Le chaos de la pandémie : les quilombolas seront également exclus de la vaccination prioritaire

Négligées par l’Etat pendant la pandémie malgré leur taux de mortalité élevé, les communautés peinent à se voir garantir la priorité dans la campagne de vaccination.

Traduction de Roger GUILLOUX pour Autres Brésils
Relecture de Magali DE VITRY

Belém (PA) - Les quilombolas [1] luttent pour intégrer les groupes prioritaires de vaccination contre le nouveau coronavirus, mais, si cela ne dépend que du gouvernement fédéral, il est peu probable qu’ils obtiennent gain de cause. Après des mois de pandémie sans assistance durant lesquels ils n’ont même pas été en mesure de garantir leur sécurité alimentaire ni les apports de base pour la prévention, ils se battent devant les tribunaux pour être entendus, respectés et vaccinés.

Le 9 septembre [2020], une Action pour non-respect d’un Précepte fondamental (ADPF 742/2020) a été instruite à la Cour suprême fédérale (STF), alléguant que l’omission du gouvernement fédéral a contribué à l’avancée du Covid-19 dans les territoires quilombolas. L’action a été déposée par la Coordination nationale d’articulation des communautés rurales noires quilombolas (Conaq) et par quatre partis politiques (PSB, PSOL, PT et PCdoB).

Le 14 décembre, la Conaq a joint une autre requête à l’ADPF 742/2020 demandant, par mesure de précaution, l’inclusion de la population quilombola dans les groupes considérés comme prioritaires pour la vaccination par le Ministère de la Santé. A la date du 19 janvier, l’action était toujours sur la table du rapporteur, le ministre Marco Aurélioi [2], en attente de décision.

Selon la Conaq, le taux de mortalité dû à la Covid-19 au sein de la communauté est supérieur à la moyenne nationale d’environ 3%. Dans le Nord du pays, il atteint 11,5%. Parmi les États ayant le plus grand nombre de décès dus à la Covid-19 dans cette population, deux d’entre eux se trouvent en Amazonie : le Pará, en première position avec 47 décès, et l’Amapá, en troisième avec 25.

« Notre inquiétude maintenant est que le même manque d’attention constaté au cours de ces dix mois et plus de pandémie se répète au moment de la vaccination de notre peuple", prévient Givânia Maria da Silva, l’une des fondatrices de la Conaq. Pour elle, l’absence de l’État peut être interprétée comme une preuve du « racisme structurel consolidé dans la société brésilienne ».

Les indices montrant qu’une fois de plus, le gouvernement fédéral abandonne les quilombolas, ne manquent pas. Le 1er décembre, lors de la présentation des stratégies préliminaires de vaccination faites par le ministre de la Santé, le général Eduardo Pazuello, les quilombolas n’étaient pas inclus dans les groupes prioritaires des premiers lots de vaccins. Plusieurs organisations dont l’Association brésilienne de santé publique (Abrasco), ont rapidement manifesté pour demander l’inclusion des quilombolas.

Le 12 décembre, sur injonction du STF, le ministre de la Santé a envoyé la première version de ce qu’il a appelé le « Plan national de mise en œuvre de la vaccination contre la Covid-19 », selon lequel les populations quilombolas restaient exclues. Le 16, une nouvelle version du document a été publiée et, conjointement aux populations quilombolas, quatre autres groupes ont été ajoutés à la liste de vaccination prioritaire : les riverains, les travailleurs des transports publics, les personnes sans domicile fixe et la population privée de liberté.

Mais on constate déjà que dans l’Amapá, le plan de vaccination de l’État ne considère même pas les quilombolas comme groupe prioritaire. Révoltées, les 258 communautés, réparties dans dix des seize communes de l’État, ont officiellement interrogé le gouvernement le 15 janvier. On estime que l’Amapá compte environ 64 000 quilombolas.

Les quilombolas sont les derniers parmi les « publics prioritaires »

Communauté quilombola Mata Cavalo de Nossa Senhora do Livramento (Mato Grosso).
© Bruno Kelly / Amazônia Real

En dépit de l’inclusion officielle, les quilombolas apparaissent comme l’un des derniers groupes à bénéficier de la vaccination, aux côtés des professionnels de l’éducation, des travailleurs d’autres services essentiels et des personnes sans domicile fixe. Les chercheurs ne doutent pas que la population vivant dans les quilombos connaît des niveaux de vulnérabilité qui ne sont inférieurs qu’à ceux des communautés autochtones.
 
