Les conflits pour l’obtention d’un logement sont en augmentation au Brésil

 | Par Luis Brasilino

Source : Le Monde diplomatique Brasil n° 57, Février 2012

Traduction : Roger GUILLOUX

Le Monde diplomatique Brasil – A votre avis, il y a-t-il eu une augmentation des conflits liés au logement au cours de ces dernières années au Brésil ? Quelle lecture faites-vous de la conjoncture actuelle ?

Raquel Rolnik – Nous vivons une sorte de paradoxe. Pourquoi un paradoxe ? Parce que, jamais au cours des dernières décades, avons-nous connu des investissements publics avec un budget et un financement d’une telle ampleur destinés à la construction de logements et même pour les créneaux de revenus de moins de trois salaires et de trois à cinq salaires minimums [1], ceux qui, historiquement, représentent la part la plus importante de la demande d’intervention des pouvoirs publics. Au niveau du gouvernement fédéral, il existe un gros budget destiné au logement dans le cadre du programme Minha Casa Minha vida [2] , et du programme d’urbanisation des favelas intégré au P.A.C [3]. (Programme d’Accélération de la Croissance) des favelas.
Par ailleurs, nous disposons d’un cadre juridique de respect du droit au logement. La Constitution définit le droit au logement comme un droit humain et reconnaît le droit de propriété aux occupants de terrains publics ou privés qui n’ont pas eu d’autre alternative à l’accès au logement. Et depuis 1988, une série de lois est venue définir les modalités de cette reconnaissance.
Un troisième élément positif a été l’inclusion des mouvements sociaux en tant qu’interlocuteurs, au niveau de la formulation de politiques publiques ; elle s’est faite par le biais des conseils municipaux et des Etats ainsi que par le Conseil National des Villes.
Et finalement nous avons eu l’approbation, en 2005, du Système National d’Habitation d’Intérêt Social (SNHIS) qui prévoit une structure de concertation entre le gouvernement central, les Etats et les municipalités, incluant un contrôle social, visant à subventionner, avec des budgets appropriés, la construction de logements destinée aux plus nécessiteux.

DIPLOMATIQUE – Ça c’est l’aspect positif.

RAQUEL ROLNIK – Ce sont les éléments positifs. Cependant, l’autre face de la conjoncture, dans la pratique, ce sont les éléments qui ont miné et déconstruit ces avancées. Quels sont-ils ? Premier point, cette étape importante d’expansion et de développement économique que le pays connaît, a donné une forte impulsion aux processus de spoliation et de concentration de la richesse qui, historiquement, étaient liés à la question de l’accès à la terre. Où cela se vérifie-t-il ? Au niveau de l’avancée de la frontière agro-industrielle et minière, avec l’augmentation des conflits d’occupation des terres résultant de l’occupation des ressources territoriales qui sont entre les mains des caboclos [4], des quilombos [5] , des communautés indigènes, etc. Et cette évolution est en opposition frontale avec l’affirmation des droits à la propriété de ces populations. En milieu urbain, en ce qui concerne le logement, nous nous retrouvons face à la contradiction de l’augmentation du crédit et des ressources budgétaires destinés au logement, auquel il faut ajouter la croissance économique elle-même. Dans cette conjoncture, sans aucun contrôle du processus de spéculation immobilière, la canalisation d’une partie de la richesse produite par le pays, à laquelle nous assistons, provoque une augmentation du prix de la terre et du logement. Ceci a avivé les conflits liés à l’accès à la propriété rurale dans deux directions. La première est que cette terre qui jusqu’alors n’intéressait pas le marché, s’est transformée en nouvelle frontière d’expansion de ce marché. De cette manière, les terres qui étaient occupées par des populations pauvres depuis 30, 50, 100 ans qui avaient formé des communautés consolidées, ont fini par intéresser le marché. Ce qui se passe, c’est que la protection des droits des premiers occupants n’est pas respectée et, en ce sens, nous vivons des moments de grands déplacements forcés de ces communautés.
Evidemment, ceci est lié à la politique habitationelle actuelle. Si elle est conçue et mise en pratique comme élément d’une dynamique économique visant à faire face à une éventuelle crise et créer des emplois, elle est complètement déconnectée d’une politique d’aménagement du territoire rural, d’une politique de modernisation de l’espace urbain permettant de viabiliser des espaces bien situés au bénéfice du logement populaire. Voilà où se trouve la contradiction. Le propre développement du crédit et la politique du logement - en l’absence d’une politique d’urbanisme et d’aménagement du territoire, en l’absence de la mise en application de l’Estatuto da Cidade [6] et de mécanismes de contrôle du transfert de la richesse socialement produite vers le milieu rural et vers le logement urbain - ont fini par exacerber ces conflits.
Voilà donc la première dimension des conflits liés à la propriété des terres rurales, conflits qui se traduisent par le déplacement forcé de communautés qui auraient le droit de rester sur leurs terres d’origine ou de recevoir une juste compensation dans la mesure où elles seraient obligées de quitter ces lieux. Ces communautés sont systématiquement expulsées.

