Belo Monte : Lula au pied du mur (5/6) Comment la majestueuse rivière Xingu est devenue le point d’eau de Belo Monte

 | Par Sumaúma

Le 22 juin 2010, le président Lula, alors dans son second mandat, s’est rendu à Altamira, dans l’État du Pará, et a prononcé un discours controversé dont la région se souvient encore. Lula a défendu la construction de l’Usine hydroélectrique de Belo Monte, qui inonderait une partie de la ville, noierait des îles, affecterait les peuples autochtones, assécherait la Volta Grande de la Xingu et expulserait quelque 55 000 personnes de leurs maisons, certaines d’entre elles appartenant à des communautés traditionnelles de la forêt. Aujourd’hui, près de 13 ans après ce discours, alors que Lula est au début de son troisième mandat, les faits et les preuves abondent pour affirmer que Belo Monte est un « crime de folie ».

Par Helena Palmquist _ Aussi disponible en anglais ici
Traduction pour Autres Brésils : Du DUFFLES
Relecture : Philippe ALDON

Autres Brésils propose une traduction par semaine, choisie par l’équipe éditoriale de Sumaúma. Pour mieux connaître Sumaúma voir en fin d’article

La Volta Grande de la Xingu est un tronçon de la rivière situé à environ 130 kilomètres en aval de la ville d’Altamira, où la rivière dessine un méandre à 90 degrés, formant ce qui était, avant Belo Monte, un paysage étonnant d’îles, de plages, d’affleurements rocheux et de forêts d’igapó. Il y avait un intense mouvement de pirogues de ses nombreux habitants, allant et revenant de la ville, où ils vendaient les produits excédents de la pêche, toujours abondante, et les produits des champs, notamment la farine de manioc, la base alimentaire d’une grande partie des communautés amazoniennes. La Volta Grande abrite également diverses communautés riveraines et autochtones : les trois plus grands peuples ayant des territoires démarqués et ratifiés sont les Arara de la Volta Grande, les Yudjá (Juruna), de la TI Paquiçamba, et les Xikrin, de la Bacajá Trincheira. En raison de ses caractéristiques écologiques uniques, la Volta Grande a formé, pendant des siècles, un ensemble d’écosystèmes uniques, produisant des espèces endémiques (qui n’existent que dans cette région), comme le poisson pléco-zèbre. Ainsi que des communautés autochtones et riveraines qui, jusqu’à la construction de Belo Monte, vivaient en harmonie avec le rythme des crues (rythme annuel des inondations et des sécheresses) de la rivière Xingu.

Depuis 2015, l’équilibre délicat de tant de vies a été rompu — ou coupé, comme le disent les habitants de la Volta Grande. Lorsque le principal barrage de Belo Monte, Pimental, a été définitivement fermé en novembre de cette année-là, date à laquelle la licence d’exploitation a été accordée, une série d’événements dramatiques pour l’équilibre de l’écosystème et la vie des communautés de la région se sont produits. Le premier fut le massacre de plus de 55 000 spécimens (16 tonnes) de poissons, selon les calculs de l’IBAMA, vérifiés dans les premières semaines qui suivirent la fermeture du barrage. Certains ont été broyés par la force excessive des eaux propulsées par les turbines. D’autres se sont retrouvés sans oxygène, piégés dans des mares d’eau chaude dans la région de la Volta Grande, d’où l’eau était détournée en grandes quantités. Et tout cela s’est produit exactement pendant la période de reproduction de ces espèces, lorsqu’elles sont à la recherche de zones d’alimentation et de frayères.

L’IBAMA a condamné Norte Energia à une amende de 27 millions de réaux pour ces pertes. Malgré cela, l’année suivante, 23 260 autres spécimens de poissons sont morts au moment où la rivière Xingu était censée être inondée. En 2021, le MPF a calculé que plus de 85 000 spécimens (24 tonnes) de poissons étaient morts à cause de Belo Monte entre novembre 2015 et décembre 2018, sur la base des avis d’infraction émis par l’IBAMA. Au total, ces amendes pourraient atteindre la valeur de 70 millions de réaux — elles sont collectées dans le cadre d’un procès toujours en cours devant la Cour fédérale d’Altamira.

