Le jour où les ténèbres couvrirent la terre

 | Par Leonardo Boff

Marchant dans ma rue, où il ne passe quasiment personne, j’ai compté, en 50 mètres à peine, 58 scarabées morts. Comme nous ne prêtons pas attention à ces plus petits de nos frères, nous les piétinons, et nos autos les massacrent. Si Saint François les voyait morts, il pleurerait de compassion.

Je me suis souvenu alors d’un beau mythe des Indiens Maué, qui ont beaucoup de choses à nous enseigner. Les Maué font partie de la zone culturelle qui s’étend entre les fleuves Tapajós et Madeira, dans le nord-ouest du Brésil. Je vous raconte ce mythe, et que tout un chacun en tire les leçons, leçons d’écologie peut-être ou même de politique internationale.

Le mythe dit :

Quand le monde fut créé, la nuit n’existait pas. Il n’existait que le jour, et la lumière pénétrait partout. Sauf dans les eaux profondes du fleuve, où elle ne parvenait pas. Les Maué, malgré leur désir, n’arrivaient pas à dormir. Ils vivaient fatigués et les yeux irrités par l’excès de lumière. Un jour, l’un d’eux s’emplit de courage et s’en fut parler avec la Grande Cobra [Le Grand Serpent], la sucuriju, toute obscure, qui était, disait-on, la maîtresse absolue de la nuit. C’est elle qui retenait la nuit prisonnière au plus profond des eaux.

La Grande Cobra écouta les lamentations de l’Indien, et regardant sa peau noircie par le soleil brûlant et ses yeux rougis par l’excès de lumière, elle le prit en pitié. Après avoir longtemps hésité par crainte des risques, elle lui proposa un pacte : « Je suis grande et forte. Je sais me défendre. Je n’ai besoin de personne. Mais j’ai beaucoup de parents petits et sans défense. Personne ne veille sur eux. Vous en particulier, qui allez de-ci de-là sans regarder où vous marchez et qui les tuez sans pitié. Comment pourraient-ils se défendre ? Faisons un marché : tu me procures du venin et je me charge de le répartir entre mes petits parents sans défense. Les grands n’en ont pas besoin parce qu’ils peuvent se défendre tout seuls. De cette façon, vous, les Maué, quand vous marcherez de-ci de-là, regardez bien ou vous posez vos pieds pour ne pas piétiner les petites bestioles. Elles auront maintenant de quoi se défendre. En échange, je te donnerai une noix de coco pleine de nuit ».

Le Maué accepta le marché. Il courut à la forêt et revint vite avec le venin pour la Grande Cobra. A son tour, elle lui remit une noix de coco pleine de nuit. Au moment du troc, la Grande Cobra lui recommanda : « Ne t’avise pas d’ouvrir la noix de coco en dehors de la cabane ». L’Indien promit de respecter le pacte, mais la curiosité avait rendu fous les autres Maué. Ils voulaient connaître à l’instant même cette nuit si ardemment désirée. Ensemble, ils ouvrirent la noix de coco, au beau milieu du champ ensemencé. C’est alors que le malheur survint : les ténèbres couvrirent le monde. On ne voyait plus rien. Et une angoisse imprévue et terrible envahit l’esprit des Maué. Ce fut une débandade générale. Et dans la fuite précipitée, personne ne pensa aux petites bestioles, que la Grande Cobra avait déjà pourvues de venin. Les premiers à en recevoir avaient été les araignées, les petites couleuvres et les scorpions : pour se défendre des Indiens qui les piétinaient, ils les mordirent aux jambes et aux pieds. Quel désastre !

Le petit nombre qui survécut aux piqûres venimeuses sait maintenant comment se comporter. A partir de ce jour, ils se mirent tous à prêter attention aux petites bestioles pour ne pas les piétiner et ne pas être mordus ; ensemble, ils vécurent en paix et dans le plus grand respect mutuel.

Pourquoi donc nos grands ne veillent-ils pas sur nos petits ?

Par Leonardo Boff

Source : La República / Rebelión- 01-06-04

Traduction : Hapifil, pour El Correo

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