Les femmes du MST occupent le ministère de l’agriculture à Brasilia

  • De Marina Duarte de Souza et Sheila Oliveira pour Brasil de Fato
  • Traduit par Charlélie Pottier pour Autres Brésils
  • Relecture : Marie-Hélène Bernadet

L’action avait pour objectif de dénoncer les politiques du gouvernement Bolsonaro en matière d’économie, de terre et d’agriculture. Dans la matinée du lundi 9 mars, les femmes du mouvement des sans-terre (MST) ont occupé le ministère de l’agriculture à Brasilia. La mobilisation a réuni 3 500 travailleuses originaires de 24 États et faisait partie de la journée nationale des luttes des femmes sans-terre.

Des femmes du mouvement des sans-terre occupent le ministère de l’agriculture à Brasilia. © MST

« Furieuses, en lutte, en défense de nos territoires, de notre biodiversité, des droits conquis par la classe ouvrière, nous dénonçons l’alliance mortifère et destructive entre le gouvernement Bolsonaro et le capital international impérialiste, une alliance génératrice de violence », ont crié les femmes sans-terre occupant le bâtiment de l’esplanade des ministères.

« L’objectif de cette action d’occupation est de dénoncer le projet de mort mené par cette autorité fédérale. Actuellement, l’Incra (Institut National de la Colonisation et de la Réforme Agraire) est subordonné au ministère de l’agriculture et ce ministère est le premier responsable de l’empoisonnement de toute la population brésilienne. On déverse des pesticides dans les assiettes de la population et c’est ce que nous sommes venues dénoncer », explique Kelly Mafort de la coordination nationale du MST. Selon le ministère de l’agriculture, 474 produits phytosanitaires ont été autorisés en 2019, la plus grande vague d’autorisation de ces 15 dernières années.

Vidéo 1 « Contre le démantèlement de la réforme agraire et l’autorisation des pesticides, des femmes du MST occupent le Ministère de l’Agriculture » : (en portugais)

Journée de mars des femmes

© MST

L’acte d’occupation du ministère de l’agriculture a clôturé le rassemblement national des femmes du MST qui a eu lieu à Brasilia à partir du jeudi 5 mars.

« Nous avons débattu sur la terre, sur notre féminisme paysan et populaire, nous avons échangé nos expériences, nous avons découvert la diversité de notre pays et nous avons terminé de la meilleure forme possible avec cette belle lutte des femmes sans-terre qui adresse un message à la société : nous devons affronter ce gouvernement et mettre fin à cette politique qui est une politique de mort. Nous, nous sommes en défense de la vie, c’est le message que nous sommes venues transmettre ici aujourd’hui », souligne Mafort.

Atiliana Bruneto, coordinatrice nationale sur les questions de genre au MST, souligne que la mobilisation des femmes sans-terre est le fruit d’un processus d’organisation qui s’est déroulé ces cinq dernières années.

« Cela fait déjà cinq ans que les camarades et nous-mêmes grandissons à travers ce processus d’organisation et de lutte qui aspire à thématiser la question des femmes et des violences faites contre les femmes. Le MST n’est pas hors de cette société, il porte en lui les stigmatisations de la société capitaliste. C’est donc de l’intérieur que nous voulons dire : ça suffit. Un jour nous pourrons peut-être dire que sur nos territoires, il n’y a plus de violences faites contre les femmes. C’est une chose que nous espérons beaucoup pouvoir dire. C’est dans cette perspective que nous allons lutter pour assurer le respect, l’égalité et la solidarité pour les femmes et la population entière », souligne Bruneto.

Réforme agraire

L’action des femmes du MST au Ministère de l’Agriculture à Brasilia © MST

La manifestation à Brasilia a eu pour but de dénoncer le démantèlement de la politique de réforme agraire au Brésil.

« Jair Bolsonaro [président brésilien ] travaille contre les sans-terre et au service des grands propriétaires terriens. La mesure provisoire 910 vise à remettre plus de 70 millions d’hectares de terres publiques aux mains des entreprises de l’agro-industrie et des grands propriétaires terriens. », explique Mafort.

La coordinatrice nationale du MST affirme que les politiques de réforme agraire « ont été démantelées » par des mesures comme le décret n° 10.252 qui limite les actions de l’Institut National de Colonisation et de Réforme Agraire (Incra).

Le décret met fin au Programme National d’Éducation sur la Réforme Agraire (Pronera), au programme « Terra Sol » et à d’autres programmes qui apportaient du soutien aux occupant·es des terres conquises (assentamentos), des quilombos [1] et aux communautés de petit·es paysan·nes.

« Jair Bolsonaro ne veut pas que les gens de la campagne étudient, il ne veut pas que les gens aient une terre et c’est ce que nous sommes venues dénoncer. Pour nous, l’action a été très positive, nous avons transmis notre message, nous avons occupé l’espace, nous avons montré nos symboles et maintenant nous rentrons dans nos États », signale Mafort.

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Dans une note, le MST affirme que le gouvernement Bolsonaro « est déterminé à privatiser les terres et à promouvoir la dévastation de l’environnement ».

« Un exemple est la mesure provisoire 901/19 qui, en pratique, empêchera la protection environnementale de la flore sur 4 745 hectares dans les États de l’Amapa et du Roraima pour ouvrir ces zones à l’exploitation minière. La mesure que l’on surnomme déjà « mesure d’accaparement des terres » (mesure provisoire 910/19) assouplit les règles de régularisation foncière. Elle permet donc de céder des zones publiques faisant jusqu’à 2 500 hectares à des envahisseurs pour des prix dérisoires correspondant à 10 % du prix de la terre nue, en infraction à la loi. Ces envahisseurs profitent de cette possibilité pour accaparer criminellement ces terres », indique le MST dans un texte distribué à la presse.