Sans sécurité juridique et avec un gouvernement négationniste et ennemi déclaré des minorités, les peuples quilombolas demeurent dans l’incertitude. João Doria, le gouverneur de São Paulo - État qui a commencé à vacciner avec le Coronavac de l’Institut Butantan - a garanti mardi (19/01/2021) que, contrairement au ministère de la Santé, qui a « exclu les quilombolas de la phase initiale du plan national de vaccination », il inclura cette population de l’État de São Paulo.

L’un des arguments déjà utilisées pour justifier l’exclusion des quilombolas est celui de l’absence de données officielles sur la population et le nombre de communautés dans le pays ce qui rend difficile la planification et la logistique de la vaccination de cette population dans cette première phase. Le plan souligne que l’estimation démographique des quilombolas « est en cours d’élaboration par l’Institut brésilien de géographie et de statistique (IBGE) ». Le recensement de 2020, reporté en raison du nouveau coronavirus, serait le premier à inclure les populations quilombolas dans les bases de données officielles.

En juillet 2020, le Président Jair Bolsonaro a promulgué la loi 14021 qui prévoit des mesures de protection et d’assistance pour les peuples autochtones, les quilombolas, les riverains, les pêcheurs et les autres populations traditionnelles, outre la création d’un plan d’urgence pour faire face à la Covid-19. Mais il a laissé de côté 22 demandes concernant le projet de loi original (PL), alléguant un manque de moyens financiers. En août, le Congrès a annulé 16 des 22 vetos, garantissant ainsi le maintien de la déclaration du critère de race / couleur dans les registres et les notifications du SUS (Système Unique de Santé), visant à identifier les autochtones vivant en dehors de leur communauté ayant contracté la maladie. Cependant, bien que ce plan soit en vigueur, les populations traditionnelles se plaignent du non-respect de la loi.

Le plan national prévoit la vaccination des groupes prioritaires en trois phases initiales : lors de la première, seront vaccinées les personnes de plus de 75 ans, les personnes de plus de 60 ans vivant dans les maisons de retraite, les professionnels de la santé, les communautés indigènes et les riverains ; dans la seconde phase, les personnes entre 60 et 74 ans ; dans la troisième, les personnes présentant des comorbidités avérées.

Mario Santos, 43 ans, président de l’Association de la communauté quilombola Gibrié de São Lourenço à Barcarena, Pará, se dit préoccupé par la logistique de la vaccination dans les communautés quilombolas en Amazonie. « Même nous, ici à Barcarena, qui vivons dans une ville industrielle, la mairie nous dit que l’accès à notre communauté est difficile, imaginez ce qu’il en est pour les communautés éloignées qui se trouvent à des heures de canots à moteurs des centres urbains », explique-t-il.

« Nous devons garantir la priorité pour la vaccination de notre peuple, car sinon il ne restera bientôt plus aucun de nos anciens pour parler aux plus jeunes de nos origines, de nos coutumes et traditions. Notre culture est anéantie par ce virus », déclare Santos.

L’attente pour l’arrivée des vaccins

Arrivée du vaccin contre la COVID-19 à Santarém.
© Agence Marco Santos / Pará

Raimundo Magno, membre de la Coordination nationale des associations des dernières communautés quilombolas du Pará (Malungu), rapporte que celles-ci attendent avec une certaine anxiété l’arrivée du vaccin. « Nous nous sommes inquiétés au sujet de la vaccination car nous n’avons aucune idée des stratégies et des priorités qui seront utilisées par le ministère de la Santé pour répondre aux demandes de la population quilombola ». 

Le Pará est l’État de la fédération qui compte le plus grand nombre de communautés quilombolas, 528 au total, reconnues par la Fondation Culturelle Palmares (FCP). Elles regroupent environ 6000 familles, réparties dans 64 communes. Il existe également d’autres communautés auto-déclarées au Pará qui n’ont pas encore obtenu la certification de la Fondation.

Pour Hilton Silva, professeur du programme de troisième cycle en santé, environnement et société en Amazonie et du programme de troisième cycle en anthropologie à l’Université fédérale du Pará (UFPA), il y a une négligence systématique de la part de l’État brésilien, en ce qui concerne le traitement des communautés quilombolas. 

