Intervention de Guilherme Mansur Dias [1] , lors de l’évènement organisé par Autres Brésils, le 17 mai à la maison de l’Amérique latine, autours de la sortie du livre : "Quilombos, communautés d’esclaves insoumis au Brésils", Flávio dos Santos Gomes.
Le lancement du livre Communautés d’esclaves insoumis au Brésil (Editions L’échappée), écrit par l’historian Flávio dos Santos Gomes et traduit du portugais par Georges Da Costa, est une excellente occasion pour les lecteurs francophones de connaître la richesse de l’histoire des communautés marronnes au Brésil. Appelées quilombos, ces communautés sont présents dans différentes parties du pays, à travers leurs descendants, qui lutte jusqu’à aujourd’hui pour la reconnaissance de leurs territoires traditionels et propres modes de vie.
Mon contact avec le travail de Flávio Gomes a eu lieu lors de l’élaboration des rapports d’identification territoriale des communautés quilombolas. Depuis 2008, j’ai participé activement à la mise en “eu” œuvre des politiques de régularisation des territoires quilombolas pendant plus de cinq ans dans le cadre du gouvernement fédéral brésilien.
À cette époque là, il y avait un consensus entre les avocats et les bureaucrates, par rapport à une division entre les quilombos « historiques » et les « autres » quilombos. Comme si les revendications des quilombos transcrites par une historiographie officielle étaient plus légitimes que celles des « autres ». Ce débat faisait écho à la relation difficile entre un droit positiviste et les sciences sociales, en particulier l’anthropologie.
L’oeuvre de Flávio Gomes nous a aidés à relativiser tous ces présupposés dans le domaine de l’historiographie, en montrant comment l’historiographie de l’esclavage au Brésil se concentrait sur les grands quilombos, en prêtant peu d’attention aux petits et moyens quilombos, qui représentaient une grande diversité aux quatre coins de la Colonie.
Ces quilombos étaient agricoles, extractivistes (cueilleurs), marchands, miniers, pastoralistes, prédateurs, suburbains, etc. S’il y avait un problème, dans ce cas, c’était la source de l’historiographie officielle, s’appuyant presque exclusivement sur des rapports de police ou des forces répressives.
En fait, l’histoire officielle des quilombos au Brésil était l’histoire écrite par ceux qui étaient chargés de les combattre et de les détruire, c’est-à-dire la police et les instances colonisatrices. Et si de nombreux documents de répression étaient écrits dans ce sens, c’était parce qu’il y avait énormément de difficulté à les combattre : les quilombolas faisaient peur aux autorités, aux agriculteurs et même aux autres esclaves.
Les quilombos ont également fonctionné comme un pôle d’attraction à la fois des forces répressives et des autres esclaves en fuite pour s’y réfugier, nourrissant une grande inquiétude et une grande peur pour les secteurs dominants de la société coloniale. Tout cela a répondu à l’ampleur du commerce des esclaves dans les Amériques et correspondait au dicton qui disait que... "là où il y avait de l’esclavage il y avait de la résistance".
L’esclavage dans les Amériques était une entreprise commerciale et culturelle majeure qui constitue la base du monde moderne et du système économique mondial. Plus de 10 millions d’Africains ont été amenés d’Afrique vers le continent américain, avec environ 40% d’entre eux seulement pour le Brésil.
Flávio souligne le fait que les premiers Africains des Amériques ont été les véritables pionniers, adaptant les langues, le logement, la nourriture et les cultures. Ses études et celles d’un ensemble d’auteurs contemporains se sont heurtées à la notion d’isolement des quilombos :
“La base de l’économie des quilombos – quels que soient le lieu et la période concernés – fut l’ouverture sur l’extérieur (…) Les communautés marronnes du Brésil se sont développées grâce à leurs interactions régulières avec les acteurs économiques des régions où elles étaient implantées : taverniers, paysans, chercheurs d’or, pêcheurs, colporteurs et autres vendeurs ambulants” [2] .
Par conséquent, les quilombos n’ont jamais été isolés en marge du système esclavagiste. Ils ont toujours créé un monde souterrain en interaction avec l’esclavage, dont la caractéristique centrale était la lutte pour l’autonomie. Je cite une fois de plus l’auteur :
“Les liens économiques établis par ceux qui vendaient leurs produits dans les villes avoisinantes permettaient la circulation des informations, le mélange des cultures entre esclaves des zones urbaines et rurales, et la constitution d’une paysannerie réunissant petits paysans, déserteurs, esclaves, affranchis, indigènes, marchands, ambulants et taverniers” [3] .
