Le poids réel des militaires dans le gouvernement Bolsonaro Dossier Brésil

 | Par A l’encontre, Marcelo Aguilar

La démission de Sérgio Moro en tant que ministre de la Justice est l’événement le plus dangereux que le président brésilien Jair Bolsonaro ait eu à affronter. La raison de cette démission, selon Moro lui-même, est que le président s’immisçait dans les décisions de la police fédérale afin de protéger ses enfants des enquêtes judiciaires. Après le départ de Moro, Bolsonaro est suspecté d’avoir tenté de mettre à la tête du corps un ami de son clan familial, Alexandre Ramagem, un ancien chef des services de renseignement qui a coordonné la sécurité de sa campagne après l’attentat de 2018 [attaque au couteau contre le candidat Bolsonaro le 6 septembre 2018]. En Mai, la Cour suprême fédérale a suspendu cette nomination.

Considéré comme un champion de la justice par de larges secteurs de la société après sa participation à l’opération Lava Jato – et malgré les allégations d’irrégularités flagrantes dans la manière dont il l’a menée [voir à ce sujet les révélations du site The Intercept concernant les relations entre les procureurs et le juge Moro ayant pour but d’éliminer Lula des élections présidentielles] – Moro agissait comme une « réserve morale » au sein du gouvernement. Mais la porte a été enfoncée. Ses dénonciations ont conduit à l’ouverture d’une enquête judiciaire contre le président lui-même. Le rapporteur de cette affaire, le juge Celso de Mello, devra également se prononcer sur une demande de mise en accusation du président par la Chambre des députés. Bien que le président de la Chambre, Rodrigo Maia – qui a une relation plutôt tendue avec l’exécutif –, essaie de calmer le jeu et dit que la priorité devrait être de combattre le coronavirus, il y a déjà des rumeurs de mouvements en coulisses autour du vice-président, Hamilton Mourão [général d’armée à la retraite].

Carlos Bolsonaro lui-même, un des fils du président, a semé des soupçons au début du mois d’avril sur les intentions de l’ex-général Mourão lorsqu’il a remis en question sa récente rencontre avec Flávio Dino, gouverneur de l’État du Maranhão et membre du PCdoB [PC d’origine maoïste ; a soutenu Lula en 2002 et Dilma Rousseff en 2010 ; il présenta en 2018 Manuela D’Avila comme vice-présidente sur le ticket du candidat du PT, Fernando Haddad]. Dino est le visage le plus visible de l’opposition de gauche à Bolsonaro parmi les gouverneurs. Parmi les gouverneurs, Bolsonaro compte également des opposants de droite, comme João Doria [du Psdb : Parti de la social-démocratie brésilienne] de São Paulo, qui l’a soutenu lors de son élection avec le slogan « Bolsodoria » et qui maintenant, prenant la défense de Moro, l’a qualifié de « virus ».

L’heure des militaires

Dans ce scénario de crise, toutes les sorties possibles semblent profiter au même acteur : les forces armées. Pour André Ortega – journaliste et coauteur, avec Pedro Marín, du livre Carta no coturno : a volta do partido fardado no Brasil – ce qui est en jeu en ce moment, c’est la voie que les militaires vont emprunter : garder Bolsonaro ou le mettre hors jeu ?

« Le sortir pourrait déclencher un nouveau cycle d’instabilité et les choses pourraient se retourner contre eux. Le garder, en revanche, les fait apparaître comme le frein distingué du gouvernement », a-t-il déclaré à Brecha.

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Là où commandent des généraux, ne commandent pas des capitaines

Par Nastalia Barceló, Camilo López Burian et Marina Vitelli

Avec la prise de fonction, le 18 février 2020, du général Walter Braga Netto à la tête de la Maison civile [équivalent à un poste de premier ministre en France], les militaires ont fini de consolider leur position centrale au sein du gouvernement brésilien. Depuis la fin de la dernière dictature, ce poste n’avait pas été occupé par un militaire. Il s’agit d’une position éminemment politique qui traite, entre autres, des relations de la présidence avec son cabinet et le Parlement. Braga Netto, qui était depuis mars 2019 le chef d’état-major de l’armée, a pris ce poste avant de prendre sa retraite comme militaire le 29 février.

Cela se produit à une époque de transformation du système politique brésilien. L’élection de 2018 pourrait être considérée comme la fin d’un cycle, qui a commencé par la Constitution de 1988 au milieu d’un processus de redémocratisation. Après les élections, les trois principaux partis politiques ont perdu une partie de leur représentation parlementaire, le Parti de la sociale démocratie brésilienne(Psdb) et le Mouvement démocratique brésilien (Mdb) furent les principaux perdants. Alors que la droite traditionnelle a été remplacée par une droite plus radicale, le Parti des travailleurs (PT) est resté la principale force politique de la gauche brésilienne. Pendant ce temps, le Parti social libéral (Psl), qui avait Bolsonaro comme candidat, est passé de deux députés en 2014 à 52 en 2018. Dans la bataille pour le pouvoir exécutif, la logique de polarisation entre le Psdb et le PT a été brisée, tandis que le Mdb a vu son potentiel de votes diminuer. Le système né en 1988 a donc reçu un coup dur.

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Seul contre tous

Avec le soutien de l’industrie agroalimentaire, des groupes évangéliques et pro-armée et de la « famille » militaire et policière, il pourrait disposer d’un soutien suffisant pour gouverner en articulation politique avec le pouvoir législatif. Sur les 513 députés, 360 pourraient le soutenir, alors que seulement 153 sont clairement dans l’opposition. Avec ce scénario, il pourrait recruter jusqu’à deux tiers des voix au Congrès et apporter des changements institutionnels très importants. Cependant, au lieu de faire de la « politique », Bolsonaro affronte le Parlement, sous prétexte de s’opposer à la « vieille politique », et ne négocie pas le soutien parlementaire pour des positions et des ressources. Après un an et demi au pouvoir, le comportement du président montre des signes « d’illibéralisme » et d’autoritarisme.

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Voir en ligne : site de A l’encontre : « Brésil-dossier. Le poids réel des militaires dans le gouvernement Bolsonaro »

Photo couverture : Plénière de la Chambre des représentants lors d’une session solennelle du Congrès national pour commémorer le 30e anniversaire de la Constitution citoyenne : Vice-Président de la République élu, général Hamilton Mourão ; Président de la République élu, Jair Bolsonaro © Edilson Rodrigues/Agência Senado

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