Les « Sans-village », une histoire d’abandon au bord de la route

 | Par Ricardo Brandt

Les quelques 180 Indiens du premier village guarani-caiová homologué par le président Luiz Inacio da Silva dans le Mato Grosso do Sul, en 2005, vivent depuis décembre campés sur les bords de la route MS-384, qui relie les villes de Antônio João et Bela Vista. Ils ont été expulsés de leur village quand le Tribunal Fédéral Suprême a annulé sa régularisation, malgré la signature du président. Aujourd’hui, ils vivent dans la peur de la violence, provoquée par le conflit de la terre avec les propriétaires terriens, des risques d’accident et de la poussière laissée par le passage quotidiens de plus de 300 camions.

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Appelé village de Nhanderu Marangatu, cette communauté est l’exemple le plus emblématique de la manière dont le gouvernement de Lula a traité la question indigène au Mato Grosso do Sul : aucune politique foncière réelle, avec plus de terrains délimités, sans véritables solutions aux conflits liés à la terre qui opposent les propriétaires terriens aux Indiens ou action qui réduirait les assassinats dus à ces conflits. Outre Nhanderu Marangatu, au moins neuf communautés indigènes vivent en situation conflictuelle à cause du problème de la terre dans le Mato Grosso do Sul.

Le Mato Grosso do Sul a le taux de conflits le plus important impliquant les Indiens. Pour les spécialistes, la violence croît en fonction du manque de solutions au problème de fond qu’est l’absence de terres et du confinement auquel sont sujets les Indiens, déstructurant l’organisation sociale des anciennes tribus et leur capacité de subsistance.

Selon l’étude du Conseil Indigène Missionnaire (Cimi) rendue publique la semaine dernière, le Mato Grosso do Sul est l’État où le nombre de morts indiens est le plus important. L’année dernière, 29 des 43 assassinats d’Indiens ont eu lieu ici et la majorité était guarani-caiovas. En 2003, sur 42 assassinats, 13 se sont situés dans cet état.

La Fondation Nationale de l’Indien (Funai) conteste ces données et prétexte qu’elles sont déformées, car elles incluent toutes les morts violentes des Indiens y compris celles commises entre eux. "Ils essaient d’occulter la gravité du problème. Les institutions ne devraient pas tenter de nier l’évidence. La Funai devrait s’impliquer plus dans la question foncière", a accusé le coordinateur du Cimi au Mato Grosso do Sul, Egon Heck.

Les Guarani-caiovás sont les plus atteints par les conflits. Dans le Mato Grosso do Sul, il y a 56000 Indiens vivant sur de petits espaces de terre, et 37000 sont guarani-caiovás. Pour l’anthropologue de l’université PUC de São Paulo Lucia Helena Rangel, coordinatrice de recherche du Cimi, même les morts relevant des problèmes des villages (comme les disputes ou les suicides) sont liés aux grands nombres de conflits dus à la terre.

Cette affirmation s’appuie sur l’étude du Cimi. Des 32 conflits en 2005 concernant les Indiens et la question foncière, un peu plus de la moitié ont eu lieu dans le Mato Grosso do Sul. En 2004, 28 des 41 conflits enregistrés ont eu lieu dans cet État. En 2003, le tableau a été pire : 26 cas dans le pays dont 23 dans le Mato Grosso do Sul.

« Nous vivons dans une situation limite », dit l’anthropologue Antonio Brandt, coordinateur du Groupe Caiova Guarani de l’Université Catholique Dom Bosco, à Campo Grande. Pour lui, ces conflits sont un baril de poudre prêt à exploser. Lucia Helena va plus loin : « Un véritable génocide semble être en cours dans le Mato Grosso do Sul ».

Mort à Noël

Il ne manque pas d’exemples de violence. A l’approche de Noël dernier, les Guarani-caiovás de Nhanderu Marangatu avaient déjà été expulsés du village et campaient sur le bord de la route. Vers 13h, ce 24 décembre, la communauté préparait un barbecue quand on entendit des coups de feu. L’Indien Dorvalino Rocha était tué à l’entrée de la fazenda Fronteira par un homme de main employé par les propriétaires terriens. « Nous faisions un barbecue ici (montrant un trou creusé dans la terre), quand le corps était veillé là-bas », raconte Hamilton Lopes, 49 ans, un des leaders du village.
Ce cas, qui préoccupe encore les Indiens de Nhanderu Marangatu, n’est plus qu’un chiffre d’une statistique qui indique l’absence d’une action plus efficace pour réduire le nombre des morts.

"Et les politiques d’assistance ne font qu’aggraver le problème. A court terme, elles apportent une solution, à moyen terme, elles provoquent des dégâts", argumente Antonio Brand. "Etre obligé de vivre avec un "panier de base" (aide alimentaire proposée par le gouvernement) pendant 4 ans, hors de ses terres, il est évident que l’amour propre est détruit et sans perspective de solution, vous déstructurez le groupe. Je pense que le gouvernement n’y prête pas attention et la classe politique ne s’en préoccupe pas le moins du monde."

Depuis 1998 le nombre d’Indiens de la communauté de Nhanderu Marangatu a diminué. Ils étaient plus de 700 en 1998 quand le groupe décida de revenir sur ses terres dans la région de Serro Marangatu, à Antônio João. Aujourd’hui ils ne sont pas plus de 400 et sont éparpillés dans la région. Les enfants n’ont pratiquement pas d’endroit pour jouer et les parents n’ont pas de terre pour cultiver le manioc et chasser.
La politique d’assistance critiquée par l’anthropologue a été l’unique moyen d’action du gouvernement pour contrôler les conflits avec les Indiens, les suicides, la mortalité infantile, l’alcoolisme et l’usage de drogue qui touchent la majorité des 30 villages de l’État. En 2005 seul le village de Marangatu a été délimité.

« A cause de la politique du gouvernement, la seule perspective est l’accroissement de cette violence au fur et à mesure de l’augmentation du processus de confinement et de la détérioration des conditions de vie. L’unique façon d’y mettre fin est d’agrandir les territoires », dit Brand. Il reconnaît que le gouvernement de Lula a augmenté les investissements, néanmoins il les trouve insuffisants. « Il y a eu des investissements plus importants mais la démarcation des terres a cessé ».

Pendant ce temps, le climat de tension entre Indiens et propriétaires terriens grandit dans le sud de l’État. Les quelques 180 Indiens de Nhanderu Marangatu menacent de quitter le bord de la route et de retourner sur leurs terres pour contraindre, une fois de plus, le gouvernement à prendre position. "Nous n’allons pas abandonner notre terre. Nous avons patienté jusqu’ici mais nos familles ne peuvent plus survivre dans ces conditions", rapporte Hamilton Lopes.


Par Ricardo Brandt

Source : Estado de Sao Paulo - 04/06/2006

Traduction : Patrick Trougnoux pour Autres Brésils


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