« Les assassins n’imaginaient pas que Marielle deviendrait une légende »

 | Par Câe Vasconcelos, Ponte Jornalismo

Mille jours après la mort de Marielle, les reporters Chico Otávio et Vera Araújo, auteurs du livre Mataram Marielle (Ils ont tué Marielle), rappellent la longue enquête qu’ils mènent pour le journal O Globo depuis le 14 mars 2018.

Traduction de Regina M. A. MACHADO pour Autres Brésils
Relecture de Rosemay JOUBREL

14 mars 2018. 21h30. Un véhicule roule à côté de la voiture conduite par le chauffeur Anderson Gomes, dans la rue Joaquim Palhares, dans le quartier Estácio, centre ville de Rio de Janeiro. 13 coups sont tirés : 9 ont touché la carrosserie et 4 la vitre de la voiture. Sur le siège arrière, la conseillère municipale Marielle Franco, élue avec 46 mille voix en 2016, était assise aux côtés de la conseillère parlementaire Fernanda Chavez. Anderson et Marielle décèdent sur place. Fernanda demeure la survivante d’une journée qui resterait dans l’histoire du Brésil et du monde.

Ce mardi (08/12/2020) le compte macabre s’arrondit : ce sont mille jours après le jour fatidique qui a coûté la vie à Marielle. Qui la lui a arrachée. A arraché la vie à la cinquième conseillère la plus votée de la ville de Rio de Janeiro. Mais, mille jours après, deux questions n’ont pas encore été élucidées : Qui a donné l’ordre de tuer la conseillère municipale ? Quel était le mobile du meurtre ? Une chose est sûre, celui qui a planifié l’exécution de Marielle, n’imaginait pas qu’elle deviendrait semence.

La même année où Marielle a été exécutée, quatre femmes noires qui lui étaient proches ont occupé des places importantes dans les assemblées législatives : Taliria Petrone, l’une des meilleures amies et compagnes de lutte de la conseillère municipale, a été élue députée fédérale par le PSOL de Rio de Janeiro ; Renata Souza, Dani Monteiro et Monica Francisco, trois anciennes conseillères de Marielle, ont occupé des sièges à l’ALERJ (Assemblée Législative de Rio de Janeiro).

Marielle en campagne contre le harcèlement sexuel pendant le carnaval de
2018.
© Reproduction/Facebook

Autour de Marielle, devenue symbole de lutte, des courts-métrages, des séries documentaires ont été tournées, ainsi qu’une émission rappelant des personnalités noires mondiales. Aussi un livre, Cartas para Marielle (Lettres à Marielle), de sa sœur Anielle Franco, lui rend hommage.

Maintenant, c’est le crime qui devient sujet d’un livre écrit par deux journalistes, Chico Otávio et Vera Araújo, reporters au journal O Globo. Dans Mataram Marielle : Como o assassinato de Marielle Franco e Anderson Gomes escancarou o submundo do crime carioca (Ils ont tué Marielle : Comment le meurtre de Marielle Franco et Anderson Gomes a dévoilé la pègre du crime carioca) ils enquêtent sur les origines du meurtre au long de sept chapitres. Sous le titre Marielle Presente, le chapitre final rapporte les semences plantées par la conseillère municipale.

Comme dans une leçon de journalisme au format livre, Chico et Vera racontent les détails de la longue enquête qui n’est pas encore terminée, puisqu’on ne sait pas encore qui sont les auteurs du crime. « Nous avions tellement d’informations accumulées que ça ne rentrait pas dans le journal, et même avec l’espace disponible sur internet, ce n’était pas suffisant pour le volume d’informations qu’on avait », affirme Chico Otávio en interview à Ponte.

Avant de commencer à enquêter sur le meurtre de Marielle, Chico Otávio n’avait pas travaillé sur des questions de sécurité publique. Depuis 1997, il travaille dans la section politique du journal O Globo. Vera Araújo, de son côté, depuis 30 ans, travaille sur la sécurité publique. Leur alliance professionnelle a été parfaite, puisque l’exécution de Marielle relevait des deux approches.