Des centaines d’arbres morts composent le paysage du cimetière de la nature dans le réservoir de Belo Monte.
Photo de janvier 2023 : Soll Sousa/ SUMAÚMA

En début de soirée du 26 janvier 2016, un courant artificiel produit par l’usine a balayé, sans prévenir, les rives de la Volta Grande de la Xingu, emportant bateaux, moteurs, matériels de pêche, vêtements et vaisselle qui se trouvaient sur les berges, selon la coutume séculaire des communautés. L’impact a été le même que celui d’un événement extrême, de plus en plus fréquent en raison de l’aggravation de la crise climatique. Dans ce cas, cependant, la cause était le lâcher soudain d’une grande quantité d’eau par les gestionnaires de l’usine — et sans aucun avertissement.

Les dégâts ont été importants, mais la peur l’a été encore plus. Les habitants ont commencé à craindre les berges de la rivière et ont interdit aux enfants de se baigner et de jouer dans l’eau. Des nuages de moustiques, appelés carapanãs dans le Pará, ont été signalés, obligeant les familles à prendre leurs repas sur leur lit, sous une moustiquaire. Les eaux, autrefois familières, sont devenues imprévisibles, fluctuant à la hausse comme à la baisse. La Xingu, père et mère de ces peuples autochtones et traditionnels, est devenue une inconnue. Les changements ont été si nombreux et si intenses qu’à ce jour, l’année 2016 est connue dans la Volta Grande comme « l’année de la fin du monde ».

Appeler cela la fin du monde peut sembler exagéré, mais pour les communautés qui vivaient en totale harmonie avec les cycles d’inondation, de crue, de reflux et de sécheresse typiques des grands fleuves de l’Amazonie, c’est une description exacte. Ces communautés vivent dans une sécheresse permanente depuis que 70 % de l’eau qui coulait dans la Volta Grande a été détournée pour faire tourner les turbines de la centrale hydroélectrique. Pendant l’été amazonien (de mai à octobre), la période de reflux, lorsque le débit moyen historique de la Xingu est de 2 000 mètres cubes d’eau, le changement est moins important. Mais en hiver amazonien (de novembre à avril), la période qui devrait être celle de la crue, les débits moyens historiques sont de 20 000 mètres cubes, et peuvent atteindre 25 000 mètres cubes. C’est à cette époque que les poissons pénètrent dans la Volta Grande à la recherche de centaines d’abris dans les forêts d’igapó qui, s’inondant progressivement, leur permettent d’accéder à une abondance de fruits. Protégés des prédateurs, dans les recoins des îles et sur les berges de la région, ils constituaient des lieux idéaux pour le frai. Ces refuges sont appelés piracemas par les habitants.

Normalement, lorsque nous parlons de piracema au Brésil, cela fait référence au mouvement ascendant que les poissons effectuent pour frayer dans les sources des rivières, une stratégie qui permet aux jeunes individus de se répartir sur l’ensemble du cours de la rivière. Dans le cas de la Xingu, sur ce tronçon qui comporte de nombreux rapides et cascades, les poissons sont en mouvement permanent, et les riverains parlent des piracemas comme d’une combinaison d’espace et de temps. C’est un moment où les eaux montent et les poissons remontent, mais pas vers les sources, mais à la recherche de ces endroits récemment inondés, parfaits pour le frai,explique le scientifique Jansen Zuanon.

Aujourd’hui, la plupart des piracemas ne servent plus de refuge et, depuis que le barrage de Pimental a définitivement coupé le courant de la Xingu vers la Volta Grande, cela a pratiquement mis fin à la reproduction de l’espèce dans la région.

La principale mesure proposée par Norte Energia pour atténuer les effets de la réduction du débit a été appelée « hydrogramme de consensus ». Mais malgré ce nom, il n’y a jamais eu aucun consensus. Au contraire, les populations affectées, ainsi que les scientifiques qui conseillent le MPF, n’ont jamais été d’accord avec la répartition inégale de l’eau, qui est incompatible avec la reproduction du mode de vie des humains et des non-humains. Les prévisions d’octroi de permis prévoyaient de libérer 4 000 mètres cubes d’eau une année et 8 000 mètres cubes d’eau l’année suivante, ce qui soumettrait la vie dans la région à un stress hydrique qualifié d’insoutenable.

