Dans le contexte social actuel, le conflit entre Luiz Inácio Lula da Silva Parti des Travailleurs (PT) et Jair Bolsonaro Parti Libéral (PL [1]) n’est plus une affaire de partis, mais de groupes sociaux luttant pour des droits et une reconnaissance. C’est ce qu’observe Felipe Nunes, directeur de Quaest Pesquisa e Consultoria, professeur à l’Université fédérale du Minas Gerais, spécialiste des analyses d’enquêtes et des réseaux sociaux.
Ce vendredi (3 juin), le politologue a publié sur son compte Twitter des données partielles de la 11ème enquête sur les élections réalisées par Genial/Quaest, (enregistrée au Tribunal Supérieur Electoral (TSE) sous le numéro BR-01603/2022) qui sera publiée mercredi prochain (8 juin). Selon M. Nunes, la nouvelle étude montre ce que l’on appelle conventionnellement la « polarisation » dans la dispute entre les deux principaux candidats à la présidence de la République - Lula et Bolsonaro. Celle-ci prend une autre dimension lorsque l’on compare les électeurs de l’ancien et de l’actuel Présidents, par région, race, sexe, revenu et religion.
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L’enquête réalisée par ce cabinet conseil en mai dernier montre que Lula était en première position avec 46 % des intentions de vote, suivi de Bolsonaro avec 29 %. Ensemble, ils totalisent 75 % des intentions de vote, ce qui fait que la course au Palácio do Planalto [2] devrait se jouer entre ces deux candidats. Et l’électorat de ces deux candidats appartient à des groupes sociaux opposés. La 11ème enquête d’opinion indique que si le pourcentage d’intentions de vote des hommes est également réparti entre Lula (39%) et Bolsonaro (42%), la plupart des femmes préfèrent Lula (50%) à l’ancien capitaine [3] (24%).
Groupes et façons de penser opposés
Il en va de même lorsque les intentions de vote prennent en compte la variable du revenu. Les riches sont partagés entre l’ancien Président (36%) et le président actuel (43%). Mais les pauvres (jusqu’à deux salaires minimums) sont plus enclins à voter pour Lula (56%) que pour Bolsonaro (22%). En ce qui concerne la race, les blancs apportent leur soutien autant à Lula (39%) qu’au candidat du PL (37%). Mais les noirs votent davantage pour Lula (59 %) que pour Bolsonaro (23 %).
Selon ce chercheur, la division sociale devient plus évidente quand on compare les électorats catholique et évangélique. Si Lula recueille le taux d’intention de vote le plus élevé parmi les catholiques -53% contre 27% pour Bolsonaro - il ne recueille que 30% de préférence chez les évangéliques contre 47% pour le président actuel.
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L’analyse par région montre que
- le Nord-Est vote pour Lula (61%, contre 22% pour Bolsonaro)
- le Sud les intentions de vote sont plus partagées (39% pour le pré-candidat du PT et 41% pour celui du PL).
"On voit bien que les élections de cette année opposent deux Brésils", souligne M. Nunes.
L’enquête souligne également qu’en plus d’appartenir à des groupes sociaux différents, les Brésiliens qui votent pour Lula ont des opinions opposées à ceux qui votent pour Bolsonaro, notamment en ce qui concerne les décès dus à la pandémie de covid-19 et les questions économiques liées à l’inflation et au chômage. Une partie des données, communiquées par la journaliste Thais Oyama, du portail UOL [4] , montre que 85% des électeurs de Lula pensent que les décisions prises par Bolsonaro étaient mauvaises. Mais seulement 16% des électeurs de l’actuel président partagent cette affirmation.
"Deux Brésils"
Les désaccords sont également nombreux au sujet de l’évaluation de la situation économique du pays. Au moins 80% des électeurs de Lula pensent qu’elle s’est aggravée. Alors que seulement 28% des électeurs de Bolsonaro disent la même chose. Selon la journaliste, la majorité de ces derniers estime que celle-ci devrait s’améliorer et que l’inflation « est un problème qui se produit partout dans le monde » et c’est de cette manière qu’elle « absout » le président de toute responsabilité.
"Si quelqu’un avait des doutes, ces données montrent que la polarisation politique s’est transformée en polarisation sociale. Le conflit ne se situe plus entre des partis, mais entre des groupes sociaux qui se battent pour des droits, des privilèges, des garanties et des ressources qui sont limitées. Personne ne voudra perdre...", commente le directeur de Quaest.
Bien que cette polarisation politique soit plus évidente en cette année d’élections, Bruno Carazza, titulaire d’un master en économie et docteur en droit, indiquait, dans une colonne du journal Valor Econômico, à la fin du mois de mai, que depuis 2006, il existe un « clivage social très net dans les préférences électorales ». Selon Carazza, entre 1994 et 2010, les présidents élus (Fernando Henrique Cardoso et Lula) apparaissaient dans les sondages avec une marge élevée d’intentions de vote dans toutes les catégories d’électeurs regroupés selon les critères habituellement utilisés tels que l’âge, le sexe, l’éducation, le revenu et la région.
Cela a changé avec la réélection de Lula, lorsque, au second tour, Geraldo Alckmin (alors affilié au Parti de la Social Democratie Brésilienne _ PSDB), n’avait obtenu que 39,17% des voix contre 60,83% pour Lula. Ce deuxième tour a montré un avantage pour Alkmin parmi les électeurs ayant un niveau d’éducation plus élevé (53% contre 47%), parmi ceux qui avaient des revenus mensuels supérieurs à 10 salaires minimums (56% contre 44%) et parmi la population de la région Sud (52% contre 48%). Depuis lors, selon ce chroniqueur, cette tendance n’a fait que s’amplifier. Et, dans le cas du PT, l’électorat des femmes, des jeunes, des personnes à faible revenu, celles n’ayant qu’une éducation élémentaire et les habitants du Nord-Est s’est consolidé.