La partie la plus difficile, disent-ils, a été de faire face à la douleur des familles pendant ces mille jours. « On envahit la vie privée des gens. On n’est pas leurs amis, car nous avons besoin de garder une certaine distance, mais en même temps, on est touché par la douleur des gens », définit Vera Araújo.

Des proches de Marielle en octobre 2018, à Rio.
© Reproduction

« Madame Marinete (mère de Marielle) est une personne super gentille, spirituelle et croyante. A chaque fois que je parle avec elle, elle me dit : « Il ne se passe pas un seul jour où je ne pense pas à ma fille ». Elle a un oratoire de Notre Dame
« Aparecida » chez elle et c’est là qu’elle fait ses prières. Quand on va chez elle et quand elle nous raccompagne jusqu’à la porte, on dirait qu’elle murmure une prière, comme si elle demandait « qu’elle te protège ». Nous avons de très bons rapports », rappelle Vera.

Les reporters racontent aussi ce qu’a été de trouver des témoins que la Police n’avait jamais rencontrés et traiter avec « la pègre du crime carioca ». « Dans mon cas, c’était plus difficile que pour Vera, rappelle Chico. Je n’avais pas d’expérience dans ce domaine. Mon domaine c’est la politique ; les bandits sur lesquels j’avais l’habitude d’enquêter, c’étaient les cols blancs renommés. Quand on a commencé, Vera m’a demandé si j’étais préparé pour ouvrir les portes de l’enfer. »

« Marielle est un symbole de la lutte pour les bannières qu’elle défendait : anti-raciste, LGBTQIA+, féministe et contre les violences policières. Marielle était tout ça. Ce sont des bannières très fortes, c’est le visage de Rio qui est piétiné par la violence quotidienne. Il n’y a pas de phrase plus juste que « Marielle présente ». Même morte, elle continue. Les bannières qu’elle défend, je parle au présent, flottent toujours, parce qu’elle est leur symbole. Les assassins ne s’imaginaient pas du tout ça », évalue Vera.

Lisez l’interview :

Ponte – Comment s’est passé la production du livre ? Depuis le jour de l’assassinat de Marielle, vous menez une enquête en profondeur. Comment ç’a été pour mettre tout dans un livre ?

Chico Otávio – Ça a été un processus naturel. Nous avions tellement d’informations accumulées que ça ne rentrait pas dans le journal, et même avec l’espace disponible sur internet, ce n’était pas suffisant pour le volume d’informations qu’on avait. Un autre point important est que le livre nous offrait la chance d’attacher toutes les histoires, toutes les bribes d’information, tout rassembler dans un récit unique pouvant expliquer tout ce qui s’est passé après ce fatidique 14 mars 2018. Il y a eu aussi notre partenariat, ça a été un mariage professionnel très chouette. Vera avait cette expérience dans l’aire de la sécurité publique, qui fait d’elle une des grandes reporters du pays et moi, je me suis toujours occupé de la politique. Je travaille dans cette section du O Globo depuis 1997. Le meurtre avait ces deux caractéristiques : le biais d’enquête policière et le côté politique, ce que Marielle représentait et le décor politique de Rio de Janeiro à cette date-là.

Le portrait de Marielle a une place spéciale dans la paroisse Santos Martires : à côté d’autres activistes des droits humains.
© Sérgio Silva/Ponte Jornalismo

On a fini par se compléter. Avec nos profils, nous ne sommes pas restés otages de l’enquête officielle, des fuites de pièces de l’investigation. Tout reporter ambitionne avoir des articles exclusives, mais nous avons suivi notre propre ligne d’enquête : sortir dans la rue, user nos souliers pour courir après les histoires. Avec ça, nous avons réussi beaucoup de choses.

Ponte – D’ailleurs, le troisième chapitre du livre parle justement de ces histoires :
les témoins que la police n’a pas entendus. Comment c’était de rencontrer
ces personnes ?

