercice de la violence meurtrière. Les données du Forum brésilien de la sécurité publique et du groupe d’étude sur la violence de l’Université de São Paulo montrent qu’en 2017, rien que dans l’État de São Paulo, 19,5% des morts violentes ont été causées par des policiers [2], morts dont les trois quarts étaient des jeunes Noirs. Ce nombre est toutefois inférieur au nombre réel, difficile à mesurer à l’échelle nationale, étant donné la sous-déclaration, en particulier dans les cas impliquant des agents de sécurité publique et de groupes ou milices d’extermination [3] ;
  • 4. Compte tenu de cette situation, l’adoption de mesures visant à encourager la détention et le port d’armes à feu, déjà responsables de plus de 70% des morts violentes dans le pays, est particulièrement équivoque, face au risque d’une augmentation des féminicides due à cette extension de la possession d’armes, considérant que la plupart de ces crimes surviennent dans le contexte domestique, outre la précarité d’action de la sécurité publique, en raison des risques que comporte la politique de confrontation pour la vie des policiers. En 2016, 4 645 femmes ont été assassinées au Brésil, ce qui représente un taux de 4,5 homicides pour 100 000 Brésiliens et une moyenne de 13 femmes assassinées par jour dans le pays. Les données proviennent de l’Atlas de la violence 2018, qui indique également qu’en dix ans, entre 2006 et 2016, le taux d’homicides de femmes a augmenté de 6,4%. Le taux d’homicides est plus élevé chez les femmes Noires (5,3) que chez les femmes non-Noires (3,1), soit une différence de 71 % [4].
  • 5. l’adoption inadéquate de mécanismes de négociation comme solution à l’inefficacité et à la lenteur du système de justice pénale brésilien. Cette proposition viole la garantie constitutionnelle d’une procédure légale régulière et ignore l’absence de contrôle effectif de l’activité du ministère public. L’importation du mécanisme des accords pénaux, prévu dans les législations étrangères, sans tenir compte des différences entre les systèmes juridiques des pays, aggravera le surpeuplement carcéral ;
  • 6. l’inconstitutionnalité de l’application anticipée de la peine, après une condamnation en deuxième instance ou même en première instance, en cas de comparution devant un jury. Étant donné le nombre considérable d’appels interjetés par les cours supérieures, l’application anticipée ouvre la voie à une augmentation d’erreurs judiciaires ;
  • 7. l’augmentation discrétionnaire ou disproportionnée de délais dans la progression du régime viole le principe constitutionnel de l’individualisation des peines et ignore la croissance exponentielle des taux d’emprisonnement au Brésil, en particulier pour les crimes moins graves ;
  • 8. les mesures visant à durcir l’exécution des peines, telles que les modèles de sécurité maximale ou d’isolement, les restrictions aux visites, la surveillance non-discriminée des conversations (avec les avocats, les membres de la famille, les représentants religieux, etc.), ainsi que l’obstruction aux départs temporaires, sont incompatibles avec le profil de la grande majorité des personnes privées de liberté au Brésil et se sont révélées problématiques et sans effet dans les pays où elles ont été employées ;
  • 10. les particularités des factions criminelles brésiliennes obligent le gouvernement à prendre des mesures pour désintéresser leurs membres, ne permettant pas l’importation de modèles pour leur confrontation basés uniquement sur des opérations policières ou le suivi des revenus. Il est essentiel de réduire la super-incarcération (le tout pénal) et, par conséquent, d’améliorer les conditions de détention, grâce à la mise en œuvre des droits sociaux et des services publics essentiels, tels que les soins de santé et l’expansion des possibilités de travail et d’études, avec des effets directs et proportionnels sur le temps passé en prison ;
  • 11. l’urgence de la recherche d’alternatives à la politique actuelle en matière de drogue, avec l’adoption du paradigme de la réduction des risques, dans le but de renverser la tendance à l’incarcération comme réponse aux crimes non violents, dans la mesure où la majorité des condamnés pour trafic sont des personnes sans casier judiciaire, non armées et accusées dans les faits pour de petites quantités de drogue. Par conséquent, l’échec de la politique prohibitionniste dénote un aspect grave de l’innocuité du système répressif, avec un gaspillage de vies humaines et de ressources publiques. Les institutions et organisations souscrites réaffirment qu’elles restent à la disposition du Pouvoir Exécutif Fédéral pour contribuer à la formulation des plans et propositions futurs, en tenant compte qu’à ce jour (15/02/2019) le projet présenté a été élaboré en marge de la participation sociale et a ignoré les connaissances académiques et scientifiques en la matière. Enfin, elles demandent au pouvoir législatif d’établir un dialogue ouvert avec tous les segments de la société pour discuter des mesures législatives proposées.

São Paulo, le 15 février 2019.

  • Bureau du Procureur de l’État de Rio de Janeiro
  • Bureau du Procureur de l’État de São Paulo
  • Institut brésilien des sciences criminelles - IBCCRIM
  • Institut de défense du droit de la défense - IDDD

Soutiens :
ABJD - Association brésilienne des juristes pour la démocratie
Académie Paulista de Droit
AJD-Association des juges pour la démocratie
ANADEP - Association nationale des procureurs
Association Elas Existem - Femmes emprisonnées (Rio de Janeiro - RJ)
CADHu - Collectif de défense des droits humains
CEBES - Centre brésilien d’études sur la santé
CLADEM - Comité latino-américain et caribéen pour la défense des droits des femmes ;
Commission Justice et Paix
CONDEGE - Collège national des procureurs généraux
Conectas Droits de l’homme
DeFEMde - Réseau féministe de juristes
Front interreligieux Dom Paulo Evaristo
GCCrim - Groupe de criminologie Candango de l’UnB
Grupo Asa Branca de Criminologia (Unicap et UFPE)
Groupe de recherche « Droit, discrimination de genre et égalité » du PUC-SP
IBADPP - Institut bahianais de droit procédural pénal
ICC - Institut de criminologie du carioca
Institut Pro Bono
Institut Sou da Paz
CIBT - Institut, territoire, travail et citoyenneté
LabGePen - Laboratoire de gestion de la politique criminelle de l’UnB
NESP - Centre d’étude des sanctions pénales
Plate-forme brésilienne sur la politique en matière de drogues
Réseau de justice pénale

Les organisations de la société civile et les institutions publiques ont lancé, le Mercredi 27/03, la campagne publique « PACKET ANTICRIME : UNE INFOX », pour le rejet du projet de loi 882 de 2019, qui aggravent l’inefficacité de l’ensemble des mesures publiques contre la sécurité publique.

Voir en ligne : INSTITUTO BRASILEIRO DE CIÊNCIAS CRIMINAIS

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