Belo Monte : Lula au pied du mur (2/6) Lula a maintenant un rendez-vous - inévitable - à prendre avec Belo Monte

 | Par Sumaúma

Le 22 juin 2010, le président Lula, alors dans son second mandat, s’est rendu à Altamira, dans l’État du Pará, et a prononcé un discours controversé dont la région se souvient encore. Lula a défendu la construction de l’Usine hydroélectrique de Belo Monte, qui inonderait une partie de la ville, noierait des îles, affecterait les peuples autochtones, assécherait la Volta Grande de la Xingu et expulserait quelque 55 000 personnes de leurs maisons, certaines d’entre elles appartenant à des communautés traditionnelles de la forêt. Aujourd’hui, près de 13 ans après ce discours, alors que Lula est au début de son troisième mandat, les faits et les preuves abondent pour affirmer que Belo Monte est un « crime de folie ».

Par Helena Palmquist _ Aussi disponible en anglais ici
Traduction pour Autres Brésils : Du DUFFLES
Relecture : Philippe ALDON

Autres Brésils propose une traduction par semaine, choisie par l’équipe éditoriale de Sumaúma. Pour mieux connaître Sumaúma voir en fin d’article

Pour aider le président à prendre sa décision, l’équipe de SUMAÚMA a visité les communautés les plus isolées, des Brésiliens qui ne peuvent plus naviguer sur la Xingu et n’ont pas accès aux routes, vivant dans la misère et sans assistance. Notre équipe de reportage a également été la première à se rendre sur les lieux où Norte Energia veut construire les « seuils » — sept barrages sur la rivière pour tenter d’éviter d’avoir à restituer une partie de l’eau détournée de la région de Volta Grande du Xingu. Nous avons parlé à des pêcheurs qui ont vécu pendant sept ans sans pouvoir faire vivre leur famille de la pêche, en raison des dommages causés à la faune aquatique qui n’ont été reconnus par l’IBAMA qu’en 2019. Nous avons également parcouru les rues des RUC, des quartiers éloignés du centre construits par Norte Energia dans lesquels les familles expulsées par le barrage ont été jetées, soumises à une routine de manque d’eau, de factures d’électricité impayables et de violence extrême.

Odelita Honorato est photographiée le 2 mars dernier près de sa maison dans le RUC Laranjeiras, l’un des quartiers construits à Altamira par Norte Energia pour accueillir les familles expulsées par Belo Monte : elle a voté pour Lula dans l’espoir qu’il mette en place des politiques publiques pour sauver la jeunesse détruite par la violence à Altamira.
Photo : Soll Sousa/SUMAÚMA

Au-delà des revendications et des souffrances, toutes les personnes auxquelles nous avons parlé dans la région ont déclaré avoir voté pour Lula en 2022. Malgré les catastrophes causées par Belo Monte, le gouvernement de Jair Bolsonaro a fait tellement de morts que Lula était effectivement, pour de nombreux électeurs, le « salut du pays ». Ces électeurs disent faire confiance au président pour apporter les changements nécessaires afin de mettre fin au cycle d’appauvrissement et de destruction socio-environnementale que Belo Monte a inauguré dans la Xingu. « Je lui dirais [à Lula] de s’intéresser aux classes modestes, à nos jeunes. Ici, beaucoup de jeunes perdent la vie à cause du trafic », déclare Odelita Honorato, assise au salon de sa maison située dans l’un des RUC construits par Norte Energia. « Ce que nous espérons, c’est qu’il trouvera un moyen pour nous de travailler et de survivre ici », déclare José Bastos, un homme du Maranhão, venu vivre sur les rives de la Volta Grande de la Xingu, attiré par la facilité de planter et de transporter ses produits par bateau pour les vendre dans les centres urbains voisins et qui n’a désormais plus de rivière à naviguer ni de route à emprunter. Il a également voté pour Lula.

