Il y a un siècle le baron de Rio Branco, le ministre des Affaires étrangères qui dessina la politique extérieure de son pays pour le XXe siècle, affirma que « le Brésil ne doit pas se contenter de ce qu’il a déjà accompli, mais doit arriver de façon hégémonique jusqu’au Pacifique ». Cinquante ans plus tard, le principal stratège du pays, le général Golbery do Couto e Silva, allait dans le même sens : « Pour le Brésil à l’heure actuelle il n’y a qu’un seul chemin : s’étendre ou périr » [1]. Au début du XXIe siècle, la nation la plus puissante d’Amérique du Sud est sur le point de réaliser son rêve géostratégique, non par la conquête militaire mais par de grands travaux d’intégration régionale et l’expansion de ses principales entreprises ; de plus, sa participation à la tête d’une importante mission de paix lui permettrait d’être enfin reconnue comme une puissance mondiale, ce qui peut se traduire par un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU.
Le Brésil s’étend en mettant à profit les vides que les Etats-Unis et les entreprises multinationales du Nord sont en train de laisser, profitant de la délégitimation du Consensus de Washington [2] qui est en train de permettre l’accès au gouvernement de plusieurs pays à des forces progressistes et de gauche. Cependant, la consolidation du Brésil comme puissance régionale et mondiale -tout en renforçant le multilatéralisme- soulève des inquiétudes chez ceux qui sentent que sa progression irrésistible peut provoquer de nouveaux déséquilibres sur le sous-continent.
La présence militaire [brésilienne] en Haïti est perçue comme un bon exemple de ces contradictions. Les presque dix mille effectifs présents sur l’île (7 500 soldats et 1 897 policiers de 22 pays) sous commandement brésilien, sont peut-être l’avancée la plus sérieuse sur le plan militaire vers l’ouverture d’une brèche dans la domination de Washington sur la région, si la mission s’avère être un succès. Mais cette présence militaire n’est pas exempte de critiques, surtout dans les pays du cône Sud qui participent de façon significative à la mission, dont plusieurs analystes soutiennent qu’elle favorise l’hégémonie états-unienne.
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