Les favelas, ces lieux historiquement traités avec négligence par les gouvernements, n’ont pas vu leur situation s’améliorer avec la pandémie. Aux problèmes déjà existants, violences policières, absence de l’État, précarité des services publics, sont venus s’ajouter l’épidémie de Covid-19 et ses conséquences. Pourtant, depuis ces derniers mois, nous avons peu parlé de ces communautés. Si la sous-déclaration des décès est claire dans tout le Brésil, le manque de transparence des données officielles concernant les favelas les relègue au rang de laissé-pour-compte.
Dans ce contexte, une initiative a contribué à mettre la lumière sur ce qui arrive réellement aux couches les plus pauvres de la population urbaine. Avec l’aide d’un réseau d’entités locales, la Comunidades Catalisadoras [1] a commencé à collecter des données sur place et à organiser un Hub Unificateur de données sur la Covid-19 à Rio de Janeiro, renouvelé toutes les deux semaines et disponible pour consultation publique sur Internet.
Les données sont désastreuses : avec 3 285 décès enregistrés jusqu’à la fin de cette édition, les favelas de Rio totalisent plus de décès que 162 pays. Non seulement des nations riches, comme le Danemark (2 338 morts) ou l’Australie (909), mais également des voisins comme le Paraguay (3 065) et le Venezuela (1 316).
Ce chiffre ne surprend pas ceux qui suivent la situation de près. « Le fait que les favelas d’une seule ville brésilienne comptent plus de morts que dans plusieurs pays montre clairement le degré d’inégalité que nous connaissons. Cette négligence est le fruit de l’Etat et ce depuis l’esclavagisme », affirme Theresa Williamson, directrice exécutive de ComCat.
Pour André Constantine, habitant du Morro da Babilônia et membre du Mouvement National des Favelas et Périphéries, la pandémie est « venue renforcer les problèmes sociaux et raciaux » du Brésil :
« En ce qui concerne les favelas, c’était très clair. Cette histoire selon laquelle « nous sommes tous dans le même bateau » est un faux discours. Nous sommes tous confrontés à cette même tempête, sauf que certains le sont depuis des yachts luxueux et d’autres depuis des canaux de sauvetage. Les noirs, les pauvres, les habitants de la périphérie ou des favelas, eux sont à la dérive en marée haute, essayant de s’accrocher à la bouée de sauvetage. Ça, c’est la réalité des favelados de Rio de Janeiro ».
L’idée du Hub Unificateur est née lorsque ComCat, qui dirigeait le projet RioOnWacht avec des journalistes et des communicants locaux, a mis en lumière le décalage entre les données officielles et les informations réelles des communautés.
En juillet, ces données se sont unifiées à travers un hub de données commun après qu’une entreprise fabriquant des outils cartographiques pour les mairies ait accepté de travailler volontairement. Ce travail est devenu un véritable instrument pour lutter contre une sous-déclaration évidente.
« Il s’est passé quelque chose d’intéressant dans les favelas au début de la pandémie. Lorsque quelqu’un mourrait de la Covid-19, et que cela était confirmé par la Clinique de Famille, les proches préféraient garder la raison secrète. Cela a rendu le recueil de données difficile. Nous savons que plusieurs personnes sont mortes du virus, mais sur le certificat de décès il est indiqué insuffisance respiratoire. Cela a été fait pour camoufler les chiffres, je n’en ai aucun doute », affirme André Constantine.
« Le nombre de morts des favelas de la ville a été plus important que dans 162 pays »
Selon ComCat, la sous-déclaration est claire :
« Nous savons, grâce à des réunions avec les leaders locaux, qu’il y a une importante sous-déclaration. Le manque de tests dans les favelas a toujours été, et continuera à être, plus important qu’en dehors », pointe Theresa Williamson.
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« De plus, des médecins expliquent eux-mêmes que dans certains cas le décès était probablement dû à la Covid-19, mais si cela avait été inscrit sur le certificat de décès, il n’aurait pas été possible d’enterrer le défunt comme l’aurait souhaité la famille. Nous avons de nombreux rapports de ce type et nous avons également des rapports de personnes qui ne veulent pas déclarer que le proche est décédé de la Covid-19 parce qu’elles craignent que les voisins stigmatisent la famille. Nous savons avec certitude qu’il y a eu une importante sous-déclaration et que le décompte dans les favelas a été bien plus inférieur qu’ailleurs. Nous savons qu’il y a eu beaucoup de décès à domicile. Des décès qui ont été déclarés pour d’autres raisons, car les personnes n’ont jamais fait de test Covid-19 et qu’elles n’ont jamais eu de confirmation officielle », ajoute la directrice exécutive de l’organisation.
Hormis la présence policière habituelle, dit Constantine, peu de choses ont été remarquées par l’État au cours des 11 derniers mois.
« Outre le manque d’eau, le secteur public n’a pas fourni d’aliments ou de médicaments, ni de quelconque soutien d’urgence aux territoires les plus pauvres et les plus précaires en termes d’assainissement de base. Tout cela facilite la propagation de la Covid-19 au sein des favelas, des lieux à forte densité démographique avec un manque de ventilation et de soleil. Il y a des foyers d’une seule pièce où vivent 10 ou 15 personnes. Les favelas demandent du pain à l’État, mais l’État nous envoie le Caveirão (véhicule blindé utilisé par la BOPE) et l’hélicoptère blindé. »
Le leader de la communauté ajoute :
« La situation n’est pas pire car les favelas se sont organisées. Ici, à Babilônia, nous avons mis en place un financement participatif et nous avons réussi à acheter deux équipements pour démarrer un travail d’assainissement des allées, rues et ruelles de la favela. Nous avons distribué des kits d’hygiène et de nettoyage, nous avons installé un panneau avec le nombre de cas et de décès. Nous avons fait un travail de conscientisation quant à l’importance de l’isolement social à l’aide de brochures. La situation n’est pas pire, et c’est seulement grâce à une forte solidarité ici au sein de la communauté. »
Au milieu de tant de problèmes, la mobilisation des favelas a été encensée par le député d’État Waldeck Carneiro, du Parti des Travailleurs, qui accompagne les drames des favelados.
« Malgré l’augmentation des cas et des décès dans ces territoires, il est important de souligner que dans ce contexte de pandémie, un puissant réseau de solidarité a été construit par les collectifs, les associations et les mouvements locaux, pour palier à l’absence habituelle de l’État et des pouvoirs publics. Il n’y a pas de présence régulière et structurante de l’État pour pouvoir déclencher ses actions. Les réseaux et les collectifs ont commencé à jouer un rôle encore plus important, sauvant des vies, guidant et contribuant aux stratégies de prévention. »