Le Brésil comme acteur singulier de la paix internationale.

 | Par Gilberto Oliveira, Ramon Blanco

Par Ramon Blanco et Gilberto Oliveira

Source : Le Monde Diplomatique Brésil Brasil - 11/2017 - Texte Original :
https://diplomatique.org.br/o-brasil-como-um-ator-singular-na-paz-internacional/

Traduction : Roger GUILLOUX
Relecture : Marion DAUGEARD

La participation du pays au maintien de la paix internationale est myope et subalterne. D’une part il la réduit à un simple envoi de troupes sur le terrain afin de contenir les manifestations de violences les plus superficielles. D’autre part, elle est de type subalterne dans la mesure où le Brésil se borne au rôle qui lui est confié dans les opérations de paix en tant qu’instrument de maintien d’un ordre international (néo)libéral.

La participation la plus importante du Brésil dans les opérations de paix de l’ONU, a principalement eu lieu dans le cadre de la Minustah [1]. L’autoévaluation présentée dans le discours officiel et dans les récents forums de discussion brésiliens la présentant comme un succès [2] peut laisser penser qu’il s’agit une insertion plus qualifiée du pays dans le domaine de la paix internationale. Cependant, un regard plus global et plus approfondi montre, d’un côté, que l’héritage laissé en Haïti est passablement fragile et, de l’autre, que la participation brésilienne dans ce secteur est toujours myope et subalterne. Une insertion du Brésil véritablement notable et singulière dans la construction de la paix internationale passe nécessairement par une autre logique d’action. Celle-ci doit s’orienter, contrairement à la logique actuelle dominante de type militariste et centrée sur l’État, vers un mode d’action ancré dans l’idée de paix par des moyens pacifiques.

Le Brésil dans les opérations de paix

Le secteur de la paix internationale se présente comme une dimension naturelle pour développer l’insertion brésilienne sur la scène internationale. Parmi les raisons justifiant une plus grande participation, on peut souligner les suivantes : 1) la dernière guerre à laquelle le Brésil a pris part était la Deuxième Guerre Mondiale ; 2) le Brésil a des frontières bien définies et qui ne sont plus contestées depuis le début du XXème siècle ; 3) il a une relation pacifique avec les pays qui l’entourent et la dernière guerre faisant appel à une mobilisation massive de troupes contre un pays voisin étant la guerre du Paraguay, au XIXème siècle ; 4) bien qu’on l’oublie souvent, le Brésil est l’un des membres fondateurs de l’ONU, une organisation dont la raison d’être est la construction de paix sur la scène internationale ; 5) et traditionnellement, la politique étrangère brésilienne, se caractérise par la non intervention, par la défense de la paix et la résolution pacifique des conflits conformément à l’article 4 de la Constitution fédérale concernant les principes fondamentaux qui guident l’action du Brésil dans le domaine des relations internationales.

Ce n’est pas un hasard si le Brésil est de longue date un participant aux opérations de paix. Bien que sa contribution soit, la plupart du temps, très limitée, il participe aux efforts de paix de l’ONU depuis la première opération mise en place en 1948 et il a été présent dans 50 des 71 opérations de paix autorisées à ce jour. Ce qui représente un degré de participation de presque 70%. Il est possible de répartir cette participation en quatre phases : de 1957 à 1967, de 1968 à 1988, de 1989 à 2004 et depuis 2004.

Les deux premières phases se sont produites durant la période de la Guerre froide. Lors de la première phase, le Brésil a contribué par l’envoi d’un petit nombre de militaires dans des pays tels que la République du Congo et la frontière entre l’Inde et le Pakistan. Lors de cette phase, la contribution la plus importante fut celle de Suez vers la fin des années 50 (Unef I) [3] . La deuxième phase, à l’opposé, se caractérise par un désengagement brésilien des opérations de paix. Sous la dictature militaire, le pays s’est mis en retrait des institutions internationales multilatérales, tout comme de l’ONU.