Chico – Ça a été une leçon de journalisme de Vera. Elle a eu la brillante idée de retourner au le lieu du crime dans un horaire proche, d’y rester plantée, y attendant les gens qui passaient. Aussi simple que ça. Alors elle s’est approchée des gens, en disant qu’elle était reporter et posant des questions, jusqu’à ce que deux personnes arrivent, qui outre le fait d’y être habituellement, avaient aussi vu le crime. Ces témoins nous ont donné des renseignements importants pour la dynamique du crime, sur le type d’arme utilisé, la position du tireur, comment la voiture a été coincée. La police n’a entendu ces témoins qu’après la découverte de Vera.

© Reproduction/Agora Eu Quero Gritar

Vera Araújo – L’instinct de l’investigation était en moi depuis que je suis née. Je suis une personne inquiète, je n’aime pas avaler la première explication sur une situation donnée, surtout par rapport à des crimes. J’ai toujours eu cette attitude de me méfier. Dans le cas de Marielle, j’y suis entrée presque une semaine après. Je me suis rendue sur le lieu du crime un mardi, un jour avant qu’il ne se passe une semaine. Je voulais voir l’acte œcuménique qui avait lieu le soir, sur les escaliers de la Chambre Municipale, comme une messe du septième jour, et de là je suis partie sur le lieu du crime. J’ai pris le métro, c’est super-rapide entre la Cinelândia et Estácio, et là je me suis mise à vérifier et à chercher des témoins. J’ai pour habitude d’analyser la scène du crime avec calme. Comme j’étais en retard (par rapport aux autres journalistes), je savais que je devais trouver une piste que personne n’avait
vu, à laquelle personne n’était arrivée. Là, je regardais autour de moi : éclairage médiocre, caméra de surveillance (de la circulation) cassée.

Manifestation pour l’anniversaire d’un an du meurtre de Marielle, à São Paulo, le 14
mars 2019
© Daniel Arroyo/Ponte Jornalismo

Je suis allée jusqu’à une station essence et le pompiste m’a dit qu’il n’avait rien entendu. Ce garage se trouvait à 40 mètres du local. N’importe qui aurait entendu des coups de feu. De là, une information a émergé : les meurtriers avaient utilisé un silencieux. Voyez comme le lieu du crime, même une semaine après, a tellement d’informations à fournir et on n’y fait pas attention. Alors, je suis partie à la recherche des témoins. Tout le monde disait qu’ils n’avaient rien vu, et j’avais déjà entendu plus de 20 personnes. Alors, j’ai trouvé un petit monsieur qui était pile aux premières loges, au même endroit où il avait été le jour du meurtre. Au départ, il a dit qu’il n’avait rien vu, mais ensuite il est tombé dans une contradiction. J’ai dit
« tiens, mais c’était à peu près à la même heure que maintenant, 21h15 » et lui
« non, il était 21h16 ». Face à cette contradiction, il n’a pas pu retourner en arrière et m’a expliqué qu’il était là. Après ça, j’ai demandé des détails : quelle direction avait pris la voiture, ce qu’il avait vu. Avec l’observation et la déposition de ce témoin, j’ai écrit une page dans O Globo. Ensuite, j’ai entendu un autre
témoin. Aucun d’eux n’avait été entendu par la police.

Manifestation pour l’anniversaire d’un an de la mort de Marielle, à São Paulo, le 14
mars 2019
© Daniel Arroyo/Ponte Jornalismo

L’autre témoin m’a coûté bien plus de travail. De ce premier jour, j’avais tiré beaucoup de choses, mais pour l’autre témoin, j’ai dû retourner encore au moins trois fois jusqu’au local, pour découvrir où il se tenait et obtenir un contact. Mais tout a valu la peine et je ferais tout ça de nouveau.

Ponte – Cela montre comme le rôle du journaliste est important.