Un tel modèle organisationnel et politique était ancré dans des aliances passées avec des esclaves assidus, des affranchis et même des personnes libres, basées sur des relations d’échange de toutes sortes, y compris affectives.
La notion d’isolement géographique associée aux quilombos renvoie à la définition de « quilombo » donnée par le Conseil d’outre-mer en 1740, qui définissait le quilombo comme tout rassemblement de plus de cinq esclaves fugitifs, qu’ils aient ou non construit des huttes. Une telle définition a traversé les périodes coloniales, impériales et républicaines, établissant ce qui devrait ou ne devrait pas être considéré comme un quilombo.
Selon l’historien, l’historiographie brésilienne sur les quilombos a également renforcé une idée de la marginalisation et de l’isolement des quilombos. Gomes souligne deux points de vue majeurs à cet égard.
La premier grande vision, de préjugé culturaliste, ne considérait les quilombos que comme une résistance culturelle. Ceci est représenté par des auteurs tels que Nina Rodrigues, Arthur Ramos, Edison Carneiro, Roger Bastide, etc. Dans celui-ci, il y avait l’impulsion de trouver des « survivances africaines » dans les quilombos, réifiant ou essentialisant leurs identités.
Une deuxième vision, d’inspiration matérialiste, privilégierait la résistance, mais continuerait à traiter les quilombos comme des entités isolées et marginalisées, et les rebelles comme incapables d’acquérir un certain niveau de conscience de classe. Ceci est représenté par Clóvis Moura et plus tard par Luís Luno, José Alípio Goulart et Décio Freitas.
Déjà en 1988, lor(s) de la rédaction de la Constitution fédérale brésilienne en vigueur, la notion de quilombo associée à l’isolement et à l’habitat résiduel était très présente. L’article 68 de l’Acte des dispositions constitutionnelles transitoires de la Constitution stipule : « Aux rémanents des communautés des quilombos occupant les terres est reconnue la propriété définitive, l’État devant émettre leurs titres respectifs ».
En tout cas, les diverses mobilisations du mouvement noir ont contribué à inscrire dans la Constitution des articles garantissant la régularisation foncière et la protection culturelle des communautés quilombolas (Articles 215 et 216). Avec ces droits inscrits dans la Constitution, nous avons assisté au cours des 30 dernières années à un processus de re-définition de la notion coloniale de quilombo, dans laquelle les travaux des anthropologues et des historiens ont été fondamentaux.
Le quilombo cesse donc de représenter quelque chose de résiduel, pour décrire les communautés noires rurales qui existent dans le présent et qui sont définies par les différentes stratégies d’autonomie, refusant la soumission forcée à des tiers [4] .
Peu importe si le quilombo est situé loin ou près des grandes maisons ou des autres aspects formels de la définition de la période coloniale. Plus important sont les avancées suivantes : le degré d’autonomie que ses membres ont historiquement acquis et la territorialité spécifique qu’ils ont construite socialement dans des actes de résistance successifs. Tout cela a abouti à une identité collective consolidée et à la garantie de la persistance des frontières des Quilombos.
Dans le cadre de ce processus, la re-definition de la notion de quilombo donne lieu à une interprétation positive. Pendant des décennies, ces communautés ont été si stigmatisées que leurs résidents ont refusé de s’identifier comme des quilombolas ou d’anciens esclaves.
Au contraire, nous voyons aujourd’hui dans tous les coins du pays l’expansion des personnes qui se reconnaissent comme des quilombolas : si en 1988, un total de 50 communautés ont été estimées dans le pays (interprétées comme archaïques, résiduelles et traitées comme un objet de politique culturelle) ; en 2018, le mouvement quilombola parle de l’existence de quelque 6.000 communautés qui luttent pour la reconnaissance et la régularisation des terres.
Les défis pour la reconnaissance de l’héritage de ces peuples sont énormes et, peut-être le plus grand d’entre eux, est précisément la concrétisation d’une politique de reconnaissance de leurs territoires traditionnels.
