Le PAC de Lula

 | Par Gilles de Staal

A peine trois semaines après l’investiture de son second mandat, le président Lula, entouré de ses ministres forts, Guido Mantega pour l’économie, Dilma Roussef chef de la maison civile et Tarso Genro responsable des relations institutionnelles, arborait un sourire reposé et confiant en présentant publiquement, la semaine dernière, le tant attendu PAC, alias, Plan d’accélération de la croissance.

Car il s’agissait, enfin serait on tenté de dire, de la première mise en œuvre « positive » de ce qui fait le fond du projet « petiste » concernant l’orientation économique générale de la société. Le tout est un énorme ensemble de projets (plus de trois cents, chiffrés et détaillés) visant à rééquilibrer et réorganiser tant géographiquement que socialement les infrastructures de transports, de production et de distribution énergétique, d’équipement sanitaire et de logement, le système scolaire et universitaire, sans oublier les projets déjà lancés en fin de premier mandat comme les grandes commandes de construction navale, le projet de gazoduc Vénézuela Brésil, ou la transposition des eaux du fleuve Sao Francisco vers le Nordeste.... au total près de 800 milliards de Réals (300 Mds d’Euros) d’ici 2010, dont plus de 500 d’investissements directs. L’Etat en assumera près d’un tiers, les entreprises publiques et semi publiques à peu près autant, le reste étant ouvert aux investisseurs et opérateurs privés. Le but, en termes économiques, est de générer à partir de 2009 une croissance de 5% par an reposant sur un élargissement à grande échelle du marché intérieur.

La philosophie générale vise la malédiction qui fait que toute croissance capitaliste au Brésil s’est toujours traduite par une concentration des revenus, un appauvrissement du plus grand nombre et un retard accumulé général de la société. Cette « malédiction » repose sur deux faits : sur 180 millions d’habitants, il y a un pays de 40 millions de personnes dont la consommation dépasse celle des 10% les plus riches en Europe ; et, plus pervers encore, la croissance du capital ne repose pas tant sur la production industrielle que sur l’ agrobusiness d’exportation, autrement dit la puissance terrienne et la rente foncière. A moins d’inverser ces deux facteurs, l’investissement ira toujours dans deux directions : la production de biens d’usage pour les classes les plus riches, et l’intensification de l’exploitation agro-industrielle dont les bénéfices (82% de la balance commerciale et 35% du PIB) reviennent sous forme de rente foncière aux 40 millions du dessus du panier qui accroissent ainsi leur capacité de consommation. Cercle vicieux.

Qui va investir dans des trous analphabètes, aux noms imprononçables, où il n’y a pas d’électricité, pas même d’eau potable ni d’égouts, et d’où on ne peut même pas faire sortir la marchandise si ce n’est en camion par des fondrières ? Tout au plus y fera-t-on de l’élevage (les cow boys ne manquent pas), ou du déboisement.
Solution : « intérioriser » le développement économique en l’appuyant sur une modernisation de l’accès aux ressources, non plus seulement dans les centres « côtiers » et les régions riches, mais dans tout le pays et en faisant des classes populaires les sujets du développement économique. « Si, dans le premier mandat, je me suis fixé pour but que chaque Brésilien mange chaque jour, le deuxième mandat doit apporter la lumière dans chaque foyer brésilien » a dit Lula pour résumer ses objectifs. Et de fait les huit centrales électriques géantes prévues d’ici 2010 sont toutes situées dans les régions éloignées, l’Amazonie, le Nordeste, et le centre-ouest.

Lumière, certes, mais Lumières aussi. La réforme universitaire, créant des droits d’inscription proportionnels aux revenus et des quotas pour l’accès aux Noirs et aux enfants des écoles publiques, qui a soulevé un tollé dans les milieux privilégiés, n’était qu’un avant gout. Le plan prévoit la création d’universités d’Etat dans les régions et villes les plus reculées, la généralisation de l’école de neuf ans, et surtout une réhabilitation générale du déliquescent réseau d’écoles publiques. Déjà, depuis quatre ans, la part des élèves de la campagne qui a suivi l’enseignement fondamental est passée de 31 à 43%, et de 24 à 36% pour les Noirs.
Après l’énergie, la plus grande part des investissements du PAC va à l’équipement sanitaire et au logement. Là encore, c’est l’intérieur du pays, qui est directement visé.

Enfin, intérioriser veut dire désenclaver. Le quatrième grand axe du PAC c’est les transports terrestres. Réfection et doublement des axes routiers reliant les grandes régions de l’intérieur, et surtout commencer à changer le système des transports. Dans un pays qui fait 17 fois la France, avec 8000 km de côtes, et un immense bassin fluvial, tout se fait par la route ! Ni voies ferrées, ni transport fluvial. Le cabotage, supprimé en 1996, et les chantiers navals fermés. Le blé et le riz que le Nordeste consomme arrive en camions de 3000 km de là !... ou sur un des 130 navires que la pays affrète à l’étranger à 7 Mds d’Euros par an. Le gouvernement a donc passé commande de 232 navires, et prévu la création de huit chantiers navals. 5000 km de voies ferrées sont prévues par le PAC, non seulement pour relier les ports exportateurs (trois grands ports réaménagés) mais aussi et surtout la « Transnordestine » et la « Ferronorte » qui relieront le Nordeste, le Centre-ouest et l’Amazonie.
Un tel plan, sur le papier, peut sembler évident. Il fallait surtout disposer des moyens de le rendre crédible, non seulement du point de vue des recours d’Etat, mais au regard des opérateurs étrangers sur lesquels le gouvernement compte évidemment pour mener à bien sa barque.

De ce côté, tous les indicateurs sont devenus favorables. Le poids de la dette extérieure sur le PIB est au plus bas niveau depuis 1947 (17%), l’excédent budgétaire accumulé donne des ressources qui peuvent enfin être dirigées vers les infrastructures, la dette publique est en baisse continue, les taux directeurs encore très élevés sont quand même passés de 29 à 13% et poursuivent leur baisse, les taux à longs termes étant déjà descendus à un niveau normal (6,5%), et la croissance, certes basse ces deux dernières années (3,5%) est pour la première fois tirée par l’industrie (4,2%) et en particulier les biens de capital industriel et d’équipement (7,2%). Autrement dit, jamais depuis trente ans, les conditions n‘ont été aussi favorable... et c’est quand même au « purgatoire » du premier mandat que le gouvernement le doit.

Restent les conditions politiques de la mise en œuvre d’un tel plan... Nous y reviendrons, mais la réélection massive de Lula en novembre lui donne en tous cas les coudées franches.


Par Gilles de Staal - janvier 2007


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