DIPLOMATIQUE – Et quelle est l’autre dimension des conflits liés au logement dans les villes ?

RAQUEL ROLNIK – L’autre dimension est liée aux nouvelles occupations de l’espace urbain. En dépit de la disponibilité de ressources dont le pays dispose pour construire de nouveaux logements, le groupe social qui souffre le plus du déficit habitationnel - celui qui dispose d’un revenu familial allant de un à trois salaires minimums, notamment dans les grandes métropoles - n’a pas vu ses besoins pris en considération, car dans ces quartiers, le prix des terrains a fortement augmenté.
C’est pour cette raison que le programme Minha Casa Minha Vida se déroule dans de bonnes conditions dans le Maranhão, le Piaui, le Mato Grosso [7], … En revanche dans les régions métropolitaines de São Paulo et Rio, il n’existe plus de terrains pour construire des logements destinés à cette population à bas revenus. Celle-ci se retrouve sans alternatives, ce qui provoque une tension au niveau des occupations de terrain, tension résultant de l’absence d’options de logement.
Il existe encore un dernier élément qui interagit avec les différents aspects positifs et négatifs mentionnés. En dépit de la mise en place du Système National d’Habitation et du système participatif et de contrôle social du logement, les décisions concernant l’attribution les plus importantes des ressources du programme Minha Casa Minha Vida et du PAC des favelas, ne passent pas par ces conseils, par ce système. Cela met les mouvements sociaux investis dans les questions de logement dans une position délicate. Ils s’étaient beaucoup impliqués dans la construction de ce modèle alors que, en fin de compte, les prises de décisions ne passent pas par ces instances participatives. Elles passent par les interlocuteurs de ce nouveau schéma : pouvoirs exécutifs municipaux et d’Etat et entreprises concernées, celles de la construction civile.

DIPLOMATIQUE – Peut-on dire que l’idée prédominante est celle de l’accès au logement dans une logique de consommation et non dans celle d’un droit humain ?