La Politique de reconnaissance des communautés quilombolas
Le sujet du droit des quilombolas à leurs territoires traditionnels n’a jamais été abordée dans l’espace public ; de l’abolition de l’esclavage (1888) jusqu’à la Constitution fédérale de 1988. Pendant cent ans, le terme quilombo a été oublié par les documents officiels de l’état brésilien.
Ce n’est que dans la Constitution de 1988 qu’il réapparaît, toujours avec le sens du résidu et du site culturel. Et même avec l’introduction des articles constitutionnels en 1988, ce n’est qu’en 2003 qu’un décret fédéral a été créé avec de véritables instruments de régularisation des territoires quilombolas.
Mais pourquoi une politique territoriale spécifique pour les communautés quilombolas ?
Selon le dernier recensement agricole de l’Institut brésilien de géographie et de statistique (IBGE), em 2010, 9% des propriétaires ruraux concentrent 78% des terres agricoles au Brésil. Les communautés quilombolas ne font évidemment pas partie de ces 9%.
La concentration des terres dans le pays entraîne l’invisibilité des Noirs à la campagne et une insécurité juridique immense quant à la possession de leurs terres, puisque beaucoup d’entre eux n’ont pas de document de propriété officiel.
Il convient de rappeler qu’après l’abolition de l’esclavage (en 13/05/1888), il n’y a pas eu d’initiative pour intégrer les descendants d’esclaves dans la société brésilienne. La fin de l’esclavage est venue sans aucune forme de compensation pour les anciens esclaves et, surtout, sans réforme agraire.
En particulier, le manque d’accès à la terre a entraîné des expropriations et des violences constantes qui marquent le monde rural à ce jour : Pour la seule année de 2017 il y a eu 70 homicides dans les campagnes, dont 28 étaient le résultat de massacres [5] . Quatorze de ces morts étaient des quilombolas. Cette situation est le résultat d’années d’omission de l’État et de conflits sur les territoires traditionnels.
Les Quilombolas souffrent actuellement de la pression croissante des secteurs agro-industriels et miniers sur leurs territoires, ainsi que de grands projets de développement, tels que des centrales hydroélectriques, des lignes de transmission, des parcs éoliens, etc. Sans parler de l’action plus banale des spéculateurs immobiliers.
Après une série de mobilisations remontant aux années 1980 (notamment dans les états du Pará et du Maranhão), les quilombolas ont créé un mouvement national, aujourd’hui représenté par la CONAQ (Coordination Nationale de l’Articulation des Communautés Quilombolas). La pression du mouvement noir et des quilombolas a abouti à la rédaction du décret 4.887, en vigueur depuis 2003, qui prévoit la régularisation des territoires traditionnels, avec l’expropriation des non-quilombolas.
Le décret repose sur deux points fondamentaux : Le premier d’entre eux est l’auto-attribution. Autrement dit, la définition de quilombo considérée pour l’application du décret n’est pas externe. Elle est donné par le groupe ou l’individu qui se reconnaît comme un quilombola. Ce principe a été incorporé dans le système juridique brésilien après la ratification de la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT).
Le deuxième point tout aussi important est que le décret prévoit la régularisation non seulement des zones physiquement occupées, mais des territoires ancestraux et importants pour la reproduction physique, économique, sociale et culturelle des communautés.
Pour cela, il est nécessaire de faire un étude cohérente d’identification territoriale, généralement menée par des professionnels des sciences humaines (anthropologues, sociologues, historiens) et qui vise à justifier l’occupation et les limites des territoires traditionnels.
En pratique, une telle législation reconnaît des territoires collectifs au nom d’une association, en retirant des terres individuelles du « marché foncier », puisque, après régularisation, ces terres ne peuvent plus être vendues, saisies ou fractionnées. Un tel dispositif vise à éviter la déclassification des territoires traditionnels.
Ce processus juridique implique différentes étapes et les acteurs les plus divers : les agences du gouvernement fédéral, les communautés quilombolas, les propriétaires, les gouvernements et les autorités locales, le pouvoir judiciaire et la Présidence de la République.
Le processus de régularisation est plutôt lent, et souvent cette lenteur finit par attiser les tensions et occasionne des risques pour les dirigeants et les personnes impliquées. En bref, la législation est très avancée mais aussi très difficile à mettre en pratique.
Une autre difficulté, dans ce cas, est financière et liée à volonté politique. Selon la législation, les propriétés privées avec des titres enregistrés doivent être indemnisées à la valeur du marché. Dans le contexte politique actuel au Brésil, le budget de la politique quilombola a été sérieusement affecté.