Chico – Il faut de la volonté, il faut chercher. Ce n’est pas facile de trouver un témoin que les autorités n’avaient pas vu. Aujourd’hui, nous sommes dans un décor difficile, où nous ne pouvons pas circuler beaucoup. Certains sujets et thèmes sensibles, les gens n’aiment pas partager à distance. Il faut que ce soit entre quatrezyeux et courir après.

Notre protagonisme dans l’enquête a pris un coup avec le confinement social.
Avant, on avait une liberté que ni la police ni le Ministère Public n’avaient, parce qu’ils avaient un protocole à suivre : intimation, prise de RDV. Nous, on pouvait aller chez les gens, frapper à la porte et convaincre, boire un café chez nos sources. Il nous suffisait d’être convainquants.

Vera – C’est ça qui doit rester de notre travail. Ce contact physique avec les gens est nécessaire pour attraper l’information dans son essence. C’est ça le journalisme d’investigation : user ses semelles, avoir de la patience. C’est plus de temps, mais c’est super-nécessaire.

Ponte – Dans le sous-titre du livre, vous rapportez que l’affaire Marielle a dévoilé
les souterrains de la pègre carioca. Comment c’était de mener cette enquête ?
La peur était présente ?

Chico – Dans mon cas, ça a été plus difficile que pour Vera. Je n’avais pas d’expérience dans ce secteur. Mon champ est la politique, les bandits au col blanc, c’étaient les types de l’opération « Lava Jato ». C’était un autre
niveau. Quand on a commencé, Vera m’a demandé : « tu es prêt pour ouvrir
la porte de l’enfer ? »

On a circulé dans les zones des milices, on y est allé en voiture blindée, mais pour moi ça ne signifie pas grand chose. J’ai été vraiment épaté avec ce que j’ai vu. Nous avons vu des endroits dominés par les milices à un point que même le système de livraisons étaient dominés. Si la personne n’était pas à jour avec la « mensualité » de « l’association des résidents », elle ne recevait même pas le courrier à la maison. Tout cela est très effrayant.

On connaît le niveau de violence de ces mecs. Je réponds à un procès de quelqu’un que j’ai dénoncé dans un de mes articles. Ma « clientèle » habituelle a toujours préféré les préjudices moraux pour me gêner. Mais cette bande (les milices) a d’autres moyens. Alors, c’est évident que je me suis inquiété, que j’étais toujours aux aguets. Mais on a n’a pas arrêté.

Vera – J’ai toujours aimé couvrir des affaires compliquées. J’ai commencé dans cette profession il y a trente ans et le hasard m’a conduite vers la sécurité publique. J’ai commencé à l’époque du boom des massacres à Rio de Janeiro, dans la Baixada Fluminense. Je travaillais dans la première tranche horaire, à 7h, et je m’occupais toujours de ces affaires ; il fallait courir après des renseignements, des pistes, écouter les autorités. Avec ça, j’ai fini par créer une routine d’investigation. Les regards, le gestuel, la forme dont la personne parle, ce sont des choses importantes. Chico me taquinait, quand on allait interviewer une autorité, et qu’ensuite on faisait une sorte de brainstorming. Il me demandait ce que je voyais là.

Chico – Tu te rappelles quand on attendait un certain élu local à la station essence ? Là, on a attendu, attendu et attendu, jusqu’à ce qu’à l’arrivée d’une voiture, tu m’as dit : « d’après les caractéristiques de cette voiture, c’est de là qu’il va sortir ». Et c’était bien lui. Avec des dizaines de voitures stationnées dans la station, tu as deviné que c’était celle-là. Tu te rappelles ?

© Reproduction/Twitter

Vera – Ça a été drôle. C’est un travail très stressant que le nôtre ; l’idéal serait de ne pas avoir à travailler dans ce genre de choses, mais dans un monde idéal sans crime. Mais puisque malheureusement cela arrive, il est important de développer ce regard. C’est ce qu’a dit Chico, on finit par voir ces caractéristiques. Le milicien a une caractéristique spécifique : il aime rouler en voitures blindées, au style des pick-up, entouré de gardes du corps.

