Le Mouvement de soulèvement populaire dénonce l’impunité des crimes de la dictature

 | Par Marilza de Melo Foucher

Source : Correio do Brasil, 01/04/2014
Interview de Pedro Freitas coordinateur du « Mouvement de soulèvement populaire de la jeunesse pour la justice et la vérité » à São Paulo, par Marilza de Melo Foucher.

Des militants du Mouvement de soulèvement populaire brandissent une banderole contre la torture, pratique commune pendant les années de plomb de la dictature

Votre génération n’a jamais étudié à l’école la véritable histoire de la dictature au Brésil. Pourquoi avez-vous créé le mouvement « Soulèvement populaire pour la justice et la vérité » ?

Pedro Freitas - Le mouvement est né dans l’État du Rio Grande do Sul en 2006, mais son élargissement au plan national a pour origine le campement national réalisé au début de l’année 2012. A cette occasion, le mouvement a fait le constat que la lutte pour la mémoire, la vérité et la justice n’avait pas été défendue comme il se doit par la gauche brésilienne. Les militaires faisaient pression sur le gouvernement fédéral et la grande presse les soutenait. La liste des candidatures à la Commission Nationale de la vérité n’avançait pas. Nous en avons conclu que des actions étaient nécessaires pour assurer l’installation de la Commission nationale pour la vérité.

C’est ainsi que le mouvement a commencé à faire campagne pour la mémoire, la vérité et la justice. Inspiré par les manifestations menées dans d’autres pays d’Amérique latine dénonçant l’impunité des tortionnaires, mouvements de qui nous avons beaucoup à apprendre, nous avons réussi à organiser une journée nationale des « escrachos » ou « esculachos » pour démasquer les tortionnaires et dénoncer l’impunité des crimes de la dictature. Cela a permis de donner une visibilité à la lutte.

La démocratie brésilienne est presque aussi jeune que vous ... Pourquoi n’y a-t-il pas une grande commémoration au Brésil pour fêter la démocratie et dire une fois pour toutes la dictature jamais plus ?

PF - Le processus de transition de la dictature à la démocratie au Brésil a été conçu par l’armée pour être lent, progressif et sûr. Ainsi, il n’y a pas eu de rupture brutale de la société pour parvenir à la démocratie. Cette façon d’organiser la transition démocratique se reflète jusqu’à aujourd’hui dans le pays par certains comportements. Si les militaires dans les années 1960 et 1970 n’ont jamais été punis pour leurs crimes de persécution, de torture et de meurtre, aujourd’hui, un policier militaire (PM) agit encore avec cette logique de lutte contre un ennemi interne. Un PM qui torture et tue tous les jours les jeunes noirs et pauvres à la périphérie des grandes villes. En outre, le système politique d’aujourd’hui a conservé l’influence des grands propriétaires ruraux, des entrepreneurs et des quelques familles qui contrôlent les moyens de communication de masse, et ils continuent sans donner la possibilité au peuple brésilien de participer. Ces questions nous amènent à considérer que la démocratie que nous avons aujourd’hui est profondément marquée par la période de la dictature, de sorte que la lutte pour la mémoire, la vérité et la justice est à l’ordre du jour car il y a de nombreux problèmes non résolus. L’absence de rupture, le rôle des grands médias, la continuité de ce système politique expliquent pourquoi cette date n’est pas un événement national.

Vous êtes en train de contribuer à la construction de l’histoire politique qui a créé un vide politique et culturel depuis des décennies. Il y a eu l’exil des artistes, écrivains, cinéastes, chanteurs, des politiques. Beaucoup de voix réduites au silence, une génération toute entière qui luttait simplement pour la justice sociale. Que pouvez-vous faire pour obtenir une meilleure adhésion des jeunes Brésiliens à ce mouvement ?

PF - Le Mouvement Populaire de la Jeunesse est un mouvement social autonome qui a pris naissance dans le Rio Grande do Sul en 2005 afin de permettre l’organisation de la jeunesse à la campagne et dans les villes, tant dans le milieu étudiant que dans les périphéries urbaines, pour défendre un projet populaire pour le Brésil. Il s’agit d’un mouvement organisé qui rassemble divers segments de la jeunesse dans des lieux différents autour d’un projet de société : la lutte pour un changement structurel au Brésil. Le mouvement est organisé dans plus de vingt États du Brésil, aujourd’hui nous avons des groupes organisés sur le terrain, nous sommes présents dans les écoles, dans les quartiers, les universités et d’autres établissements scolaires. Avec ce travail, nous formons des jeunes et les initions à l’action collective et la diffusion de leurs idées. Les combats pour la justice et la vérité sont organisés dans chaque lieu, c’est ainsi que nous réussissons à mobiliser la jeunesse.

Les médias au Brésil sont-ils intéressés par cette forme de protestation autour de la défense des droits de l’homme ?

PF - Les grands médias au Brésil sont contrôlés par quelques familles. Ces médias ont soutenu le régime militaire et ont été de connivence avec les crimes de la dictature. Ceux qui s’opposaient ont été censurés. La lutte pour la démocratisation des moyens de communication a été menée par notre mouvement en 2013, car les grands médias ont été les principaux modes de transmission de la pensée conservatrice dans le pays, avec une grande influence sur la population.
La tentative de criminalisation des mouvements sociaux est constante et la couverture des actions pour la défense des droits de l’homme reste marginale, timide. L’éditorial paru dans le journal « Folha de São Paulo » du 30/03/2014 renforce l’idée d’une polarisation et d’une confrontation entre deux camps opposés dans les années 1960 et 1970, ignorant qu’il y avait une politique de terreur de l’État pour éliminer les opposants au régime.

La presse dite alternative a permis une bonne couverture des manifestations pour la défense des droits de l’homme.

Quel message voulez-vous faire passer à ces jeunes brésiliens pour les 50 ans du coup d’État militaire ?

PF - Le coup d’État militaro-civil en 1964 a interrompu un processus de réformes structurelles nécessaires encore aujourd’hui au Brésil. Avec le coup d’État a commencé une longue période de persécution politique et de répression brutale, qui a grandement affecté la jeunesse brésilienne. Les jeunes ont joué un rôle important durant cette période, de sorte que l’une des premières actions du régime militaire a été de brûler le bâtiment de l’Union nationale des étudiants à Rio de Janeiro, compte tenu de la menace que représentait l’organisation de la jeunesse pour le régime. La jeunesse s’est organisée, a participé au mouvement de contestation, parfois à la lutte armée. Tous les jeunes ont été persécutés. Beaucoup ont été torturés, tués et ont laissés leurs familles dans la détresse. Jusqu’à aujourd’hui les familles attendent la justice contre les criminels militaires qui restent dans l’impunité. La jeunesse d’aujourd’hui doit beaucoup à la jeunesse des années 1960 et 1970. Il est regrettable qu’il existe toujours la culture de l’autoritarisme, de la répression de cette période qui se manifeste encore aujourd’hui chez la police militaire et qui affecte directement la vie de la jeunesse brésilienne. Le système politique et sa législation n’ont pas tellement évolué. Il est essentiel de comprendre que seule la jeunesse organisée et la pression sociale peuvent faire bouger les choses. C’est ainsi que nous pouvons atteindre le but de notre démarche, réussir à faire pression pour une autre assemblée constituante pour réformer le système politique, pour punir les auteurs d’hier et d’aujourd’hui.

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