Vivant entre deux îles de la Volta Grande, qu’il a baptisées Île de l’Amour 1 et Île de l’Amour 2, le pêcheur Sebastião Bezerra Lima explique que la vie est devenue très difficile après le détournement de 70 % des eaux par Belo Monte pour faire tourner ses turbines :

Les choses ici ne sont plus ce qu’elles étaient, pas du tout. Ni les poissons, ni les riverains, ni les pêcheurs, ni les autochtones ne comprennent plus la rivière. Autrefois, le pêcheur, le riverain, chacun comprenait la rivière, la marée descendante, la crue, tout, on comprenait tout, et maintenant on ne comprend plus rien. La vie du pêcheur a changé, les fruits tombent à la saison sèche, l’eau n’arrive pas jusqu’à l’igapó1, aujourd’hui les poissons ne se nourrissent plus, certains de ceux qui restent sont aussi maigres qu’une machette. J’ai perdu beaucoup de choses. Le pêcheur, l’autochtone, l’habitant de la rivière, ils ont perdu beaucoup de choses.

Sebastião se trouve à proximité d’une zone qui aurait dû être inondée depuis novembre de l’année dernière pour la reproduction des poissons, mais qui était encore sèche la troisième semaine de janvier. Malgré tout, le pêcheur sans rivière et sans poisson fait confiance à Lula : « J’ai confiance. Il tient à nous, nous lui demandons juste de réparer. Je lui fais confiance, de tout mon cœur. Il est resté pour aider les petits. Et moi, je suis petit, je suis tout petit ».

Là où il y avait une rivière, il n’y a plus qu’un lit asséché. Sebastião Bezerra Lima utilise des règles pour contrôler l’eau qui manque pour que les poissons se reproduisent.
Photo de janvier 2023 : Soll Sousa/SUMAÚMA

Les enjeux du renouvellement de la licence d’exploitation

La licence d’exploitation (LO) de Belo Monte a été accordée par l’IBAMA le 24 novembre 2015. Cette date marque la fermeture définitive du barrage de Pimental, qui, selon l’expression des habitants de la Xingu, a coupé la rivière. On parle de complexe hydroélectrique parce que le projet d’ingénierie comprend deux barrages, deux réservoirs et deux centrales électriques. Pimental, le barrage principal, retient une partie du débit de la Xingu dans la région, en face d’Altamira, et détourne une autre partie vers un second réservoir, un canal artificiel qui prend les eaux qui devraient s’écouler par la Volta Grande de la Xingu vers la centrale principale, où elles alimentent les turbines et génèrent de l’énergie. Du point de vue des habitants de la Volta Grande, rien n’est plus juste que de dire que Pimental a coupé la rivière car ce sont eux qui sont restés sans eau.

Avec la décision du renouvellement de la licence d’exploitation, le gouvernement fédéral pourra enfin respecter les avis techniques, prendre en considération les dizaines de scientifiques qui surveillent les impacts de la mise en œuvre de la centrale, éviter les pressions politiques et économiques et tenir compte des demandes des électeurs de la Xingu, en corrigeant les innombrables problèmes causés par le barrage hydroélectrique et également, concrétiser le discours sur la protection de l’Amazonie.

Nous ne pouvons plus jouer avec les questions environnementales, et encore moins avec les questions socio-environnementales. Nous parlons sans cesse du rôle de ces communautés traditionnelles dans la conservation de l’environnement, de leur importance pour la connaissance de ce qui se passe dans la région, pour la génération de connaissances et le partage des ressources naturelles, pour des modes de vie durables pour l’écosystème amazonien. Or, tout ce que nous avons fait, ce sont des interventions qui mettent en péril cet écosystème, qui le déstabilisent complètement, ainsi que la vie de ces communautés. Il est temps d’avoir une nouvelle stratégie pour ces projets en Amazonie,

prévient Jansen Zuanon, l’un des plus grands experts en ichtyologie amazonienne, professeur retraité de l’Institut national de recherche sur l’Amazonie (INPA) et membre d’un observatoire qui réunit chercheurs et habitants pour surveiller les dégâts causés par Belo Monte sur la Xingu.

André Sawakuchi, géologue, professeur à l’Université de São Paulo (USP) et également membre de l’observatoire des chercheurs, met en garde contre la nécessité d’une compréhension plus actuelle de la déforestation afin que le Brésil soit en phase avec le débat mondial sur la crise climatique :

La destruction des forêts alluviales est également un type de déforestation. Dans le cadre de la discussion sur Belo Monte, nous devons déterminer dans quelle mesure nous sommes prêts à sacrifier la biodiversité pour produire de l’énergie. Cela vaut-il la peine de détruire tous ces écosystèmes et toutes ces forêts, sans parler de la perte des cultures riveraines et autochtones ? La ‘Volta Grande’ a encore une solution, nous pouvons encore la sauver si nous garantissons la vie des écosystèmes et des communautés en premier lieu. Mais nous devons décider ce que nous allons sacrifier.

