Source : Instituto Humanitas Unisinos - 09/04/2015. Initialement publié par Rede Brasil Atual – RBA, 08-04-2015.
Traduction pour Autres Brésils : Jean Jacques ROUBION
(Relecture : Hélène BARAS)
Le Congrès National est « contaminé » par une idéologie conservatrice et religieuse. L’ordre du jour du Parlement et les options déterminées par le Comité de direction de la Chambre des députés présidée par le député Eduardo Cunha (PMDB-RJ), mettent en évidence un changement qui, selon les politologues, pourrait se révéler dangereux pour la « corrélation des forces » du pouvoir législatif brésilien. A la fin du premier trimestre de l’actuelle législature dirigée par Cunha, les résultats sont symptomatiques.
La PEC 171/1993, proposition datant d’il y a deux décennies de l’ex-député Benedito Domingos et approuvée la semaine dernière par la Commission de Constitution et Justice de la Chambre des députés qui, à titre d’exemple, réduisait la majorité pénale de 18 à 16 ans, préférait faire allusion à des citations de trois personnages de l’Ancien Testament de la bible afin de plaider en faveur de la thèse consistant à incarcérer les jeunes au lieu d’apporter des données techniques à son argumentaire. « Le prophète Ezéchiel nous donne la parfaite dimension de la responsabilité personnelle. L’âge n’entre même pas en ligne de compte : « L’âme qui pèche, c’est celle qui mourra », dit l’auteur dans l’argumentaire de sa Proposition d’Amendement Constitutionnel (PEC) 171/1993. L’argumentaire original a été maintenu dans le texte.
« Notre Congrès est contaminé par ce type de vision. C’est un texte qui n’a rien de républicain. Nous parlons d’une République. Qu’un député se serve de ses convictions religieuses pour agrémenter son discours, ça peut passer. Mais dans un texte officiel, c’est très étrange », dit Cândido Grzybowski, directeur de l’Institut brésilien d’analyses sociales et économiques (Ibase). Actuellement, le Congrès compte 75 députés et trois sénateurs considérés comme appartenant au « banc des évangéliques ».
Le projet de loi n°4330 sur la « terceirização » (loi sur la sous-traitance) est un autre exemple. Selon Eduardo Cunha, la Chambre des députés maintiendra le projet à l’ordre du jour, « même si on ne vote rien d’autre pendant toute la semaine ».
« Nous vivons actuellement un moment dangereux de la vie politique brésilienne », avec la percée d’Eduardo Cunha et les manifestations de cette classe moyenne putschiste qui est récemment descendue dans les rues et fortement amplifiée par les médias », affirme Francisco Fonseca, professeur en sciences politiques à la Fondation Getúlio Vargas (FGV). Selon lui, au cours de ce moment historique nous assistons à un « changement de la corrélation des forces politiques et institutionnelles d’un côté (au niveau du Congrès) et sociales de l’autre (avec la classe moyenne conservatrice dans les rues) ».
Grzybowski et Fonseca rappellent que les faits qui mettent en évidence le changement de la corrélation des forces se succèdent. La semaine dernière, le député Cabo Daciolo (Psol-RJ), qui d’après sa filiation politique serait « progressiste », a présenté un projet polémique, la PEC 12/2015, qui propose de remplacer l’expression « tout le pouvoir émane du peuple » de la Constitution fédérale par « tout le pouvoir émane de Dieu, qui l’exerce de manière directe ainsi qu’au travers du peuple et de ses représentants élus ».
« Nous vivons déjà une crise des institutions politiques. Cela n’a jamais été aussi évident », dit Grzybowski. Selon lui, cette obsession religieuse qui se maintient « n’en est qu’un symptôme de plus ». « Notre Congrès ne représente pas la société, il représente les intérêts des entreprises et de la religion. Ceci représente un danger pour la démocratie, une conquête de 30 ans. »
« Fin de la CLT [1] »
D’après Fonseca, il se passe en ce moment quelque chose de très grave sans que la société ne s’en rende vraiment compte. « Ces projets de « pejotização [2] » et de « terceirização », si l’on y réfléchit bien, représentent la fin de la CLT. Ajoutés à d’autres sujets tels que la majorité pénale, tout cela converge vers une même direction : la domination du capital sur le travail et la domination d’idéologies conservatrices, notamment religieuses, d’un point de vue comportementaliste, au niveau du Congrès ».
Le projet du député Cabo Daciolo consistant à remplacer le terme « Peuple » par « Dieu » a collecté 172 signatures (33,5 % des 513 députés) et est en cours de préparation. Il sera visé dans un premier temps par la Commission de Constitution et Justice (CCJ), qui a récemment approuvé la diminution de la majorité pénale. Les PEC requièrent un quorum majoritaire (trois cinquièmes des voix) afin d’être approuvées en séance plénière, en deux tours, au niveau de la Chambre des députés ou du Sénat. Le Psol [3] a suspendu les droits politiques du député Daciolo.
Mais s’il est difficile d’atteindre ce quorum afin de changer la Constitution, les idéologies progressistes devraient être écartées et la certitude même concernant la laïcité de l’Etat brésilien serait mise en question avec l’avancée des forces commandées par le président de la Chambre. Cunha est lui-même un fidèle de l’Assemblée de Dieu [4]. Francisco Fonseca met l’accent sur le fait que la Constitution elle-même laisse une large marge de manœuvre aux interprétations car elle est assez contradictoire sur cette question.
Si, d’un côté, elle n’autorise pas l’Etat à « établir des cultes religieux ou des églises, de les subventionner, d’empêcher leur fonctionnement ou d’entretenir avec eux ou leurs représentants des relations de dépendance ou d’alliance », elle précise également dans le préambule qu’elle a été promulguée « sous la protection de Dieu ».
Notes de la traduction :
[1] Consolidation des lois du travail
[2] Néologisme dérivé des initiales du terme « personnalité juridique » (pessoa jurídica).
[3] Parti socialisme et liberté (Partido Socialismo e Liberdade, PSOL)
[4] Mouvement chrétien évangélique pentecôtiste présent au niveau mondial.