RAQUEL ROLNIK – L’un des succès majeurs du gouvernement Lula est justement l’insertion dans le monde de la consommation, de secteurs de la population qui, auparavant, étaient marginalisés. Les gens ont maintenant les moyens d’acheter des voitures, des télévisions LCD, de voyager, d’intégrer le marché. Ce modèle d’inclusion par l’accès à la consommation est un thème très cher au mouvement syndical et pour cette raison également très important pour le Parti des Travailleurs et pour le gouvernement mais il a ses limites.
Dès les années 1980 - 1990 – et là, je parle en tant que rapporteur – nous assistons, dans bon nombre de pays, à un glissement de la conception du logement comme droit vers celle d’objet de consommation, un objet qui sera produit et acquis dans le cadre du marché. Ensuite et selon les pays, au-delà du produit, le logement est devenu un bien financier. L’adoption de ce paradigme est l’un des éléments qui a provoqué la crise économique que le monde traverse depuis 2008.
Revenant à votre question, pourquoi cette dimension entre-t-elle en contradiction avec la notion de logement comme droit ? Parce que la logique de production du logement comme marchandise et bien financier implique plusieurs aspects qui vont à l’encontre du droit au logement. L’un d’entre eux est que la vitesse de rotation du capital exigée pour le maintien de ce modèle, conduit à la construction de logements dans la périphérie urbaine là où il n’existe pas de ville, reproduisant ainsi le modèle historique d’occupation des sols.
Le droit au logement ne se réduit pas à disposer de quatre murs et d’un toit au-dessus de sa tête, il est aussi une porte d’entrée vers une qualité de vie décente, une forme d’accès aux autres droits tels que l’éducation, la santé, l’environnement sain, le travail, … En d’autres termes, il ne se résume pas au droit à posséder un bien. Ces deux logiques sont donc contradictoires. Je peux vous donner un exemple des plus banals. J’ai visité, à Porto Alegre, une communauté de ramasseurs de papiers et cartons [8] qui vivaient dans conditions des plus précaires, au centre de la ville. Elle a été déplacée vers un lotissement de niveau supérieur à la moyenne en termes de qualité architecturale et urbanistique, disposant d’une école, d’une crèche, etc. … Je leur ai rendu visite. Ils ont perdu leurs moyens de subsistance ; en effet, comment un collecteur de papier va pouvoir continuer à travailler s’il habite aussi loin de sa source de travail ? Et ces personnes ne peuvent plus payer les factures d’électricité et d’eau … Tout cela prouve donc que la dimension matérielle, l’objet maison, est bien une partie de cette histoire mais elle n’en constitue pas totalité. Penser le logement en tant que droit change complètement cette perspective.

DIPLOMATIQUE – Au Brésil, il existe une quantité d’habitations innoccupées supérieure au déficit habitationnel. La question ne serait-elle pas de mieux gérer ce qui est déjà construit ?

RAQUEL ROLNIK – C’est en effet une donnée choquante. Mais où se trouvent les immeubles innocupés ? Dans les petites villes abandonnées par leurs habitants qui ont migré vers les centres régionaux et les capitales. Il existe des villes avec des taux de 30 à 40% de logements inoccupés. Mais, en chiffres absolus, les grandes concentrations d’immeubles inoccupés se trouvent dans les grands centres urbains. Il est évident qu’une partie de ces immeubles n’est pas habitable. Il existe cependant un nombre significatif d’appartements et de maison vides qui pourrait être transformés en logements. A São Paulo, par exemple, il existe des expériences concrètes de réhabilitation d’immeubles vides et de leur transformations en logements. Cependant une grande partie de ces immeubles reste inoccupée. Pourquoi ? Parce ce modèle, pensé dans une logique économico-financière, n’envisage le mode de production de logements que sous l’angle de constructions nouvelles et non pas à partir d’un développement du droit à habiter pleinement la cité.
Tenter de réhabiliter des immeubles est une entreprise difficile qui doit faire face à de nombreux obstacles légaux, à tous les nivaux. Par ailleurs, il existe une grande quantité d’immeubles publics qui pourraient être transformés en logements. Cependant, dans le secteur public – et c’est une honte, tout particulièrement pour un gouvernement fédéral dirigé par le PT qui s’est engagé auprès des pauvres – vous entendez le discours suivangt : “Créer des logements pour les pauvres dans cet immeuble inoccupé situé en plein centre ville ? Mais non ! nous allons le vendre parce que c’est un immeuble qui va rapporter gros.” Je peux vous donner un exemple au niveau du gouvernement fédéral. Il s’agit d’un immeuble du réseau ferré fédéral, très bien situé, à Recife, pour lequel avait été créé un projet accueillant des logements pour les classes moyennes et les classes populaires et qui incluait l’urbanisation d’une favela proche. Ce projet fut abandonné et l’immeuble vendu aux enchaires à un groupe immobilier.
D’un autre côté, la question se complique avec la notion de déficit, notion fortement contaminée par l’idée de production de logement. Et pourquoi ? Parce que le déficit implique de nouvelles unités. Nous ne devrions pas raisonner avec le concept de déficit mais avec celui de besoin habitationnel car il existe des communautés qui disposent de logements mais qui ont besoin d’une amélioration des infrastructures.

DIPLOMATIQUE – Quel modèle de ville émerge-t-il de cette emphase mise sur la construction de nouveaux logements qui repoussent de plus en plus les limites du périmètre urbain ?