Selon la législation brésilienne, la licence d’exploitation doit être accordée lorsque les conditionnalités des licences précédentes — préliminaire et d’installation — ont été pleinement remplies. Les conditionnalités, comme leur nom l’indique, c’est ce qui conditionne. Dans le cas de Belo Monte, elles n’ont pas conditionné. Le Ministère public fédéral (MPF) et des organisations de la société civile, tel que l’Institut socio-environnemental (ISA), affirment qu’il existe encore aujourd’hui des problèmes en suspens liés aux licences précédentes. Le non-respect des conditionnalités entraîne des dommages tragiques pour la vie des personnes et les écosystèmes de la région. Les défaillances dans le processus d’octroi de licences, qu’elles soient délibérées ou non, ont joué un rôle crucial dans le fait que la région d’Altamira est celle qui a été la plus déforestée de l’Amazonie au cours de la dernière décennie.

Après analyse du dernier avis technique de l’IBAMA, émis à la fin du mois de juin 2022, l’ISA a évalué le degré de conformité avec 47 conditionnalités socio-environnementales de la licence d’exploitation. Les données, auxquelles SUMAÚMA a eu un accès exclusif, montrent que sur ces obligations, l’IBAMA considère que Norte Energia n’en a respecté que 13.

En résumé : après toutes les licences accordées et sept années d’exploitation de l’usine, seules 13 des 47 mesures qui auraient dû être pleinement respectées l’ont été. Vingt et une autres sont encore en cours de mise en œuvre, huit ont été partiellement remplies et deux conditionnalités n’ont même pas commencé à être mises en œuvre. En outre, neuf conditionnalités n’ont pas encore été analysées, parmi lesquelles se trouve probablement le plus grand dilemme du complexe hydroélectrique : le partage de l’eau de la Xingu, afin de garantir la vie des écosystèmes de la Volta Grande.

Parmi les conditionnalités considérées comme non remplies et en suspens, selon l’avis de l’IBAMA, figurent un nouvel assentamento des populations affectées, l’assainissement de base d’Altamira et les mesures de compensation et d’atténuation en faveur des populations traditionnelles de la région en raison de la perte de l’activité de pêche. Ces conditions affectent directement la qualité de vie de milliers de résidents de la région.

La délivrance des permis à Belo Monte sans respecter ces conditionnalités constitue une violation explicite de la législation, avec de graves conséquences pour la forêt, ses populations et les habitants d’Altamira. Avec leur décision sur le renouvellement de la licence d’exploitation, Lula et Marina Silva montreront si le gouvernement continuera à accepter le non-respect de la loi et à permettre de graves dommages environnementaux et humains en Amazonie — ou si les conditionnalités seront enfin remplies.

Dans une note envoyée à SUMAÚMA, Norte Energia a déclaré : « Il n’y a pas de conditionnalité non remplie. Les conditionnalités sont remplies ou en voie de l’être. Ce contrôle est effectué régulièrement par l’agence chargée de l’octroi des licences, l’IBAMA ». Celui-ci a déclaré à ce reportage que « des obligations sont en suspens, en cours d’exécution ou déjà remplies par Norte Energia ». Il a également été souligné que « des informations supplémentaires ont été demandées » à l’entreprise et que « des recommandations ont été formulées visant à ajuster les projets aux lignes directrices en matière d’octroi de licences ». Pour une déclaration concluante sur le respect des conditionnalités de la licence d’exploitation, l’IBAMA dit attendre l’achèvement de l’analyse par l’équipe technique.

Le barrage de Pimental, qui, selon les riverains, a coupé la rivière Xingu.
Photo de janvier 2023 : Soll Sousa/SUMAÚMA

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Voir en ligne : A hora é agora : Lula terá que decidir sobre Belo Monte

Des centaines d’arbres morts composent le paysage du cimetière de la nature dans le réservoir de Belo Monte.
Photo de janvier 2023 : Soll Sousa/ SUMAÚMA

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