Les idées d’Ailton Krenak pour retarder la fin du monde « Comment les blancs vont-ils faire pour s’en sortir ? »

 | Par Jean-Christophe Goddard, lundimatin

C’est en cultivant son potager qu’Ailton Krenak, le grand leader de la lutte des peuples de la Forêt au Brésil, a communiqué à l’Université de Brasilia, qui le sollicitait par téléphone, le titre de la conférence qui donne son titre au petit livre que les Éditions Dehors viennent de publier avec une postface de son ami Eduardo Viveiros de Castro : Idées pour retarder la fin du monde [Ailton Krenak, Idées pour retarder la fin du monde, traduit par Julien Pallotta, Bellevaux, Dehors, 2020.]. Le chaman yanomami Davi Kopenawa, l’auteur avec Bruce Albert de cette œuvre « fantastique » qu’est La chute du ciel, à laquelle Ailton Krenak rend hommage dans son petit livre, est lui aussi souvent au potager. Il s’y rend pour y travailler la terre chaque fois que ça va mal. Et ça va mal.

Ce mal, Antonin Artaud, avant de le fuir, sur place ou au Mexique, chez les Tarahumaras, l’a désigné à la gueule de ses compatriotes comme « le mal blanc » [1] : le simple passage sur une île d’un navire qui ne contient que des gens « bien-portants » et provoque l’apparition de maladies inconnues, des maladies qui, dit Artaud, « sont une spécialité de nos pays » – « zona, influenza, grippe, rhumatismes, sinusite, polynévrite, etc., etc. » À quoi, depuis cinq siècles d’histoire dérobée à l’île-Continent Abya Yala [2], il faut ajouter toutes ces machines d’extraction capitaliste de minerai de vies, minérales, végétales et animales, qui, en œuvrant inéluctablement à travers l’espace colonial, ont couvert la Terre d’épaisses fumées épidémiques asphyxiantes, toutes les formes de mort ou, si l’on préfère, d’inexistence, inventées par l’Europe des puissants et des mangeurs d’or : le culte de Jiji Cricri, l’Etat-Nation et sa monnaie frappée, le Droit, la Science et la Philosophie royales des Universités, le travail contraint, la dépendance alimentaire, vestimentaire, médicale et scolaire, les guerres d’extermination, la prostitution des femmes, l’alcool et les objets à profusion.

Tout ce qui, chez nous comme partout où le mal blanc a fini par s’étendre (puisqu’il ne fait de doute pour personne qu’il s’est d’abord déclaré de notre côté de l’Océan), accomplit par immunité adaptative, cette formidable dégénérescence de l’humain qu’est sa clientélisation : son incapacité foncière à ajouter du monde au monde sans l’acheter en boîte dans un commerce, à l’état de marchandise – fut-ce même comme un livre – au prix d’immenses destructions de ressources. Une immunité acquise qui fait de chacun d’entre nous, consommateurs d’objets et d’idées, de terribles porteurs asymptomatiques des agents pathogènes du capitalisme étatique et reconduit le plus souvent cette conviction d’innocence, qu’Artaud dénonce comme notre manque de « culture », tellement caractéristique des colonisateurs blancs, « bien-portants » seulement d’avoir trop longtemps séjournés dans un bain de déjections urbaines et d’avoir survécus aux maladies mortelles qu’il y ont contractées, à force d’en mourir par millions.

[...]

Voir en ligne : Les idées d’Ailton Krenak pour retarder la fin du monde

[1Antonin Artaud, Le Théâtre et son double, in Œuvres, Gallimard, p. 507

[2Abya Yala (dans la langue Kuna : « Terre de pleine maturité ») est le nom adopté en 1992, à l’occasion du 500e anniversaire de l’invasion colombienne, par les nations indigènes pour désigner les deux continents « américains ».

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