RAQUEL ROLNIK – Nous produisons toujours plus d’espace urbain et il est évident que nous avons besoin de les agrandir. Et donc, quand nous discutons de la manière de le faire – pourquoi a-t-on besoin d’infrastructure ? pourquoi le faire dans les zones périphériques ? pourquoi laisser des espaces vides et sous utilisés en plein centre ? pourquoi devrions nous réhabiliter les villes existantes ? - très souvent nous sommes mal compris. Et que faut-il comprendre ? En premier lieu, deux choses différentes. Il ne suffit pas de produire, il faut aussi recycler nos villes, parce qu’elles disposent d’une infrastructure qui était adaptée aux besoins passés mais qui ne l’est plus actuellement en raison des transformations économiques et territoriales que nous avons connues. Prenons l’exemple des villes portuaires. La restructuration résultant d’un nouveau modèle de transport maritime où l’importation et l’exportation de marchandises se fait majoritairement par containers, modifie la géographie du port libérant les espaces autrefois utilisés pour le stockage des marchandises. Il existe donc des posibilités de réhabilitation de ces lieux. Et la question de la réhabilitation des espaces construits doit être mise à l’ordre du jour.
Mais, dans nos villes, nous devons, simultanément faire face à deux autres défis : la production et l’expension de la ville d’une part et la récupération de ce qui a été construit de manière précaire par le travailleur avec ses propres moyens d’autre part, les favelas, les constructions des banlieues, les occupations illégales de terrains, les constructions illégales. Nous sommes un pays de constructions illégales, il faut les récupérer et les transformer en quelque chose de décent. Nous avons donc trois défis à aborder en même temps. La question est comment s’y prendre.
Le premier défi : agrandir l’espace urbain. La croissance de la ville n’a jamais été planifiée, régulée, ni même dans les villes initialement projetées. En réalité, ce n’est pas que cette croissance n’ait pas été régulée, elle l’a été. Mais elle l’a été selon une norme de nature privée. Et je ne parle pas de la ville informelle, je parle de la ville légale, celle qui définit des règles. Et comment se fait une ville ? De la manière suivante : un propriétaire, quand il en a envie, construit un lotissement sur son terrain Il ne se soucie pas de ce qui se trouve d’un côté ou de l’autre. Et cet espace devient son île à lui. Ensuite, le propriétaire qui se trouve à côté, fait de même et ainsi de suite, sans aucun plan directeur. Et si l’on a besoin d’un grand terrain pour construire une école ou un terrain de sports, ça n’est plus possible. La situation s’est agravée quand cette manière de faire s’est étendue à la construction d’immeubles en copropriété qui sont de véritables îles. Ce développement a été régulé uniquement en fonction des intérêts d’une production privée, sans aucun plan de développement urbain, sans prévision au niveau des infrastructures et encore moins de répartition des charges entre les différents acteurs publics et privés impliqués. Suis-je en train de parler de socialisme, de planification à la mode communiste ? Non, non ! C’est le B A BA de la planification que l’on retrouve dans des pays comme l’Allemagne, l’Espagne, la Hollande, ... Là-bas, il n’existe pas d’expension urbaine sans un projet d’expension urbaine.
Notre expension urbaine ne laisse aucun espace à l’implantation d’une belle salle de sports, d’une école, d’une bibliothèque. De cette manière, la ville suit également la logique de l’expension incontrôlée, orientée par la recherche du gain privé, immédiat et le plus élevé possible. Et ceci, avec un pouvoir public qui a fait sien ce modèle, qui contribue à le viabiliser. Voilà quel est notre problème en matière d’expension.
Le deuxième problème est celui de la réhabilitation. Ce problème - pour nous qui avons un gouvernement qui a pris des engagements envers les pauvres et qui a beaucoup avancé en matière de reconnaissance des droits - au lieu de mettre sur pied un modèlede réhabilitation qui puisse profiter à tous, c’est que nous élaborons des projets grandioses mais qui produisent de l’exclusion. C’est le cas de Porto Maravilha à Rio et de Nova Luz à São Paulo. Ce sont des projets de valorisation immobilière de ces quartiers mais aussi d’expulsion de la population. Notre modèle de gestion politique est dominé par les coalitions qui articulent les intérêts des entreprises liées aux terrains constructibles, les entreprises de travaux publics qui construisent les infrastructures et les groupes politiques qui, suivant les lieux, peuvent être liés aux notables locaux, aux maffias ; en fait on trouve de tout. Ces ententes ont un grand pouvoir dans la mesure où elles viabilisent la reconduction des mandats électifs en finançant les campagnes électorales. De cette manière, elles finissent par empècher la mise en place d’une planification de l’expension urbaine prenant en considération les besoins de l’ensemble des citoyens.

