Le candomblé : cible d’intolérance jusque dans la sphère judiciaire

 | Par Jean Wyllys

Source : Carta Capital - 05/05/2014
Traduction pour Autres Brésils : Cécile DESOEUVRE (Relecture : Anne-Laure BONVALOT)

Adeptes du cancomblé participant à la cérémonie à Salvador

L’intolérance religieuse et les préjugés sur le candomblé et l’umbanda ont toujours imprégné les pouvoirs de la République et les institutions de l’Etat qui se prétend laïc. Et c’est peut- être parce que cette réalité a toujours été négligée, en dépit de ses effets néfastes, qu’elle a fait s’effondrer un pan de la Justice : la Justice Fédérale de Rio de Janeiro a décrété que l’umbanda et le candomblé “ne sont pas des religions”. Une telle définition - qui s’apparente à une confession publique d’ignorance - répond à une décision en première instance du Ministère Public Fédéral qui a sollicité le retrait de YouTube, de vidéos de cultes évangéliques néo-pentecôtistes qui promouvaient la discrimination et l’intolérance contre les religions de matrice africaine et leurs adeptes, puisque le Code Pénal, dans son article 208, considère comme relevant d’une conduite criminelle le fait de “ railler quelqu’un publiquement en raison de ses croyances ou de ses fonctions religieuses, d’empêcher ou de perturber une cérémonie ou une pratique de culte religieux, de vilipender publiquement un acte ou un objet de culte religieux”.

Au lieu de reconnaître l’existence de l’offense - et il ne fait aucun doute, pour quiconque a un minimum de discernement et de sens de la justice que cette offense existe - la Justice Fédérale de Rio a éconduit les plaignants, considérant “il n’y a pas de crime s’il n’y a pas de religion offensée”. Aussi, la Justice Fédérale de Rio a considéré l’umbanda et le candomblé comme des cultes à partir de deux motifs totalement saugrenus (peut-être vaudrait-il mieux dire deux préjugés ? : 1) le candomblé et l’umbanda devraient avoir un texte sacré comme fondement (ici la Justice Fédérale ignore complètement que les religions de matrice africaine sont fondées sur les principes de transmission orale du savoir, du temps circulaire et du culte aux ancêtres) ; et 2) le candomblé et l’umbanda devraient vénérer une seule divinité suprême et posséder une structure hiérarchique (ici la Justice Fédérale de Rio actualise la perception des colonisateurs du 16ème siècle selon laquelle les indigènes et les peuples africains n’avaient ni foi, ni loi, ni roi). Je m’interroge : cette décision de la Justice Fédérale reflète-t-elle une pauvreté de répertoire culturel, une erreur d’interprétation de la loi ou un cynisme impudent ?

La décision judiciaire va clairement à l’encontre des dispositifs constitutionnels et légaux, en plus de violer des traités internationaux tels que la Convention Américaine sur les Droits de l’Homme, plus connue sous le nom de Pacte de San José de Costa Rica, ratifiée par le Brésil en 1992 et qui statue sur la garantie de non-discrimination pour des motifs de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinions politiques ou de tout autre nature, d’origine nationale ou sociale, de situation économique, de naissance ou toute autre condition sociale.

Cette convention stipule également que le droit à la liberté de conscience et de religion implique la garantie que chacun est libre de conserver, de changer et/ou de proclamer sa religion ou ses croyances, individuellement ou collectivement, en public comme en privé. La Convention Américaine sur les Droits de l’Homme affirme qu’aucun individu ne peut être l’objet de mesures restrictives pouvant limiter sa liberté de conserver ou de changer sa religion ou ses croyances. La liberté d’afficher sa propre religion et ses propres croyances est sujette uniquement aux limites fixées par les lois destinées à la protection de la sécurité, de l’ordre, de la santé ou de la liberté.

Pour le dire autrement, s’il existe une liberté religieuse devant être limitée, c’est bien celle des religions qui utilisent des moyens de masse pour diffamer et promouvoir l’intolérance contre les autres religions, et qui diffusent des pratiques qui mettent en danger la santé publique, comme exiger des individus qu’ils abandonnent un traitement contre le cancer ou le sida au profit de prières !

En ratifiant ce Pacte, le Brésil s’est engagé depuis 1992 à respecter des droits. Malheureusement, le Pouvoir Judiciaire qui a pour fonction de "dire le droit", d’appliquer les lois, n’a pas tenu sa promesse, en niant tout simplement l’interprétation des principes constitutionnels et les dispositions supranationales des Droits de l’Homme.

Le Ministère Public Fédéral a déjà fait savoir qu’il a fait appel de cette décision, mais nous devons rester attentifs à ces manœuvres qui persécutent, acculent et tentent de détruire tout ceux qui refusent que le fondamentalisme religieux détermine ce qui est correct ou non. Il n’y a aucun doute que cette décision judiciaire est le fruit du fondamentalisme religieux qui prend le pas sur les pouvoirs de la République. N’oublions pas que nous tous avons le droit de pouvoir organiser librement des réunions pour pratiquer un culte, quel qu’il soit - un droit individuel et collectif prévu dans la Constitution Fédérale, article 5°, paragraphe VI.

L’attaque contre l’umbanda et le candomblé comporte par ailleurs une dimension raciste car il s’agit de religions surtout pratiquées par les pauvres et les Noirs. Mais, c’est avant tout une bataille pour le marché. Ce que prétendent les fondamentalistes, avec ces attaques contre l’umbanda et le candomblé, c’est attirer des fidèles - et, par là-même, leur argent - dans leurs églises. Et comme nous vivons dans une culture chrétienne hégémonique, qui s’est fondée sur le dénigrement et la répression des religions indigènes et africaines, il est évident que les églises fondamentalistes remportent haut la main cette dispute du marché et ces stratégies de diffamation.

Ce que nous attendons du Pouvoir judiciaire, c’est un minimum de justice qui puisse mettre un frein à l’intolérance et à la cupidité de ces Eglises et de leurs pasteurs, et assurer un pluralisme religieux inscrit dans le respect et sans hiérarchie entre les religions.

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