Source : Outras Palavras - 07/03/16
Traduction pour Autres Brésils : Jean Saint-Dizier
Relecture : Jeanne de Larrard
Source : Outras Palavras
Certains gestes politiques ont la capacité de modifier l’histoire. Jusqu’à vendredi (04 mars) le Brésil vivait le cauchemar d’une intense offensive conservatrice. Les interventions de la police dans l’opération Lava Jato étaient associées, au Congrès, à la tentative d’imposer, sans aucun débat au sein de la société, un vaste programme de régressions sociales. Cette offensive était menée par des parlementaires (Renan Calheiros et Eduardo Cunha, plus précisément) impliqués jusqu’au cou dans les investigations policières de l’opération Lava Jato. Tout cela sans embarras aucun de la part des médias – ce qui souligne bien le caractère hypocrite de cette croisade moralisatrice. Le gouvernement de Dilma Rousseff, incapable d’initiative et dont l’unique intérêt est la préservation du mandat de la présidente, avait donné son aval aux mesures régressives, en espérant sans doute être récompensé d’un geste bienveillant de ceux qui la menaçaient d’impeachment.
Tout ce scénario est remis en question, depuis que Lula a refusé le rôle de victime expiatoire que certains lui destinaient en dénonçant non seulement la violence illégale dont il avait été victime — mais aussi ce qu’il décrit comme une conspiration des élites pour éviter qu’il ne se soit réélu président et qu’il puisse ainsi continuer son œuvre en faveur de la majorité. La réponse à cette prise de position fut une radicalisation sur trois fronts, clairement ébauchée pendant le week-end. Premièrement : les leaders de l’opposition ont décidé de modifier leur attitude au Congrès. Au lieu de continuer leurs efforts pour imposer leur programme, qui se développait avec l’aval du gouvernement, ils ont soudain préféré bloquer les travaux en cours, ceci afin de démontrer que le pays devenait soudain ingouvernable. Deuxièmement : La fameuse “força tarefa” (ou task force) composée de commissaires, de procureurs et de juges qui mènent l’opération Lava Jato a déclenché une séquence de fuites d’informations à charge contre Lula. La dernière, en date du lundi 07 mars, ne fait déjà plus mystère de ses intentions. Ils sont à la recherche de la moindre raison qui puisse bloquer la candidature de l’ex-président en 2016. Troisièmement : Les journaux, revues hebdomadaires et programmes télévisées sont aussi devenus plus agressifs envers Lula, ce qui apparaît plus clairement dans le Jornal Nacional, et sur les couvertures des magazines Veja, IstoÉ et Época.
“Le serpent est plus vivant que jamais. Maintenant, gare à vous”, disait l’ex-président à la fin d’une conférence de presse vendredi 04 mars. Mais cette phrase, lancée comme un défi, exprime une espèce d’antithèse du lulisme, dont les principales caractéristiques sont à chercher dans la quête de modération et la réalisation de réformes en douceur. Comment le serpent va-t-il réagir alors même que les élites, après lui avoir marché sur la queue, souhaitent l’enfermer dans une cage de verre ? Dans les prochains jours, Lula devra relever deux défis essentiels, intimement liés aux contradictions de son propre projet politique.
Le premier se situe au niveau du calendrier à soumettre – non pas en 2018, pour les prochaines présidentielles, mais dès aujourd’hui. Vendredi, l’émotion suscitée par l’interpellation musclée de l’ex-président a rempli la quadra dos bancários [1] à São Paulo et a réveillé la solidarité de certains adversaires (tels que les députés Milton Temer et Marcelo Freixo, du PSOL, le Parti Socialisme et Liberté). Mais s’il veut arpenter le pays et mobiliser la société civile – comme il l’a annoncé et cela paraît désormais indispensable -, Lula aura besoin de bien plus. Comment, à nouveau, soulever les foules, au moment où son propre parti, au gouvernement, applique des mesures qui plombent les chiffres du chômage et plongent le pays dans la récession ?
Et comment s’entendre avec les leaders des mouvements sociaux capables, eux, d’entrainer la population dans les rues ? À ce propos, il convient de lire la note sur la conjoncture publiée dimanche 9 mars par le MTST, le Mouvement pour les Travailleurs Sans Toit. Il s’agissait sans doute du meilleur soutien du gouvernement dans les manifestations en faveur de la légalité et contre l’impeachment, ces derniers mois. Désormais, son message semble s’être modifié, s’employant à une critique acide du gouvernement Dilma et de ses « concessions au marché boursier ainsi qu’à la droite ». Contradiction emblématique : dans cette note, le MTST annonce sa participation à la manifestation prévue le 31 mars à Brasilia, contre la réforme de l’assurance sociale et le réajustement fiscal. Mais il lui donne un caractère très distinct de celui présenté par la Frente Brasil Popular [2] , qui appelle aussi à manifester ce jour-là. Pour les sans-toit, il ne s’agit plus de défendre le gouvernement fédéral, mais de lutter « contre la réforme de l’assurance sociale et le réajustement fiscal », deux points du programme du gouvernement.
Le deuxième défi de Lula sera donc de prendre une décision quant à ses relations avec le gouvernement de Dilma. Il a deux façons de le faire. La première, aujourd’hui impensable, est de rompre toute relation avec Dilma. La seconde est de convaincre la Présidente de modifier son programme. Un signal clair, en quelque sorte, envoyé contre les mesures régressives qui sont examinées au Congrès (y compris celles qui sont de sa propre initiative) indiquerait aux mouvements sociaux qu’il y a peut-être une possibilité de dialogue. Elle pourrait être complétée par des mesures plus sociales, même symboliques – tel qu’un réajustement de la Bolsa-familia [3] , dans le but de permettre aux gens de suivre l’inflation, une baisse du prix du gaz domestique, puisque le prix du baril de pétrole est en chute libre sur les places boursières internationales.
Le problème, pour le lulismo, c’est que cette volte-face serait interprétée, par les élites, comme une déclaration de guerre. Les pressions qu’elles exercent en faveur de l’impeachment se feraient encore plus lourde. La querelle finirait certainement dans les rues [4]. Vendredi, Lula a promis de remettre son destin entre les mains de la population. Aura-t-il la force et la volonté de le faire ?
Notes de la Traduction