DIPLOMATIQUE – Le rapporteur [de l’ONU] a diffusé un document sur les femmes et le droit au logement, en décembre dernier. Seraient-elles davantages affectées par ce modèle privatisant ?

RAQUEL ROLNIK – En fait, les principales victimes, lorsqu’il se produit des atteintes au droit au logement, sont effectivement les femmes, sans oublier les enfants et les handicapés. Ce n’est pas un hasard si, dans le mouvement social pour le logement, la majorité des militants sont des femmes. Ce sont des femmes parce qu’elles vivent cette question du logement d’une manière différente. Je ne voudrais pas reproduire le stéréotype qui dit que la place de la femme est à la maison, ce n’est pas ça. Mais en réalité, qui doit faire face aux questions de logement, c’est bien la femme et même quand celle-ci travaille. Et malgré cela, les logements ou les terrains enregistrés sous le nom des femmes ne représentent que 5% du total. Ce fait a des implications énormes, telle – et cela est la face la plus aigue de ce processus – la violence domestique. Un grand nombre de femmes ne sortent pas des situations de violence domestique parce que, tout simplement, elles n’ont aucun autre endroit où aller. De plus, dans une maison sans eau courante, ce sont les femmes qui marchent des quilomètres pour remplir les seaux. Dans une maison construite sur un terrain non viabilisé et qui ne dispose donc pas de salle de bain, les femmes sont exposées à des situation de risque de viol, tout simplement parce qu’elles ne disposent pas de toilettes à l’intérieur de la maison.

DIPLOMATIQUE – Revenant aux conflits, comment envisagez-vous, madame, le rôle des mouvements sociaux ?

RAQUEL ROLNIK – Nous vivons une conjoncture difficile et pleine de défis. J’ai été très préoccupée parce que, à un moment donné, j’ai cru que les mouvements de défense du logement avaient perdu l’esprit de la lutte dans le sens positif du terme. Pourquoi ? Parce que le calendrier de la réforme urbaine, qui fut une grande avancée, à mon avis, avait atteint ses limites. De ce chronogramme, tout ce qui était possible de faire l’avait été sans que cela remette en cause le front solidement articulé des intérêts privés et de la reconduction des mandats politiques. On a donc atteint les limites du projet. Et maintenant ? C’est la question à laquelle doit répondre non pas l’ensemble des mouvements sociaux mais l’ensemble de ceux qui font une étude critique de cette question dans ce pays.
Nous avançons et il est important de reconnaître que nous avons beaucoup avancé, que nous avons atteint bon nombre de nos objectifs. Mais nous sommes arrivés à la fin d’un parcours, et comment faire pour aller au-delà ? Comment faire pour aller de l’avant ? Et comment éviter de revenir en arrière, par exemple en déconstruisant les droits de ceux qui n’ont pas pu régulariser leurs droits de propriété, en milieu rural ou urbain ? C’est la question à laquelle les mouvements sociaux doivent faire face.

DIPLOMATIQUE – Et qu’en est-il du risque d’une intensification des conflits en raison des méga-évènements sportifs ?