Comme on avait déjà des informations sur ce conseiller municipal-là, quand il est arrivé dans ce genre de voiture, j’ai compris que c’était lui. C’était lui le gars. Avec l’expérience, on se rend compte aussi quand la personne ment. Quand je me suis rendue sur le lieu du crime, j’ai essayé d’observer le maximum possible. Nos yeux sont nos outils les plus importants. Nous devons parler peu et observer beaucoup.

Ponte – Combien de personnes vous avez entendues pendant tout ce temps ? Quelle était la diversité des personnes entendues ?

Chico – Tu l’as bien dit : une grande diversité. Parmi les commissaires, trois. Antônio Ricardo Nunes, Daniel Rosa et maintenant Moysés Santana. Il y a eu des remplacements aussi dans le Ministère Public, où l’accusateur original est parti pour que deux accusatrices prennent sa place (Simone Sibílio et Letícia Emile), ce qui a mon avis a changé l’orientation de l’enquête. La dispute entre le Ministère Public régional et le Ministère Public Fédéral est arrivé à un point tel qu’il y eu un conflit de compétence, jugé par la Haute Cour de Justice. Il y a eu des différends entre le Ministère Public et la Police Civile, il y a eu une confusion telle qu’elle a frôlé le Président brésilien de la République.

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Ainsi, c’était une histoire imprégnée de rebondissements ; ça n’a pas été facile. Pas facile du tout, enquêter sur cette affaire en tenant compte de toute cette confusion et des lignes d’investigation divergentes, dans une affaire pas encore clôturée. L’enquête qui cherche les donneurs d’ordre est encore en cours. Tout cela a été pris en compte et a élargi notre éventail de sources. Je n’ai pas compté, mais on a eu sûrement aux environs de 200 sources différentes.

Ponte – Et comment vous avez fait par rapport à la douleur de la famille pendant
l’enquête ?

Chico – Difficile, très difficile, parce qu’on était dans une position délicate, invasive. On a partagé la souffrance de Madame Marinete, de Monsieur Antônio, de Anielle, de Luyara, Monica, Agatha. C’est dur, très, mais malheureusement nécessaire parce que, souvent, ils apportaient un détail qui venait aider l’investigation. Malgré la douleur immense, je voyais toujours la bonne volonté de la famille à nous aider. Et je veux leur faire un remerciement public pour nous voir accueillis ;

Vera – C’est la partie la plus difficile de notre travail. Vous envahissez la vie privée de la personne. Vous n’êtes pas un ami, car nous avons besoin de cette distance, mais en même temps, vous êtes touchés par la douleur des gens. Une personne avec qui j’ai eu le plus de difficulté et, en même temps, de complicité, c’est la mère de Marielle.

J’ai aussi une très bonne relation avec Monica Benicio. Je ne bois pas, que de l’eau et elle plaisante m’invitant à aller boire, tout en sachant que je ne bois que de l’eau. Toutes ces choses on se les passe. Agathe, l’épouse d’Anderson, encore une femme formidable… Arthur, je l’accompagne comme si c’était un neveu à moi. Sa mère me raconte tout ce qu’il est en train de faire. On les accompagne en espérant que ces personnes trouveront beaucoup de lumière, qu’elles pourront surmonter la douleur. On n’a pas idée de ce par quoi ils passent.

Ponte – Quand vous avez commencé à couvrir cette affaire, pouviez-vous imaginer que mille jours plus tard elle serait encore ouverte ? Sans savoir qui sont les donneurs d’ordre ?

Chico – Même sans avoir de l’expérience dans l’aire de la sécurité publique, quand j’ai vu les caractéristiques du crime, avec une arme automatique, un siège bien planifié, une voiture avec une plaque d’immatriculation clonée, l’impossibilité de suivre le téléphone portable… j’ai compris que ce serait compliqué. Ce n’était pas un crime banal, c’était un crime difficile à enquêter. Alors, oui, je m’attendais à cette complication. Je trouve que la police a commis des erreurs dans ces remplacements de commissaires en moins de mille jours, tous ces retournements. Mais je n’ai
pas perdu l’espoir. J’ai la conviction qu’à un moment quelconque cette ville
aura une réponse.

