En 2014, le Ministère public fédéral (MPF) a inculpé cinq militaires pour le meurtre et la dissimulation du cadavre de Rubens Paiva, un homme politique destitué par le régime pendant la dictature militaire (1964-1985) et assassiné en janvier 1971. Depuis lors, l’affaire reste en suspens et n’a donné lieu à aucune conclusion. Parmi les accusés, figure le général José Antônio Nogueira Belham.
Selon le « Portal da Transparência » [1], cet accusé, qui réside à Brasilia, continue de recevoir un salaire brut de 35 991,46 R$. Par ailleurs, son grade de maréchal, un titre honorifique réservé aux officiers de l’armée brésilienne ayant démontré une aptitude exceptionnelle en période de guerre, ne lui a pas été retiré.
Au moment des faits, le militaire était commandant du Détachement des opérations internes (DOI) du 1er bataillon dans la zone nord de Rio de Janeiro, où Rubens Paiva aurait été tué. Ce dernier avait été capturé à son domicile, dans le quartier de Leblon, dans la zone sud de Rio, par six agents du Centre d’informations de sécurité de l’aéronautique (Cisa).
Lors de son témoignage devant la Commission nationale de la vérité (CNV) en 2013, le général a nié avoir eu connaissance des tortures infligées à Rubens Paiva, précisant qu’il était en vacances à cette période-là. De son côté, le MPF a souligné que les militaires impliqués, dont Belham, avaient agi de concert et avec une volonté commune pour tuer l’ex-député.
Assassinat
Après l’acceptation par le MPF de l’accusation pour meurtre, la défense des militaires a déposé une plainte auprès du Tribunal Suprême fédéral (STF). En septembre 2014, le juge du STF, Teori Zavascki, a alors accordé une injonction préliminaire [2] et suspendu la procédure pénale.
Les avocats ont contesté les décisions précédentes de la Justice fédérale et du Tribunal régional fédéral de la 2e division de l’infanterie [3]. Selon la défense, l’affaire ne devrait pas se poursuivre en raison de la loi d’amnistie. Le MPF réfute cet argument et considère l’affaire comme un crime contre l’humanité , auquel l’amnistie ne s’applique pas [4]
Sur le banc des accusés, se trouvent José Antônio Nogueira Belham, Jacy Ochsendorf Souza — qui perçoit toujours un salaire brut de 23 457,15 R$ —, Raimundo Ronaldo Campos, Jurandyr Ochsendorf Souza, et Rubens Paim Sampaio, dont trois sont aujourd’hui décédés. Suite à la mort de Zavascki, l’affaire a été prise en charge par Alexandre de Moraes , juge au STF. Le dossier était resté au point mort depuis la fin de l’année 2018, jusqu’à ce que ce dernier demande un rapport d’expertise à la Procuradoria-Geral da República [5] (PGR) concernant le jugement des cinq militaires en octobre 2024.
Le jeudi 21 novembre dernier, la PGR a souligné qu’il serait plus approprié d’attendre la décision du STF concernant le recours extraordinaire qui traite de l’application de la loi d’amnistie [6] En somme, la PGR estime qu’il est préférable que le STF continue l’examen de l’affaire du meurtre de Rubens Paiva.
Contactée par Metrópoles [7] la défense des militaires, dont le général Belham, a jugé la nouvelle déclaration de la PGR « décevante » pour plusieurs raisons :
« La première d’entre elles est la constatation que, désormais, même le cinéma influence le système judiciaire brésilien. C’est extrêmement frustrant. Le procès est resté bloqué pendant 10 ans, et après la réalisation d’un film autour de cet assassinat, un film qui a même été nominé aux Oscars, l’affaire a enfin repris. Cela envoie le message au monde entier que les institutions publiques brésiliennes ne bougent que lorsque quelqu’un les observe. »
En ce qui concerne le bien-fondé de l’affaire, selon l’avocat Rodrigo Roca, il n’y aurait plus personne à poursuivre, car la plupart des personnes impliquées sont déjà décédées. De plus, la défense fait valoir que la problématique principale – l’application de la loi d’amnistie – a déjà été débattue à maintes reprises.