Les prévisions budgétaires pour la mise en œuvre de la politique, qui était en 2010 d’environ 10 millions de reais (2,5 millions d’euros), sont seulement aujourd’hui d’1 million trois cent mille reais (environ 300 mille euros). Dans le cas des ressources d’acquisition des terres, les valeurs ont diminué encore plus radicalement (Les previsions de 54 million de reais en 2010 ont bassé a 1 million en 2018) [6] .
En plus de la question du budget, le plus grand défi pour la mise en œuvre effective de la régularisation des territoires traditionnels de quilombo vient de ses principaux adversaires. Ces derniers sont incarnés par l’agrobusiness et les activités liées à l’exploitation minière, qui se reflètent dans les puissants lobbies du Congrès national brésilien.
Le "groupe ruraliste", qui est l’un des membres les plus importants et les plus actifs des parlementaires, aujourd’hui avec plus de 200 députés sur les 500 que compte la Chambre des députés, a entrepris d’autres actions pour empêcher la mise en œuvre d’une telle politique.
Entre 2003 et 2016, ils ont présentés divers projets de décret législatif visant à annuler les actes de l’exécutif en disant que le pouvoir exécutif a outrepassé ses droits en la matière. Ils ont également soumis un projet d’amendement à la Constitution (PEC 215) pour transférer au Congrès national l’autorité sur l’attribution des titres de territoires indigènes et de Quilombolas. Dans le domaine de la justice, ils ont proposé une action directe d’inconstitutionnalité pour annuler le décret, qui a été rejeté par la Cour suprême seulement maintenant, en 2018.
Les actions des parlementaires ont également abouti à une commission d’enquête parlementaire qui a inculpé plus de quatre-vingt-dix professionnels impliqués dans la régularisation des territoires autochtones et des quilombolas. Parmi ces inculpés des procureurs, des fonctionnaires et des anthropologues responsables des études d’identification territoriale. Une telle action avait clairement l’intention de criminaliser les performances de ces professionnels dans le cadre des processus de reconnaissance territoriale.
De telles actions ne font qu’actualiser les pratiques d’une élite agraire qui s’est perpétuée au pouvoir depuis la période coloniale. En effet, les enjeux d’aujourd’hui sont très proches de ceux lancés par Joaquim Nabuco, Luís Gama, André Rebouças et les autres abolitionnistes. Cela montre simplement que les problèmes structurels légués par le passé esclavagiste n’ont pas changé pendant toutes ces années.
Après une période de plus de trois cent ans d’esclavage, certaines populations souffrent encore quotidiennement des effets du système esclavagiste. Les inégalités sociales dans le pays sont parmi les plus importantes au monde et la population noire continue d’être associée aux pires indicateurs socio-économiques [7] . Depuis l’abolition de l’esclavage, il y a eu un processus constant d’exclusion de la population noire et la reproduction d’une série de violences, qui sont récurrentes.
En ce sens, l’une des plus grandes contributions du travail de Flávio Gomes est peut-être de nous situer historiquement, en présentant les racines d’une grande partie de cette violence, mais aussi les caractéristiques et les tactiques de ceux qui s’y sont toujours opposés.
Le travail de l’historien montre les quilombos comme un phénomène hémisphérique (présent dans toute l’Amérique) et montre comment la société esclavagiste a connu de nombreuses formes de protestations, d’insurrections, de rébellions, d’assassinats, de fugues. Sans parler des formes plus subtiles de résistance passive, telles que la lenteur dans l’exécution des tâches ou la négociation de journées de travail pour leur bénéfice personnel.
Les défis pour la consolidation des droits territoriaux et de la citoyenneté des peuples et communautés quilombolas au Brésil sont immenses. Mais la reconnaissance est sans aucun doute une étape clé. L’histoire faite par Flavio Gomes ouvre une grande diversité des caractéristiques et formation des quilombos aux périodes coloniale et impériale, ce qui renforce les revendications de ses descendants aujourd’hui.
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Santa Rosa dos Pretos, Vale do Mearin, Maranhão
Monge Belo, Vale do Mearin, Maranhão
Monge Belo, Vale do Mearin, Maranhão
Monge Belo, Vale do Mearin, Maranhão
Cachoeira Porteira, Alto Trombetas, Pará