© Reproduction/Facebook

Vera – Mille jours, c’est beaucoup. Comme l’a bien dit Chico, à mesure que les choses s’enchaînaient, on se rendait compte que c’était un crime fait par des professionnels. Il y avait beaucoup d’obstructions de la justice. Une personne apparaît en disant qu’elle a vu un conseiller municipal avec Orlando Curicica, un milicien, tous les deux complotant sur Marielle et (Marcelo) Freixo.

Quand on entend ça, on pense que l’affaire va finir vite, mas cette personne a gêné l’affaire, si bien que ce Rodrigo Ferreira, un policier et milicien qui avait fait ça pour sauver sa peau, répond maintenant à un procès. Il y a aussi l’enquête de la Police Fédérale sur l’enquête de la Police Civile. Quand on a commencé à voir ça, on a compris que l’investigation allait prendre beaucoup de temps.

Mes paramètres, c’étaient des cas comme le meurtre de la juge Patricia Acioli (tuée en 2011 par des miliciens qu’elle jugeait), qui a pris environ 60 jours ; le cas de Amarildo, qui a demandé à peu près le même temps. C’est ça la moyenne. Mais le cas Marielle, d’emblée a montré que ce serait bien difficile. Son niveau de préparation était bien plus élevé.

Un meurtrier qui ouvre son smartphone et efface les données, ne prend pas le téléphone le jour du crime, prenait des précautions. Il a pris soin de choisir un endroit mal éclairé et sans caméras de surveillance, d’examiner le local, qu’il a visité trois jours avant, comme il a été constaté. Tout ça montre combien la préparation a été soignée. Cela rend le temps une chose très variable.

Ponte – Croyez-vous que le crime avait un donneur d’ordre ?

Vera – Oui. Il existe une ligne (d’investigation) qui indique que Ronnie Lessa a fait ça par haine, parce qu’on a trouvé de nombreuses informations, dans les ordinateurs et smartphones, montrant qu’il haïssait Dilma Rousseff, Lula et toute la gauche. Marcelo Freixo était une cible parfaite pour lui, mais il avait des gardes du corps. Il avait fait des recherches sur la famille de Freixo. Mais il ne pouvait pas le tuer.

Après un certain temps, il commence à faire des recherches sur Marielle. Cependant, est-ce que Lessa pouvait prendre cette initiative tout seul ? Pour nous ça ne tiens pas debout ; nous on pense que, oui, il y a un donneur d’ordre. On a voulu dédoubler le procès en deux. La première partie, comme auteurs du crime, Ronnie Lessa et Elcio de Queiroz. Deuxième étape, les donneurs d’ordre, cette partie de l’enquête qui est encore en cours.

Ponte – Le nom Marielle a gagné le monde entier. Ici nous avons beaucoup de « graines de Marielle » qui ont été élues. Pourquoi Marielle est-elle si gigantesque même après sa mort ?

Vera – Bonne question. Oui, elle est devenue géante. Marielle est un symbole de la lutte pour les bannières qu’elle défendait : anti-raciste, LGBTQIA+, féministe et contre les violences policières. Marielle était tout ça. Ce sont des drapeaux très forts, c’est la visage de Rio de Janeiro, piétiné par la violence quotidienne. Il n’y a pas de phrase plus exacte que « Marielle présente ». Même morte, elle continue. Les drapeaux qu’elle défend, je parle au présent, flottent toujours, parce qu’elle est un symbole. Les assassins ne s’attendaient pas à ça.

Chico – Sans vouloir prendre une position idéologique, si la gauche a une seule raison pour commémorer quelque chose des élections de 2018, c’est justement l’élection d’une liste de députées attachées aux idées de Marielle. Rien que du cabinet de Marielle, venaient trois députées : Renata Souza, Mônica Francisco et Dani Monteiro.

