Le trépied de la viabilité financière des projets de journalisme local

Source : Observatório da Imprensa - Numéro 1306
Par Carlos Castilho - 19 septembre 2024
Traduction : Roger Guilloux
Relecture : Bertrand Carreau

Les défis posés aujourd’hui par l’internet aux journalistes, sont étroitement liés, ce qui oblige les professionnels et les non-professionnels de la production d’informations à adopter une nouvelle attitude lorsqu’il s’agit de trouver des solutions au taux de mortalité élevé des projets d’information locaux.

L’effort de production d’informations susceptibles d’intéresser un public local pose la question de sa viabilité financière qui lui permettra ou non de survivre. Il s’agit d’une question fondamentale car elle concerne non seulement les investissements dans les projets journalistiques, mais aussi et surtout les attentes et les frustrations du public. Il s’agit également d’un problème qui implique trois questions fortement dépendantes, formant un trépied sans lequel la frustration est presque inévitable.

La première jambe du trépied concerne la nécessité pour le public potentiel de prendre conscience de la valeur et de la pertinence des informations qu’il reçoit, à partir d’une publication locale. Les gens ne paieront que pour des informations qu’ils considèrent comme indispensables à leur vie quotidienne ou qui suscitent un certain intérêt. Cela nous amène à la question du contenu informatif proposé. Nous pouvons d’ores et déjà déceler un problème majeur à ce niveau. La plupart des journalistes, en particulier ceux qui travaillent pour des médias dépendant de la publicité payante, ont tendance à se laisser influencer par les annonceurs et les décideurs.
Et les gens ordinaires ne paieraient probablement pas pour lire, entendre ou voir des informations associées aux intérêts et aux besoins des hommes d’affaires et des politiciens locaux. Pour ces raisons, il est normal qu’entre 75 et 80 % des gens soient opposés à l’idée de payer pour ces informations, comme l’indique un récent sondage réalisé à Florianópolis.

Pour arriver à adapter les contenus dans une optique de durabilité du média, nous devons découvrir ce que les gens veulent vraiment en termes d’informations. Cela n’est possible qu’en passant par l’expérience directe du journaliste avec le public, ce qui nécessite de bien identifier les flux d’informations qui conduisent à la formation des opinions et des perceptions des gens et d’observer les comportements sociaux d’un point de vue quasi anthropologique. Ceci est important parce que nous avons tous tendance à exprimer des opinions et des positions mises en forme par les informations que nous recevons, ce qui nous renvoie directement et indirectement aux thèmes dominants de la presse actuelle.

Les militants de l’information

Et nous arrivons à la deuxième jambe du trépied, qui montre la nécessité d’un changement d’attitude des journalistes à l’égard du public. Les journalistes qui ont hérité de l’ADN comportemental de la presse écrite, sont encore fortement influencés par les règles de neutralité, d’impartialité et d’objectivité. Cela les éloigne du public et tend à susciter la méfiance, voire l’hostilité, de nombreuses personnes.

Les « militants de l’information », qui sont en fait des journalistes sans diplôme, généralement nés à l’ère numérique, ont une attitude très différente, notamment parce qu’ils sont immergés dans des populations périphériques ou des groupes liés à des questions d’identité ou à des intérêts spécifiques.

Les militants de l’information agissent généralement de manière empirique, c’est-à-dire en procédant par essais et erreurs lorsqu’ils explorent un territoire d’information numérique qui ne leur est pas familier. Les relations avec le public se font intuitivement et finissent par se matérialiser journalistiquement dans un article qui n’a presque rien à voir avec l’agenda de la presse traditionnelle.

Le grand problème des activistes, qui, grâce aux facilités offertes par l’Internet et l’informatique, prolifèrent à la même vitesse que les supports numériques, est que le taux d’échec de leurs initiatives est extrêmement élevé, près de 70 %, selon des estimations provenant des États-Unis. Chaque projet raté nourrit le pessimisme des militants de l’information comme des professionnels souffrant du syndrome de la peur du chômage. Mais plus grave encore, il alimente aussi le scepticisme de la population, ce qui crée des difficultés supplémentaires pour les nouveaux projets.

Par où commencer ?

Il ne sert à rien de développer un agenda alternatif ou de s’immerger dans la communauté des lecteurs, auditeurs et téléspectateurs si les messages d’information ne sont pas formatés en fonction de la culture et des moyens technologiques locaux. La troisième jambe du trépied est donc ce que l’on appelle le narratif, le storytelling, qui donne aujourd’hui la priorité aux flux d’informations via des plateformes numériques telles que Facebook, Instagram, TikTok et X, sous la forme de messages audios, visuels et textuels, sans parler de l’échange de messages.

Chaque communauté a ses propres caractéristiques lorsqu’il s’agit de raconter des histoires, ce qui nécessitera des recherches sur la réalité locale avant de commencer tout projet. Dans certains endroits, les gens utilisent davantage Instagram, dans d’autres c’est Facebook et il y a ceux qui préfèrent Tiktok. Les préférences d’utilisation varient selon le type de public - jeunes, femmes ou hommes adultes. Chaque segment social requiert également une attention particulière pour identifier le type de narration le plus engageant et la plateforme numérique qui a la plus grande audience locale.

Vous pouvez déjà vous rendre compte que la viabilité financière n’est pas un objectif facile à atteindre. Il s’agit d’une question pour laquelle les particularités locales sont mises prioritaires dans la recherche d’une solution. Les expériences en cours dans différents pays, notamment aux États-Unis, montrent qu’il est nécessaire de commencer la recherche des conditions de pérennisation du support médiatique en développant un nouveau type de relation entre les journalistes, les activistes de l’information et le public cible du projet journalistique. L’importance accordée à l’équilibre du trépied contribuera à créer la solidarité nécessaire à l’émergence d’un environnement de confiance mutuelle entre les reporters et les personnes qui paieront pour l’information, que ce soit sous forme d’abonnements, de dons, d’impôts ou de services.

Carlos Castilho est journaliste et titulaire d’un doctorat en ingénierie et gestion des connaissances de l’EGC de l’UFSC. Il enseigne le journalisme en ligne et est chercheur en communication communautaire. Il vit au Rio Grande do Sul.

Voir en ligne : Article original en portugais

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