Le professeur, qui est également membre du groupe thématique Racisme et santé d’Abrasco, déclare en outre que ce qui est arrivé aux quilombolas pendant la pandémie « est le reflet de tout un processus de méconnaissance des réalités quilombolas de la part de l’État, qui ignore volontairement leur existence et vise à effacer leur identité culturelle afin de pouvoir s’approprier leurs terres et transformer ses habitants en prolétariat paysan ».

Le site d’information Amazônia Real a contacté le Ministère de la santé afin d’obtenir des informations sur le plan de vaccination et sur les stratégies développées par l’agence pour servir les communautés quilombolas, mais il n’a reçu aucune réponse à la date de cette publication. 

Le plan de vaccination de l’État du Pará, publié le 18 janvier, place les populations quilombolas dans la deuxième phase de vaccination, avec le groupe des professionnels actifs de la sécurité publique et les personnes de plus de 60 ans. Le plan indique que les mairies où vivent des populations quilombolas devront définir leurs propres stratégies de vaccination et leur logistique vis-à-vis de ces communautés. 

Cependant, selon les informations obtenues par ce reportage, il existe des communes du Pará qui ne reconnaissent même pas l’existence de communautés quilombolas à leurs frontières, mettant en évidence un autre problème auquel les quilombolas doivent faire face au cours de ce processus. On estime qu’il existe près de 6.000 communautés quilombolas auto-proclamées au Brésil.

« Nous n’avons jamais disposé d’une assistance sanitaire. »

Maria de Fátima Gusmão Batista, présidente de l’Association des résidents de la communauté de Gurupá
© Cícero Pedrosa Neto / Amazônia Real

Selon le professeur Hilton Silva, les populations quilombolas ont déjà une longue histoire de maladies plus graves que celle de la population urbaine en général et même de la population urbaine pauvre. Ce sont des maladies telles que l’hypertension, le diabète, la tuberculose et la drépanocytose [3].

« Vous avez déjà un corps qui lutte contre une série de maladies, puis une autre menace externe comme ce virus arrive et surcharge un système qui est déjà à sa limite. C’est pour cela justement que ces populations ont besoin de plus d’attention pendant la pandémie et doivent être vaccinées en priorité », estime Silva.

Les conditions sanitaires précaires et le manque d’assistance médicale sont des facteurs qui contribuent à la situation de vulnérabilité des familles. De nombreuses communautés luttent également contre l’invasion et la contamination de leurs territoires par les industries minières et agro-industrielles qui, au fil des années, ont compromis la sécurité alimentaire de ces populations. Et, selon la Conaq, la plupart des familles n’a pas pu accéder à l’aide d’urgence du gouvernement fédéral.

« Les carences nutritionnelles et l’insécurité alimentaire ont augmenté parce que ces populations vivaient de l’agriculture familiale, vendant leurs produits sur les marchés, et alors la difficulté de circuler et les barrières sanitaires improvisées qui ont été mises en place pour essayer d’empêcher le virus d’atteindre les communautés, ont entraîné une perte de revenus », explique Givânia Silva de Conaq.

« La question que nous devons nous poser ne porte pas sur les effets de la Covid-19 sur les communautés, mais sur la situation de celles-ci lorsque la maladie est arrivée », explique Givânia.

Elle fait référence aux problèmes historiques auxquels les populations quilombolas doivent faire face, tels que le manque d’infrastructures, les difficultés d’accès aux services de santé de base, l’absence d’un réseau d’assainissement de base, les invasions de leurs territoires, auxquels s’ajoute la contamination industrielle des communautés situées à proximité des grandes entreprises, problèmes qui se sont aggravé lors de la pandémie.
 

« Nous avons porté plainte auprès du Ministère public fédéral, auprès de la Cour suprême fédérale, mais ce que nous avons constaté, c’est une paralysie de l’ensemble de l’État brésilien, la justice n’a pas fonctionné », dénonce Givânia Silva.

Núbia de Souza, 39 ans, coordinatrice de la Conaq dans l’État de l’Amapá, qualifie le manque de soins de la population quilombola de « forme de violence pratiquée par l’État ». 

« Je me demande comment cette vaccination sera effectuée. Quelles seront les priorités ? Et quelles mesures seront prises pour que la pandémie ne finisse pas par se propager à cause de contacts avec des étrangers ? », ajoute Hilton Silva.

