Le gaz de la réaction

 | Par Janio de Freitas

Unanime, la presse française dénonce la nationalisation du gaz bolivien qui
ferait encore grimper le baril de pétrole. Journal de France Inter : « Le geste
de Morales, allié de Chavez et de Castro, révèle une profonde division parmi la
gauche latino-americaine, entre une rouge et une rose ». Un éditorialiste de la
Folha de Sao Paulo, qui ne peut pas être taxé d’une couleur ou de l’autre, loin
s’en faut, ironise à ce sujet.

Le gouvernement brésilien « n’a pas paniqué », pas plus qu’il n’a « éte pris de
surprise » par le gouvernement bolivien
qui, le mois dernier, avait envoyé au
Brésil un représentant porteur d’un message clair, confirmant la prochaine
nationalisation, en n’omettant que d’en annoncer la date prévue ainsi que le
nouvel impôt sur le gaz, bien qu’il ait donné des assurances sur la continuité
de l’approvisionnement. Confiant en cette information préalable, le président de la Petrobras
[compagnie
nationale brésilienne du pétrole], Sergio Gabrielli, alors en voyage aux
Etats-Unis et avant de connaître le texte complet du décret d’Evo Morales, a
aisément tranquillisé Lula quant à l’approvisionnement [brésilien : 70 % du gaz
bolivien].

Evo Morales en personne fit de même le jour suivant, mardi.
Le manque de clarté sur l’ampleur et les détails de la décision bolivienne a
semé l’inquiétude, y compris au sein du gouvernement [brésilien], quand les
journaux et la TV ont répandu l’alarmiste prédiction d’un manque de gaz pour un
futur immédiat. La presse écrite et télévisée, pas mieux informée que le
gouvernement, a alors montré sa nostalgie de la guerre froide.

L’esprit de l’oncle Sam s’est manifesté dès les premiers commentaires de la
nationalisation. Morales aurait « tout bonnement déclaré la guerre », il aurait
usé de « sa force intérieure pour bombarder les alliés potentiels exterieurs »,
« Morales a [osé] exproprier la Petrobras », « il est temps que le président Lula
et l’Itamaraty [ministère des Affaires étrangères brésilien] se montrent fermes
et durs », « il est inconcevable de ne pas réagir ». Style Bush des meilleurs
jours.

Cette influence s’est faite sentir jusqu’au Sénat, d’où est venu
l’avertissement que « nous ne pouvons pas être condescendants avec les lèse-patrie »
(selon le président de la maison, Renan Calheiros). Encore heureux que nos
« marines »* aient eu les oreilles bouchées par les explosions en Irak.
Toute cette hystérie médiatique cache mal l’intention de rendre responsable
Hugo
Chávez, qui serait sans aucun doute l’inspirateur de l’acte d’Evo Morales
.
Pourtant, l’inspirateur en est resté là. La vigueur et la diffusion du
sentiment nationaliste en Bolivie, très antérieurs à l’existence de Chávez,
n’ont pas d’équivalent en Amérique du Sud. La prégnance de ce sentiment chez
Evo Morales est évidente depuis qu’il a pris les rênes du mouvement
nationaliste qui, en 2003, avait fait descendre de la présidence le
Bolivien-Américain Sanchez de Losada.

On prétend souvent que la Bolivie « a exproprié des biens et des
investissements
brésiliens ». Quand il était encore candidat et plus tard en tant que président,
Evo Morales a dit [lors de voyages] au Brésil que son mouvement veut pour
partenaires la Bolivie et la Petrobras associés. A Lula, il a répété mardi
qu’il prévoit de payer les actions de la Petrobras qui passeront sous propriété
bolivienne. Si le nom exact de ce genre d’opération est « expropriation », on
peut
se demander pourquoi ce terme n’est pas utilisé au Brésil pour des cas
identiques : les nationalisations, par le Brésil, des « biens et
investissements » de la Telefônica, de la Light, de l’ITT, de la Bond and Share,
de la Carris, de la Luz & Força, voire d’autres exemples.

Réclamées par la
gauche pendant des décennies, toutes, à l’exception de l’ITT, ont été
pratiquées par la dictature militaire, dès le gouvernement de Castello [1964].
Nationalisation et nationalisme ne sont pas des mesures qu’on peut classer à
gauche ni à droite. Si les exemples des généraux Castello et Geisel ne
suffisent pas, Hitler et Mussolini furent deux tenants du nationalisme et du
gouvernement nationalisant, de même que les fondamentalistes de l’Iran sont
nationalistes à l’excès.
Evo Morales et Hugo Chávez pourront se révèler gauchistes pour d’autres
raisons, jamais de par leur nationalisme qui exaspère nos disciples de l’oncle
Sam, subitement préoccupés par « l’attaque aux intérêts brésiliens ».


Par Janio de Freitas - Folha de São Paulo - 04.05.06

Traduction : Etienne Henry

* Pas les marines de Bolivie, dont c’est la mer qui a été expropriée par le Chili au siècle dernier... [NdT]


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