Des pêcheurs traînent un bateau sur des cailloux pour franchir un rapide asséché parce que Belo Monte se sert de la rivière Xingu comme si c’était son réservoir d’eau privé.
Photo de septembre 2022 : Lalo de Almeida/Folhapress

Le MPF a constaté, en analysant les documents d’autorisation de Belo Monte, que les techniciens de l’IBAMA étaient en désaccord total au sujet de l’hydrographie proposée par Norte Energia. Un avis de cet institut datant de 2009, avant la délivrance de la licence préliminaire, mettait en garde contre le fait que la quantité d’eau prévue était insuffisante pour assurer la continuité de la vie dans la région.

Il n’y a pas de clarté quant au maintien des conditions minimales pour la reproduction et l’alimentation de l’ichtyofaune, des chéloniens et des oiseaux aquatiques, ni quant à la capacité du système à supporter ce niveau de stress à moyen et à long terme. La proposition de l’hydrogramme de consensus ne présente pas de garantie quant au maintien de l’écosystème pour le recrutement de la majorité des espèces qui dépendent de l’impulsion de l’inondation, ce qui pourrait conduire à des impacts négatifs graves, y compris compromettre l’alimentation et le mode de vie des populations de la Volta Grande, indique le document.

Mais les techniciens de l’IBAMA ont été complètement ignorés lors de la délivrance de la licence par la direction de cet institut, alors dirigé par Roberto Messias Franco. La proposition de l’entreprise a été entièrement couverte par une décision politique du ministère de l’Environnement, ayant, à l’époque, Carlos Minc à sa tête.

Pendant les années d’installation et d’exploitation de la centrale, le schéma hydrologique appliqué était appelé « hydrogramme B », qui permet la libération de 8 000 mètres cubes d’eau par seconde dans la Volta Grande pendant les inondations. Cela signifie que lorsque la Xingu atteint son débit maximal, avec 20 000 mètres cubes d’eau par seconde, la majeure partie de l’eau part vers les turbines et les écosystèmes et communautés restent en régime de sécheresse, avec un maximum de 8 000 mètres cubes d’eau par seconde.

Pour le géologue André Sawakuchi, la manière dont le partage a été effectué inverse les priorités : entre la biodiversité et la production d’énergie, il a été décidé de sacrifier la biodiversité et les forêts d’igapó, ce qui est aussi une forme de déforestation. L’observation n’est pas anodine et a des effets juridiques, puisque le pilier du droit constitutionnel pour un environnement équilibré est le principe de précaution, qui détermine que la protection de l’environnement doit toujours être prioritaire.

Cette appréciation a été confirmée par un avis émis par l’IBAMA en décembre 2019. L’équipe technique a attesté de la gravité des impacts sur la Volta Grande et a estimé qu’il ne serait pas possible de maintenir la région avec seulement 8 000 mètres cubes d’eau par seconde, du moins tant qu’il n’y a pas de garantie que les communautés et les écosystèmes puissent survivre au régime artificiel des eaux.

Dans son avis 133/2019, l’IBAMA a déclaré la « non-faisabilité » des hydrogrammes A et B, demandant des études complémentaires et déterminant l’application de ce qui est appelé « hydrogramme provisoire », qui prévoyait la libération de quantités d’eau minimales supérieures à celles incluses dans les hydrogrammes précédents, jusqu’à ce que les études complémentaires soient menées pour démontrer la quantité d’eau nécessaire pour permettre l’inondation des forêts et l’alimentation et la reproduction de la faune aquatique — des systèmes cruciaux pour la survie de toute la région et le maintien des modes de vie autochtones et riverains. L’hydrogramme provisoire a été appliqué d’avril 2020 à février 2021, mais le répit a été de courte durée. Une fois de plus, comme c’est souvent le cas pour l’octroi de licences à Belo Monte, les conclusions de l’équipe technique n’ont pas été respectées.