RAQUEL ROLNIK – Ces grands évènements présentent une particularité. Le Brésil allant accueillir la prochaine Coupe du monde[9], un véritable Etat d’exception, une sorte d’Etat d’urgence se met en place. Et cela parce qu’il s’agit tout d’abord d’un évènement qui touche profondément la fibre nationale. Le pays va se montrer doublement, au niveau de la compétition au niveau sportif avec les autres pays mais il va aussi être exhibé au reste du monde par le biais des reportages télévisés. Cet évènement crée une forte mobilisation dans la mesure où il touche au coeur les Brésiliens et d’autant plus qu’il s’agit de football. Et cela permet de faire n’importe quoi au nom du “faire du beau” aussi bien pour la Coupe que pour les prochains Jeux olympiques. Et en raison de ces évènements, les étapes qui doivent être respectées pour protéger les droits sont tout simplement ignorées. Et qui plus est, de manière légale, par le biais de la Loi générale de la Coupe qui confie le contrôle territorial des stades à la FIFA. Cette situation va intensifier les conflits. Et dans la mesure où cet évènement bénéficie d’un fort appui de l’opinion publique, les possibilités de résitence des communautés touchées se trouve affaibli.
Aujourd’hui, la situation est difficile. La pression est forte “Où en est la Coupe ? Au travail, les travaux d’infrastructure doivent se réalier !” Et où sont prévus ces grands travaux d’infrastructure ? Sur les espaces où sont installées les communautés les plus pauvres qui n’ont pas légalisé la propriété de leurs biens. Pourquoi ? Parce que l’on ne reconnaît pas le droit au logement de ces personnes et celles-ci n’ont pas de poids au niveau politique et, de cette manière, les désappropriations ne coûtent pas cher. Ces travaux passent par les favelas, déplaçant sans proposer d’alternatives ni de compensations ou alors des compensations indignes. Tout cela crée des situations de conflits dans tout le Brésil, comme j’ai pu le voir à Rio de Janeiro, São Paulo et Porto Alegre. La tendance est à l’intensification de ces conflits. Mais d’un autre côté, se constituent les Comités Populaires de la Coupe dont l’objectif n’est pas seulement de résister mais de proposer des alternatives et de construire un “héritage”socio-écologique et de protection des droits humains. Au niveau de ces comités de nouvelles alliances se constituent et je crois que nous pourrons voir réapparaître des mouvements renouvelés en faveur du droit à la ville dans notre pays.

[1] : (NdTr) Salaire minimum. Il faut distinguer le salaire minimum réel, celui qui est effectivement payé (en août 2012, 622 réaux) et celui qui permettrait de faire face aux besoins tels qu’ils sont définis dans la loi de 1940 et la Constitution de 1988. En avril 2012, ce salaire minimum aurait dû s’élever à 2.329 réaux.
[2] : (NdTr) Minha casa Minha vida (Ma maison, Ma vie) : programme du gouvernement fédéral lancé en 2009 et qui a pour but de faciliter l’accès au logement des classes les plus pauvres de la population. Un million d’habitations a déjà été construit, l’objectif est d’arriver à un total de 3 millions en 2014. Ce programme d’un montant de 100 milliards de réaux (environ 40 milliard d’euros) devrait permettre de réduire de 15% le déficit habitationnel estimé à plus de 7 millions de logements.
[3] : (NdTr) P.A.C. (Programme d’Accélération de la Croissance) Lancé en janvier 2007, ce programme d’investissement dispose d’un budget de 504 milliards de réaux (environ 200 milliards d’euros). Il est destiné, en premier lieu, à développer et à améliorer la qualité des infrastructures dans les domaines de l’assainissement, du logement, du transport, de l’énergie et des ressources hydriques.
[4] : (NdTr) caboclos : nom par lequel on désigne les métis descendant d’Européens blancs et d’Amérindiens. Aujourd’hui, les caboclos forment la population la plus importante du bassin amazonien brésilien
[5] : (NdTr) quilombos : communautés formées de descendants d’esclaves noirs ayant fui l’esclavage
[6] : (NdTr) Estatuto da Cidade. Projet prévu par la Constitution de 1988 et qui a été approuvé en 2001. Il définit les nouvelles procédures et réglementations d’urbanisation.
[7] : (NdTr) Etats moins développés et sans grands projets économiques.
[8] : (NdTr) Dans les grandes villes brésiliennes, la majeure partie de la collecte sélective des déchets est réalisée par des individus qui font le tri dans les poubelles le soir, avant le passage du camion de la voirie.
[9] : (NdTr) La prochaine coupe du monde de football aura lieu au Brésil en 2014.

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