Lettre à Monsieur le Président de la République Fédérale du Brésil, Jair Messias Bolsonaro

Traduction : Charlélie POTTIER pour Autres Brésils
Relecture : Du et Philippe Aldon

Brasilia – District fédéral
16/11/2018

Manaus, le 2 janvier 2019

Monsieur le Président,

Nous avons déjà été décimés, mis sous tutelle, nous avons été les victimes de politiques assimilationnistes entreprises par les gouvernements et l’État du Brésil, c’est pourquoi nous venons affirmer ici publiquement que nous n’accepterons plus de politique d’assimilation, de tutelle et nous ne voulons pas être décimés par de nouvelles actions du gouvernement et de l’État du Brésil. Ce pays, le Brésil, a une dette inestimable envers nous, Monsieur le Président, pour tout ce qui a déjà été fait contre et avec nos peuples. Les terres indigènes ont un rôle essentiel pour la préservation de la biodiversité, la purification de l’air, l’équilibre environnemental et même pour la survie de la population du Brésil et du monde entier.

Il n’est pas vrai que les peuples indigènes possèdent 15 % des terres du territoire national. En réalité, ce sont 13 % dont la majeure partie (90 %) se trouve en Amazonie légale [1]. Ce pourcentage, c’est ce qu’il nous reste comme droit à une terre qui était 100 % indigène avant l’an 1500, lequel droit nous a été retiré. Ce n’est pas nous qui possédons une grande partie du territoire brésilien, ce sont les grands propriétaires terriens, le lobby de l’agro-négoce, etc. qui possèdent plus de 60 % du territoire national.

Dire que les terres indigènes sont un « vide démographique » est un argument vieux et faux. Il sert uniquement à justifier des mesures administratives et législatives qui portent préjudices aux peuples indigènes. Nos terres n’ont jamais été des vides démographiques. Ce sont les indigènes qui ont aidé à protéger les frontières brésiliennes en Amazonie.

Contrairement à vos propos pleins de préjugés, nous ne sommes pas manipulés par les ONG. Ce sont les politiques publiques, l’action des gouvernements et de l’État brésilien qui sont inefficaces, insuffisantes et hors de la réalité des peuples indigènes et de nos communautés.

Qui n’est pas indigène ne peut pas suggérer ou dicter les règles selon lesquelles nous devons nous comporter ou agir au sein de notre territoire et de notre pays. Nous avons la capacité et l’autonomie de parler en notre nom. Nous avons l’entière capacité civique de penser et de discuter les orientations des peuples indigènes, selon nos droits qui sont garantis par les articles 231 et 232 de la Constitution Fédérale, par la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et par la déclaration de l’ONU sur les peuples indigènes. Nous sommes en mesure d’élaborer des projets et de prendre des initiatives. Beaucoup sont déjà faits. C’est le cas des plans de gestion des terres indigènes appliqués dans l’état de l’Amazone.

Monsieur le Président, respectez vos paroles et vos discours de campagne en faveur de la démocratie, car nous sommes des Brésiliens qui méritent le respect de leurs droits. Nous n’acceptons pas l’action dictatoriale, car elle s’oppose au dialogue que Monsieur le chef de cabinet à la Présidence, Onyx Lorenzoni, a défendu dans son discours. Nous affirmons que nous sommes organisés avec des porte-paroles et des personnes capables de dialoguer avec le Président, l’État brésilien et le gouvernement, car nous avons déjà appris à parler le portugais, en plus des langues natives, propres à chacun de nos peuples, et des langues d’autres nationalités.

Les modifications faites pour la restructuration et la réorganisation administrative du gouvernement fédéral via la mesure provisoire n° 870 du 1er janvier 2019 sèment la confusion et constituent une attaque contre la politique indigène brésilienne. Outre son caractère préjudiciable, elle prévoit d’annuler les droits indigènes qui sont constitutionnels. Même chose concernant un nouveau décret qui retire la compétence de la Funai (Fondation nationale de l’Indien - FUNAI) d’autoriser les projets impactant nos territoires. Cette pratique a déjà eu cours par le passé au Brésil et elle constituait une tentative d’agression visant à nous décimer. Elle reste dans l’histoire de l’État brésilien comme une période de grandes difficultés et d’inefficacité. Nous n’acceptons pas et nous refusons vos mesures de réforme administrative pour la gestion de la politique indigène.

Nous ne sommes pas coupables d’avoir eu de nombreux changements dans nos vies et dans nos cultures. Ceci est le fruit d’un processus de colonisation violent qui a tué beaucoup de peuples et fait disparaître des langues natives. Nous voulons continuer d’être indigènes, ayant droit à notre identité ethnique, tout comme nous sommes brésiliens. Quand un Brésilien voyage dans d’autres pays et sur d’autres continents, il continue d’être brésilien. Il en va de même pour nous, ceci d’autant plus étant au Brésil que nous avons appris à défendre comme notre nation.

Notre mode de vie est différent. Nous ne sommes pas contre ceux qui ont opté pour un modèle économique occidental et capitaliste. Mais nous avons notre propre façon de vivre, de nous organiser sur nos terres et nous avons notre propre forme de pérennité. C’est pourquoi nous n’acceptons ni le développement, ni un modèle économique d’exclusion qui nuit à nos territoires. Notre modèle de pérennité vise à nous maintenir et à assurer l’avenir de nouvelles générations.

Nous ne vivons pas dans des zoos, Monsieur le Président, nous sommes sur nos terres, dans nos maisons, comme vous et comme n’importe quelle communauté humaine vivant dans son foyer, dans son quartier, dans sa ville. Nous sommes des personnes, des êtres humains, comme vous, notre sang coule dans nos veines, nous naissons, grandissons, procréons et mourrons sur notre terre sacrée, comme n’importe quel être humain vivant sur cette terre.

Nos terres, comme cela a été démontré techniquement et scientifiquement, constituent des garanties de protection environnementale. Préservées et gérées par les peuples indigènes, elles contribuent à assurer des pluies constantes dont les cultures et les exploitations agricoles de la région sud et sud-est bénéficient, nous le savons.

Par conséquent, Monsieur le Président de la République, Jair Messias Bolsonaro, considérant la politique de dialogue de votre gouvernement en démocratie, nous, porte-paroles indigènes, représentants légitimes, sommes prêts à dialoguer, mais nous sommes également prêts à nous défendre.

Lettre des peuples Aruak Baniwa et Apurinã

Marcos Apurinã – Peuple Apurinã
Porte-parole indigène Apurinã de la fédération des organisations et communautés indigènes du Rio Purus. Courriel : marcosapurin@gmail.com ; téléphone : +55 (92) 99338-0178

Bonifácio José – Peuple Baniwa
Porte-parole indigène Baniwa de l’Alto Rio Negro, membre de l’organisation Baniwa et Koripako NADZOERI. Courriel : bonibaniwa@gmail.com ; téléphone : +55 (92) 98417-0545

André Baniwa – Peuple Baniwa
Porte-parole indigène Baniwa de l’Alto Rio Negro, terre indigène Alto Rio Negro, président de l’organisation indigène de Bacia do Içana, OIBI. Courriel : andrebaniwa@gmail.com ; téléphone : +55 (92) 98186-7262

Voir en ligne : COIAB (Coordination des Organisations Indigènes de l’Amazonie Brésilienne)

[1L’Amazonie légale est un territoire de neufs États délimité par le gouvernement brésilien pour déterminer les zones éligibles aux aides de développement en Amazonie.

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