Le carnaval des écoles de samba au Brésil

Source : Marina Frúgoli / Couv : K. Penalba et M. Ishtar de Luca

La vigueur et la diversité du carnaval brésilien en font l’un des plus remarquables au monde. Son étude est l’objet d’importants débats au sein des sciences sociales contemporaines, sa compréhension est inséparable de celle de la singularité culturelle brésilienne sur la scène internationale. Cela ne l’empêche pas d’être en même temps un élément important pour des comparaisons, car il fait partie des fêtes inséparables de l’histoire de la civilisation occidentale que l’on retrouve dans des villes du monde entier et, en particulier, en Amérique latine et en Europe. L’élucidation de certains aspects du carnaval brésilien est une invitation à des études comparatives plus amples susceptibles d’élargir l’horizon de nos connaissances.

Dans le contexte de la diversité carnavalesque brésilienne, cet article analyse l’une de ses manifestations les plus significatives, celle des écoles de samba. Ces groupes firent leur apparition en tant que formation sociale originale lors des carnavals de Rio de Janeiro des années 1920 et 1930. Leur forme esthétique caractéristique se structura entre 1930 et 1950 pour se diffuser ensuite dans différentes villes du pays, mais également à l’étranger [1]. Cette expression carnavalesque s’est imposée comme le thème privilégié de mes recherches ethnographiques (Cavalcanti 1999 et 2006) et d’un ensemble de travaux corrélés (Cavalcanti & Gonçalves 2009 ; Santos 2009 ; Gonçalves 2007 et 2010 ; Toji 2009 ; Ericeira 2006 et 2009 ; Barbieri 2009 et 2012 ; Oliveira Neto 2011 ; Poubel 2012 ; Natal 2014 ; Menezes 2014). On peut justifier la pertinence de cet objet d’étude par des motivations purement analytiques, d’autant que la singularité des écoles de samba dans le contexte des diverses formes carnavalesques brésiliennes mérite d’être soulignée. Ce phénomène socio-anthropologique est en effet fort complexe.

En premier lieu, il faut souligner que les écoles de samba sont capables de produire du lien social comme aucune autre institution culturelle et qu’elles sont toujours actives dans leur ville d’origine, Rio de Janeiro, où elles n’ont cessé de se transformer depuis les années 1930. Contrairement à ce qu’en disent les visions les plus romantiques de la culture populaire mettant en avant une pureté originelle supposée, l’apparition des écoles de samba sur la scène carnavalesque urbaine est plutôt la conséquence de leur hétérogénéité sociale. Celles-ci ont en effet comme caractéristique une capacité certaine à mettre en relation différents acteurs, segments et strates du monde social, issus des milieux noirs tout autant que blancs ou mulâtres. Dans cette cité en pleine expansion qui fut capitale fédérale du pays jusqu’en 1960, le défilé carnavalesque a été une façon d’intégrer symboliquement et sociologiquement les divers quartiers.

Par ailleurs, à cette importante dimension sociologique s’ajoute la créativité non moins marquante des écoles de samba, dont les défilés festifs mêlent musique, rythme, danse, arts plastiques et visuels. Il s’agit d’une expression culturelle aux contours bien délimités, mais qui s’avère également flexible, communicative et durable. La dimension proprement artistique du carnaval des écoles de samba doit être prise en considération car c’est un aspect important de sa vitalité. Il s’agit d’un lieu social où diverses strates des classes populaires, mais également des classes moyennes, produisent d’innombrables savoirs, compétences et connaissances artistiques.

Il faut encore ajouter que, tout au long du XXe siècle, cette façon de célébrer le carnaval s’est étendue à d’autres villes du pays. Simultanément, on a assisté au succès du genre musical qui l’accompagnait, la samba (Sandroni 2001 ; Vianna 1995) ainsi qu’à l’expansion des moyens de communication de masse qui la diffusaient : la radio, l’industrie du disque (Hertzman 2013) et, plus tard, la télévision. Bien que leur centre névralgique ait toujours été Rio de Janeiro, les écoles de samba se sont installées et développées des plus diverses manières sur différentes scènes carnavalesques urbaines (Ericeira 2008 ; Araújo 2008).

Enfin, sur le plan idéologique, l’expansion des écoles de samba sur le territoire national est concomitante de leur élection, entre les années 1950 et 1980, comme emblème culturel national. Depuis la fin des années 1990, parallèlement aux processus de mondialisation et d’« indigénisation de la modernité », pour reprendre la terminologie de Marshall Sahlins (2004, 528), les politiques publiques touristiques et culturelles ont choisi de mettre toujours plus en valeur la diversité des formes carnavalesques régionales, transformées à leur tour en emblèmes identitaires locaux, voire ethniques. Ceci est par exemple le cas du frevo et du maracatu à Recife et dans l’État du Ceará (Maia 2011), des groupes carnavalesques afro-brésiliens ou du carnaval Ilê Aiyê à Salvador (Agier 2000). Dans ce nouveau contexte, les écoles de samba ont été marquées par cette manière de symboliser le Brésil. Dans l’ensemble du pays et, plus particulièrement, dans les villes principales des différentes régions, la mise en valeur de la diversité carnavalesque a eu d’évidentes répercussions sur les politiques culturelles publiques qui, aujourd’hui, tendent à considérer les écoles comme des expressions exogènes. Leur présence est pourtant avérée depuis de nombreuses décennies, souvent depuis les années 1940, ce qui rend évidemment difficile la remise en cause de leur authenticité culturelle.

Cet ensemble significatif de facteurs – leur hétérogénéité sociale interne, l’ampleur et la diversité de leurs activités, leur valeur artistique et créative évidente, la complexité des processus de commercialisation dont elles font l’objet, ainsi que l’importante répercussion de leur défilé sur la construction même de l’idée d’un carnaval brésilien – fait donc des écoles de samba un cas tout à fait digne d’intérêt.

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[1Il existe très peu de recherches anthropologiques sur cette diffusion internationale des écoles de samba. Je ne connais que le travail de Kuijlaars (2009), qui montre que c’est surtout la dimension musicale/rythmique, et en particulier l’ensemble de percussions, qui articule le plus significativement les sociabilités festives associées aux écoles de samba dans les environnements urbains internationaux.

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