Monica Francisco, Renata Souza et Dani Monteiro : actuellement députées de
Rio de Janeiro, elles avaient fait partie du cabinet de Marielle Franco
© Reproduction Facebook

Vera – Sans parler de Talíria Petrone, à l’Assemblée Législative.

Chico – Cette lutte a eu sa force décuplée. Personne ne remplacera le charisme de Marielle, mais la lutte a maintenant plus d’emphase, de force, de motivation. Maintenant nous avons élu Monica. Sept conseillers municipaux dans la capitale. C’est un nombre inédit. Et dans tout ça, il y a la main de Marielle, des missions qu’elle a levées, et qui sont fondamentales. Ce legs est plus que jamais vivant.

Marielle Franco (à gauche) à côté de Talíria Petrone (à droite)
© Reproduction/Facebook

Vera – Cet héritage et les graines qu’il a plantées sont indéniables. Dans la tête des gens est implantée l’idée que les femmes, la population noire et LGBT peuvent. L’une entraîne l’autre. Le résultat des urnes le montre.

Chico – Évidemment, ces luttes identitaires sont fondamentales. C’est le rôle du conseiller municipal de traiter ces thèmes. Mais une autre question souvent revenue, et qui est pour moi un défi pour cette future législature de Rio, c’est la question de l’occupation urbaine. Cela est central. Vera et moi, nous avons vu combien les milices ont porté préjudice, fait reculer la question de l’aménagement et de l’organisation de l’espace urbain à Rio de Janeiro. D’une certaine façon, le nombre des conseillers municipaux membres de la « Bancada da Bala » [1] a un peu rétréci et la future
configuration de la Chambre sera un peu moins conservatrice. Je vois tout ça comme un défi.

Ponte – Pour terminer, que représente Marielle pour vous ?

Vera – J’ai rencontré rapidement Marielle dans le cabinet de Freixo, lors du travail que je faisait sur les milices en 2008. L’année d’avant, des journalistes du journal O DIA, avaient été séquestrés et torturés dans une favela. Ça avait renforcé un projet de Marcelo Freixo, alors député, pour enquêter sur les milices, qui a été approuvé.

Comme j’avais écrit des reportages au sujet des milices, j’allais souvent au cabinet pour obtenir des informations là-dessus. C’est là que j’ai connu Marielle. Je n’imaginais pas que, dans le futur, elle serait candidate au conseil municipal et qu’il arriverait tout ce qui s’est passé par la suite.

Renata Souza, qui faisait partie du cabinet de Freixo, m’a présenté Marielle, disant qu’elle s’occupait des droits de l’homme. Marielle s’est retourné, avec son large sourire, et nous nous sommes saluées. Ce moment où j’ai été avec elle m’a fait sentir le poids du personnage Marielle.

Chico – J’ai connu Marielle dans l’aéroport de Congonhas. Je venais faire un reportage à São Paulo et il y avait une rencontre nationale du PSOL. Dans le vol il y avait beaucoup de gens de ce parti que je connaissais ; il y avait aussi Marielle. Je l’ai vue dans le couloir et je l’ai reconnue : « c’est elle ». Dans le champ de la gauche, elle a été un phénomène dans les élections de 2016. Dans ma famille aussi, on a voté pour elle. J’avais une énorme envie de la connaître. Quant on est descendus de l’avion, un ami conseiller municipal à Niterói, m’a présenté à Marielle dans le hall de l’aéroport. J’ai été impressionné par son énergie et son charisme

Voir en ligne : Ponte Jornalismo : « ‘Os assassinos não tinham ideia de que Marielle se tornaria gigante’ »

Photo de couverture : Marielle Franco © Leonardo Coelho/Ponte Jornalismo

[1Front Parlementaire de la Sécurité Publique, lobby des armes à feu siégeant au congrès

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