On ne sait pas combien de quilombolas sont morts

Elisabete Pereira-, quilombo la Casa Grande dans l’Amapá.
© Rudja Santos / Amazônia Real

« Le Brésil est un pays qui, lorsqu’il ne tue pas la population noire, la laisse mourir. Dans le cas de la pandémie et des quilombolas, l’État a toujours caché les corps, cachant les preuves du crime », dénonce Givânia Silva, indiquant qu’il n’existe aucune statistique ou de base de données dans les administrations fédérale et des États en mesure de quantifier précisément le nombre de quilombolas infectés et tués par la Covid-19. « C’est une responsabilité de l’Etat, mais malheureusement l’Etat ne l’assume pas et alors nous établissons ces données avec les moyens précaires dont nous disposons, car nous savons que ces informations sont sous-évaluées ».

Les expressions utilisées par la dirigeante Givânia sont une traduction presque littérale de la catégorie « nécro-politique », créée par le philosophe noir, le camerounais Achille Mbembe. Pour ce théoricien, l’État agit, dans certaines situations, pour favoriser délibérément la mort de certains groupes en faveur d’autres. 

Givãnia au Congrès national
(Photo Personal Archive)

Une base de données autonome a été mise en place par la Conaq, en partenariat avec l’Instituto Socioambiental (ISA), pour suivre l’évolution de la maladie dans les territoires quilombolas. A la date du 18 janvier, il y avait 4 753 cas confirmés et 179 décès, mais l’entité elle-même prévient que ces données sont sous-évaluées.

Les données sont établies à partir des informations fournies par les antennes locales de la Conaq, qui à leur tour reçoivent des estimations via WhatsApp directement des communautés. « Penses-tu vraiment que nous pouvons gérer la demande que nous avons ici ?", demande Raimundo Magno, membre de Malungu, qui a travaillé pour aider les communautés quilombolas du Pará. L’institution ne dispose pas d’une structure logistique permettant d’atteindre les 528 communautés auto-proclamées, présentes dans l’État et reconnues par la FCP. « Il n’y a eu aucune initiative de la part de l’État, aucune campagne, aucune mesure préventive, ni de relevé des cas survenus dans les communautés quilombolas », dit Magno.

Au Pará, Malungu, en partenariat avec l’Université fédérale de l’ouest du Pará (UFOPA), a commencé à élaborer des bulletins d’information avec les données chiffrées transmises par les communautés du Pará. Outre le nombre de cas confirmés et de décès, le bulletin présente des informations sur le nombre de personnes sans assistance médicale et de cas suspects en cours de traitement. Selon le dernier bulletin, publié le 14 janvier, il y avait 2 149 cas confirmés, 46 décès, 1 225 cas suspects sans assistance médicale et 1 228 cas suspects traités dans les centres de santé publics.

« Dans notre communauté, 3 personnes seulement ont été diagnostiquées comme ayant la maladie, les 85 autres nous les diagnostiquons à partir des symptômes, et nous nous protégeons », explique Mário Santos. Le site Amazônia Real a recherché les mêmes informations dans les archives des bases de données du gouvernement du Pará. Le Secrétariat de la santé a indiqué que « ces données ne sont pas insérées dans celles du Ministère de la Santé, car il n’y a pas d’espace spécifique pour comptabiliser les patients des quilombos », alors qu’il existe une statistique réalisée par le Secrétariat à la santé du Pará (Sespa) lui-même qui permettrait d’inclure ces données. Interrogé sur le fait que le nombre de décès parmi les quilombolas est plus élevé le Sespa l’attribue au plus grand nombre de tests et à un contingent de population testée plus important.

Dona Maria Divina dans un quilombo d’Amapá.
© Anderson Menezes / Amazônia Real

Voir en ligne : Amazonia Real :"Caos na Pandemia : Quilombolas também ficarão de fora da vacinação prioritária "

Photo de couverture : Rubens Borges Paiva, habitant du quilombo Vila Formosa au Pará © Cícero Pedrosa Neto / Amazônia Real

[1Les quilombos sont à l’origine, des communautés d’esclaves fugitifs. L’existence et les droits des communautés quilombolas sont reconnus par la Constitution brésilienne de 1988. La Fondation Palmares en a homologué plus de 3.100.

[2Membre de la Cours suprême fédérale

[3Drépanocytose. Maladie génétique liée à une anomalie de l’hémoglobine.

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