Les institutions médicales se tirent une balle dans le pied

 | Par Lilian Terra

Médecin formée à l’Université Fédérale de Minas Gerais, Lilian Terra exerce principalement au SUS de Campinas-État de São Paulo, où elle fait partie d’une équipe de santé de la famille (PSF). Elle est passionnée par le projet du SUS et par la santé publique. Elle espère qu’un jour le système de santé du Brésil deviendra le fait de tous et qu’il ne sera plus nécessaire de recourir à des Plans de Santé ou à des services privés.

Source  : Outras Palavras du 26/09/2013
Traduction pour Autres Brésils : Piera SIMON-CHAIX (Relecture : Pascale VIGIER)

Nous voulons des médecins. Encir, dehors
Jaru (état de Roraima) : un poste de santé tagué en mars par des habitants obligés de parcourir 30 km jusqu’au médecin le plus proche.

Les institutions qui, en théorie, représentent la classe médicale se sont tirées une balle dans le pied. En s’opposant au programme « Mais Médicos » [1], tout ce qu’elles sont parvenues à faire a été de renforcer leur image d’élitistes et de corporatistes, déjà nourrie tout au long des dernières décennies.

Il n’en a pas toujours été ainsi. Il y a peu de temps, la médecine était vue comme un don, un sacerdoce. Le médecin était comme le prêtre, il connaissait la vie des familles qu’il assistait – leurs angoisses, leurs afflictions. Il était, en plus d’un soignant, un conseiller. Mais le profil du soin s’est modifié dans le domaine de la santé. La technologie a apporté des avancées d’une façon très rapide, et peut-être que le médecin n’a pas su concilier les nouvelles connaissances avec la vieille et précieuse écoute du malade. En plus de cela, l’accès à la santé s’est amplifié bien plus que la quantité de médecins formés, de sorte que ceux qui étaient sur le marché ont eu besoin d’attirer les nouveaux patients, au détriment du temps d’attention donné à chacun.

Aujourd’hui, nous avons beaucoup d’écoles médicales dans le pays, avec des étudiants qui recherchent un statut et un enrichissement, mais qui cherchent aussi à sauver des vies, à prendre soin des personnes, indépendamment de leur couleur, de leur foi ou de leur classe sociale. Il y a aussi ceux qui sont en quête d’un système de soins brésilien meilleur, et plus juste. Ils entrent à l’université entre 17 et 20 ans, venus des familles les plus aisées, d’écoles particulières, n’ayant eu jusque-là que peu, voire aucun contact avec la pauvreté, sinon à travers la violence ou à travers les employés les plus pauvres de la famille. L’université devrait permettre que ces futurs médecins ouvrent les yeux devant cette nouvelle réalité qui se présente à eux.

Le fait est qu’il existe de nombreuses idées préconçues, dans la classe médicale, à propos du travail et de l’attention tournée vers la base. Le « médecin de postinho » [2] est vu comme quelqu’un d’inférieur, qui n’a pas réussi au moment de choisir une spécialité. Les résidences de Santé Collective, de Médecine Préventive ou de Santé de la Famille sont moins recherchées. Tous aspirent à être Ivo Pitangui [3], presque personne à être Osvaldo Cruz [4] . Lorsqu’il est question d’aller exercer en province ou de travailler dans des Centres de Santé de banlieues, les médecins disent toujours qu’il n’y a pas d’infrastructures ni de conditions de travail correctes – ce qui est bien vrai, mais peut-être ne s’agit-il pas du vrai motif du refus.

Tout cela est devenu très clair lors du débat à propos du programme « Mais Médicos » du gouvernement fédéral. Les institutions ont fait l’erreur de ne pas montrer à la population que certaines possibilités avaient déjà été débattues. Depuis 2009 par exemple, la Proposition de Décret Constitutionnel 454 [PEC 454] est dans les engrenages du pouvoir législatif. Son objectif est d’instituer une Carrière d’État pour les médecins. Quatre ans après, la Proposition continue à être analysée par une commission spéciale. Après qu’elle a été approuvée, elle suivra son cours pour un temps indéfini, jusqu’à son appréciation par le pouvoir plénier des deux chambres du pouvoir législatif.

À l’exemple de ce qui a lieu avec le Pouvoir Judiciaire, les professionnels ne feraient pas défaut, même dans les lieux les plus reculés du pays – au cas où pourraient y faire carrière. Cependant, plutôt que d’attirer l’attention sur cet aspect, les institutions médicales se sont concentrées sur le refus, non pas sur les propositions. Elles n’ont pas montré à la population le désir réel de beaucoup de médecins brésiliens d’aller dans ces unités de soins, mais au contraire leur désir de bloquer la venue de médecins étrangers. Elles ont démontré, dans leur lutte, une peur plus grande de perdre un statut et un niveau de salaire que de laisser la population sans assistance, permettant ainsi au gouvernement de mettre sur le dos des médecins la responsabilité de la mauvaise qualité de la santé publique.

Les institutions médicales représentent bien la classe des médecins. Pourtant, malheureusement, il existe des professionnels qui se sont sentis abandonnés par ceux qui devaient les représenter – ceux qui sont engagés auprès de la SUS [5] , qui luttent pour moins d’inégalités sociales, pour plus d’accès aux services publics, pour une meilleure qualité de ces services. Plus engagés que le gouvernement lui-même, qui semble rejeter la proposition d’initiative populaire qui voudrait destiner 10% de la recette brute du Brésil à la santé. En s’adressant au Congrès mercredi dernier, le 18/09/2013, la ministre Miriam Belchior [6] a affirmé qu’il n’était pas possible de destiner cette part au financement de la santé, alors que des spécialistes ont étudié au préalable la proposition, et que d’autres pays y destinent une part encore plus grande de leur PIB.

Pendant ce temps, les institutions médicales ne prennent pas position du côté du gouvernement ou du côté de la population. Ils sont une catégorie tierce, de plus en plus isolée. Comme l’a fait remarquer la journaliste Cláudia Colluci, dans un texte récent pour la Folha de São Paulo, les médecins ont besoin de se mettre « dans la peau de ceux qui vivent dans des bleds sans assistance médicale », et il s’agit probablement là d’un exercice très difficile pour des jeunes de la classe moyenne favorisée du Brésil – bien plus que celui des épreuves du vestibular[7].

Notes de la traduction :
[1] « Plus de Médecins » est un programme mis en place par la présidente Dilma Youssef pour tenter de répondre aux problèmes du système de santé. Les manifestations de juin ont notamment contribué à rappeler l’absence totale d’accès aux soins de certaines zones privées de personnel médical et d’infrastructures adaptées. Le programme, qui permet à des médecins étrangers d’exercer au Brésil, connait une forte opposition de la part d’une partie des médecins brésiliens (à ce sujet, consulter l’article « Une honte bien brésilienne ».
[2] Médecin qui tient son poste dans un Centro de Saúde, Centre de Soins où l’accès aux soins est permis à tous.
[3] Il s’agit d’un chirurgien spécialisé dans la chirurgie plastique qui jouit d’une rénommée nationale et internationale.
[4] Un scientifique et médecin brésilien qui a largement contribué à la recherche sur les maladies tropicales, et qui a fondé à Rio de Janeiro l’institut Oswaldo Cruz, de réputation internationale.
[5] Sistema Universal de Saúde, le système universel de santé.
[6] Ministre de la Planification, du Budget de la Gestion du Brésil.
[7] Concours ayant lieu à la fin de l’enseignement secondaire et permettant d’accèder à l’université. À la différence du baccalauréat, il ne s’agit pas d’un examen organisé nationalement, mais bien d’un concours géré par chaque université.

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