En février 2021, le président de l’IBAMA de l’époque, Eduardo Bim, a autorisé la poursuite de l’hydrogramme B jusqu’à ce que des études complémentaires soient réalisées. En échange de l’eau qui garantirait la vie, l’IBAMA a signé avec Norte Energia un engagement environnemental qui prévoyait l’exécution d’une série de mesures supplémentaires d’atténuation et de compensation des impacts en faveur des communautés de la Volta Grande. Par cette décision, la Volta Grande a été privée d’eau en quantité suffisante pendant deux années supplémentaires. Les études complémentaires ont été présentées, rejetées, refaites et, entre ces allers et retours, ont finalement été conclues en 2022. Dans les prochaines semaines, l’équipe technique de l’IBAMA devrait présenter un rapport final sur ces études.

Parallèlement, le dilemme du partage de l’eau de la Xingu a été porté devant les tribunaux. Le MPF a obtenu des décisions favorables de la part de la Cour fédérale d’Altamira et du Tribunal fédéral régional de la 1ère région, qui ont ordonné que l’eau libérée par l’usine garantisse la survie de la Volta Grande. Le président de la TRF-1 à l’époque, Italo Mendes a suspendu la décision. Le MPF a fait appel, mais la procédure n’a toujours pas avancé. Aujourd’hui, le volume d’eau séquestré par l’usine entrave manifestement la survie d’une grande partie de la faune aquatique et compromet gravement la vie des populations traditionnelles.

En réponse à SUMAÚMA, Norte Energia a déclaré que « l’affirmation concernant l’abattage de poissons et les amendes n’est pas véridique et que la question est débattue devant les tribunaux afin de trouver des preuves de la véracité des faits ». L’entreprise fait référence à deux procès intentés par le MPF dans lesquels elle est poursuivie à la fois pour l’abattage des poissons et pour les pertes subies par les pêcheurs. Les procédures sont en cours devant la Cour fédérale d’Altamira.

En ce qui concerne le courant artificiel qui a balayé la Volta Grande de la Xingu en janvier 2016, l’entreprise s’est contentée de dire que « lorsqu’elle a eu connaissance de l’événement, elle s’est manifestée auprès de l’IBAMA et des communautés, et les mesures appropriées ont été prises », mais elle n’a pas précisé, bien qu’elle ait été spécifiquement interrogée sur l’indemnisation des dommages subis par les riverains, ce qu’auraient été ces mesures.

Enfin, à propos du détournement des eaux de la Volta Grande, l’entreprise a déclaré qu’elle « n’a pas établi ou défini les hydrogrammes de fonctionnement de l’usine » et que cette décision a été prise par IBAMA sur la base d’études techniques et écologiques, visant à garantir le maintien de la qualité de l’eau, la conservation de l’ichtyofaune, de la végétation alluviale, des chéloniens, de la pêche et de la navigation, ainsi que les modes de vie de la population de la région ». « L’entreprise n’a pas connaissance des données scientifiques réelles sur les dommages et leurs causes, ni de la crise humanitaire qui frappe la population de sa zone d’influence directe, en raison du fonctionnement de la centrale », a déclaré Norte Energia.

L’IBAMA a précisé que l’équipe technique se consacre actuellement à l’évaluation de la situation de la Volta Grande de la Xingu afin de « soutenir une éventuelle décision de l’institution chargée de délivrer les licences sur l’applicabilité de “l’hydrogramme de consensus” [les guillemets sont ceux de l’IBAMA], proposé dans l’Etude d’impact sur l’environnement (EIE) ». Les techniciens évaluent les études supplémentaires fournies par le concessionnaire de Belo Monte sur la dynamique des inondations dans la région, sur les écosystèmes et sur les impacts socio-économiques pour les habitants. Cependant, il n’a pas été précisé s’il existait des prévisions quant à la conclusion de ces analyses techniques.

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Voir en ligne : A hora é agora : Lula terá que decidir sobre Belo Monte

Des centaines d’arbres morts composent le paysage du cimetière de la nature dans le réservoir de Belo Monte.
Photo de janvier 2023 : Soll Sousa/ SUMAÚMA

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