« Le juge Teori Zavascki a émis une injonction préliminaire afin de suspendre l’avancement de l’action pénale. Cette ordonnance a été de nouveau ratifiée par le juge Alexandre de Moraes. Le tribunal suprême fédéral a déjà été confronté plusieurs fois à cette question. Dans les tribunaux, car il y a eu de nombreux recours de ce type, il y a eu cette frénésie du cinquantenaire du régime militaire en 2014, lors duquel plusieurs demandes ont été simultanément émises, mais elles ont toutes abouties à la suspension ou l’annulation du procès d’une manière ou d’une autre, comme dans ce cas », affirme Roca.
Enfin, la défense des militaires espère que « le Tribunal Suprême fédéral maintiendra la position qu’il a adoptée jusqu’à présent, c’est-à-dire en faveur de la reconnaissance du bien-fondé de [leur] plainte et de la clôture de l’affaire . »
Rubens Paiva
L’histoire de l’ex-député et ingénieur Rubens Paiva est racontée dans le film Ainda Estou Aqui, un long-métrage de Walter Salles inspiré du livre éponyme de Marcelo Rubens Paiva, le fils de l’ex député. Il n’a jamais été revu après avoir été emmené pour un interrogatoire en 1971, pendant la dictature militaire.
Rubens Beyrodt Paiva, né le 26 décembre 1929 à Santos, São Paulo, s’est marié avec Maria Lucrécia Eunice Facciola, avec qui il a eu cinq enfants : Vera Sílvia Facciolla Paiva, Maria Eliana Facciolla Paiva, Ana Lúcia Facciolla Paiva, Maria Beatriz Facciolla Paiva et Marcelo Rubens Paiva.
La carrière politique de Rubens Paiva débute en 1962, lorsqu’il est élu député fédéral de São Paulo par le Parti travailliste brésilien (PTB). Pendant la dictature, Paiva devient un symbole de résistance contre le régime antidémocratique et s’oppose publiquement au gouverneur de São Paulo de l’époque, Ademar de Barros, qui soutenait le coup d’État.
Paiva a également fait partie de la commission parlementaire d’enquête chargée d’examiner les activités de l’Ipes-Ibad [8], des institutions accusées de financer des conférences et des articles alertant sur la soi-disant menace rouge au Brésil. Cette prise de position lui coûtera son mandat, qui lui est retiré en avril 1964.
Rubens Paiva s’exile alors à tour de rôle en Yougoslavie, en France et en à Buenos Aires après l’annulation de son mandat. Il finit par rentrer au Brésil avec sa famille, quittant São Paulo pour s’installer à Rio de Janeiro. Bien qu’il n’ait plus repris sa carrière politique, il maintint contact avec des exilés et poursuivit sa carrière d’ingénieur.
Arrestation et mort
En 1969, Rubens Paiva se rend au Chili pour aider Helena Bocayuva Cunha, qui s’était exilée suite après s’être impliquée dans l’enlèvement de l’ambassadeur Charles Burke Elbrick. Peu de temps après, des messagers chargés de délivrer les lettres d’Helena à l’ex-député sont arrêtés, et Paiva se retrouve lié à Carlos Alberto Muniz, qui lui entretenait des liens avec Carlos Lamarca, l’homme le plus recherché du pays à l’époque.
Le 20 janvier 1971, six hommes lourdement armés envahissent la maison de Rubens Paiva à Rio de Janeiro et l’emmènent pour un interrogatoire. Eunice, son épouse, et Eliana, leur fille, sont arrêtées le jour suivant.
Rubens Paiva est torturé et tué dans la caserne de la police militaire du Détachement des opérations internes (DOI). Selon Amílcar Lobo, médecin au DOI, Paiva est mort des suites des blessures infligées lors des séances de torture. À l’époque, les autorités officielles ont prétendu que Paiva s’était échappé lors de son transfert de prison et qu’il n’avait jamais été retrouvé.
Eunice Paiva, libérée après 12 jours de détention au DOI, a lutté pour qu’une enquête soit ouverte sur la disparition de son mari. Ce n’est qu’en 2014 qu’il a été révélé que l’histoire de l’évasion de Rubens avait été inventée par l’ex-major Raimundo Ronaldo Campos et deux autres complices.
En 1996, après l’adoption de la loi sur les disparus par le président de l’époque, Fernando Henrique Cardoso, le certificat de décès de l’ex-député a été délivré, ce qui a permis de reconnaître officiellement sa mort. Son corps n’a jamais été retrouvé.