Agriculture familiale et sécurité alimentaire

L’action avait pour objectif de dénoncer les politiques du gouvernement Bolsonaro en matière d’économie, de terre et d’agriculture © MST

Le MST indique également que les politiques du gouvernement actuel affectent directement l’alimentation de la population brésilienne du fait de l’abandon des programmes en faveur de l’agriculture familiale et de la sécurité alimentaire et nutritionnelle, comme dans le cas du programme d’acquisition des aliments (PAA). L’année dernière, le montant attribué par le PAA, grâce au financement du ministère de la citoyenneté, avait été de R$ 188 millions. Pour cette année la prévision est de seulement R$ 101 millions.

« Malgré les efforts de l’actuel gouvernement pour masquer le fiasco de la politique économique, les brésilien·nes ressentent déjà clairement la chute des investissements publics. Ces derniers, qui dépassaient R$ 66 milliards entre 2012 et 2014, vont vraisemblablement chuter en dessous de R$ 20 milliards en 2020. C’est dans ce contexte que le chômage multiplie le nombre de personnes découragées, sans toit et sans nourriture », informe le MST via un communiqué de presse.

Atiliana Bruneto, membre de la coordination nationale sur les questions de genre au sein du MST, rappelle qu’une alimentation saine concerne la société dans son ensemble et non seulement les sans-terre.

« Nous nous sommes mises d’accord que cette année nous allons lutter pour affaiblir et démanteler ce gouvernement qui répète les attaques violentes contre les populations les plus pauvres. Il a par exemple mis fin à la démarcation des terres indigènes et il empêche la réforme agraire via plusieurs mesures. Nous sommes allées au ministère de l’agriculture parce que c’est notre lutte, mais c’est la société dans son ensemble qui a besoin de manger sainement. C’est donc une lutte qui concerne autant le territoire urbain que le rural. », affirme Bruneto.

Titres de propriété individuels

Pendant l’action, les travailleuses ont dénoncé la distribution en cours de titres de propriété individuels des parcelles de terre destinées aux bénéficiaires de la réforme agraire. C’est ce que l’on nomme la titularisation des terres et qui, d’après elles, consiste en une privatisation de ces zones. La manifestation a également mis en exergue les coupes dans les investissements publics et la course aux autorisations des pesticides engagées par le gouvernement Bolsonaro.

Concernant la distribution des titres de propriété individuels des parcelles de terre pour les bénéficiaires de la réforme agraire, concrètement, l’action régularise la vente des parcelles issues de la réforme agraire et remet à l’Institut National de la Colonisation et de la Réforme Agraire (Incra) la responsabilité concernant les espaces collectifs situés sur les terres conquises (assentamentos), où se trouvent les écoles et les centres de formation gérés par le MST.

Le ministère public demande des clarifications concernant le programme Pronera

Les femmes du MST dans le Ministère de l’Agriculture à Brasilia © MST

Vendredi 6 mars, le ministère public fédéral des droits du citoyen (PFDC) a demandé au ministère de l’agriculture, de l’élevage et de l’approvisionnement (Mapa) des informations quant aux dispositions adoptées afin de garantir ressources humaines, organisationnelles et budgétaires pour la gestion du Programme National d’Éducation à la Réforme Agraire (Pronera).

Dans le document adressé à la ministre Tereza Cristina, le PFDC indique qu’il y a actuellement d’énormes incertitudes quant à l’administration qui sera responsable de la gestion du Programme National d’Éducation à la Réforme Agraire et rappelle que, conformément au décret 9.667 – publié le 2 janvier 2019 et abrogé par le décret 10.253 du 20 février 2020 –, le ministère est responsable de « promouvoir l’éducation rurale appliquée au développement de l’agriculture familiale ».

« Conformément à l’article 214 de la constitution fédérale, l’éducation doit être organisée sous la forme de plans décennaux précisément pour garantir la planification – et les apports en ressources humaines organisationnelles et budgétaires nécessaires – et ainsi empêcher les interruptions », indique le document signé par la procureuse fédérale des droits du citoyen, Deborah Duprat.

Éducation rurale

Le programme national d’éducation à la réforme agraire est une politique publique d’État, développée de manière ininterrompue depuis 1998 et consolidée par la loi 11.947/2009. Cette initiative a pour objectif la démocratisation de l’accès à l’éducation, via l’alphabétisation et la scolarisation de jeunes et d’adultes, mais également la formation d’éducateur·trices pour les écoles rurales, la formation professionnelle et technique de niveau secondaire et supérieur, de résidences agraires et de masters.

Entre 1998 et 2011 seulement, ce sont plus de 164 000 apprenant·es qui ont bénéficié du Pronera sur les terres conquises. Les données de la deuxième enquête nationale sur l’éducation à la réforme agraire, produite en 2015 par l’Institut de Recherche Économique Appliquée (Ipea) indique que le programme a promu 320 cours au travers de 82 établissements éducatifs situés dans 880 communes dans tous les États du Brésil.

Vidéo 2 :  "« Jair Bolsonaro travaille come les sans-terre et au service des grands propriétaires terrien », déclare le MST Sem Terra" (en portugais)

Voir en ligne : Brasil de Fato

[1Les quilombos sont des communautés constituées de descendant·es d’esclavisé.es qui se sont enfui·es et caché·es pendant l’esclavagisme au Brésil.

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