Les deux dernières phases correspondent à la période postérieure à la Guerre froide. La troisième, de 1989 à 2004, commencée après le processus de re-démocratisation du pays, est marquée par un retour aux opérations de paix. Durant cette période, le Brésil a participé aux opérations envoyées dans des endroits tels qu’El Salvador et le Mozambique ; il faut aussi mentionner sa participation à la mission de paix en Angola (Unavem III) au milieu des années 90. La quatrième et dernière phase a commencé en 2004 avec la participation brésilienne à la mission de paix en Haïti (Minustah). Depuis cette date, le pays a non seulement augmenté le nombre de militaires envoyés sur le terrain - en 2012, il fournissait le 11ème contingent de troupes de l’ONU – mais il a aussi accepté d’assumer de plus grandes responsabilités en faveur de la paix internationale.

Parmi celles-ci, on peut mentionner : 1) la nomination renouvelée d’un général brésilien pour assumer la fonction de commandant de la force militaire de la Minustah dès sa mise en place en 2004 ; 2) l’occupation du poste de directeur des Partenariats stratégiques pour le maintien de la paix au sein du Département des Opérations de Paix et d’Appui sur le Terrain de l’ONU ; 3) l’indication, en 2013, d’un général brésilien pour diriger le contingent de la mission de l’ONU en République Démocratique du Congo (Monusco), actuellement l’activité principale qui inclut une brigade d’intervention mandatée pour réaliser des opérations offensives afin de neutraliser des groupes armés opposés au gouvernement central, 4) et la direction, depuis 2011, de la Force d’intervention maritime dépendant de la Force Intérimaire des Nations Unies au Liban (Unifil), la première et l’unique opération de paix incluant dans son mandat, une composante spécifiquement maritime.

Au vu de ce panorama, on pourrait avoir l’impression que le pays a une forte participation dans le domaine de la paix internationale. Un regard plus attentif permet, cependant, d’observer à quel point cette participation est myope et subalterne. D’un côté, elle est myope car le Brésil réduit sa participation à un simple envoi de troupes sur le terrain pour contenir les manifestations de violence les plus superficielles sans contribuer de manière significative à une réduction de la violence structurelle mise en évidence par des conditions politiques, économiques, et sociales injustes et qui sont à l’origine des conflits les plus graves. Cette approche dénote une vision de paix limitée, militarisée et surtout contestable du point de vue de la construction d’une paix durable. D’un autre côté, cette participation est de type subalterne puisque le Brésil se soumet au rôle qui lui est confié dans des opérations de paix, celui d’instrument du maintien d’un ordre international de type (néo)libéral.

Partant de cette logique instrumentale, le fait que les pays riches de l’hémisphère nord sont les principaux décideurs et financeurs de ces actions et que les pays de l’hémisphère sud en sont les principaux exécutants sur le terrain, ne relève pas d’un simple hasard. En acceptant de s’insérer, sans se poser de question, dans ce dispositif de distribution internationale des actions liées à la construction de la paix internationale, le pays participe activement, non seulement à la reproduction de son propre statut subalterne mais, ce qui est plus grave, il assume ce statut avec un enthousiasme et un chauvinisme indéniables.

De ce point de vue, le récit construit au sujet de l’intervention en Haïti, a un rôle fondamental. Le Brésil a besoin que sa participation à la Minustah - la plus longue et la plus complexe de son histoire – soit perçue comme un grand exemple de réussite et de mode d’action singulier. Toute fissure dans ce tableau optimiste mettrait en danger le récit du positionnement brésilien en tant que constructeur de la paix sur la scène internationale. Un récit de succès qui ne réussit pas cependant à cacher le fait que, même après treize années de présence de la Minustah, Haïti continue à présenter des niveaux de revenus, d’éducation et de santé peu différents de ce que l’on pouvait observer au début de l’intervention et ce, malgré l’immense réseau d’acteurs et de moyens promis pour la reconstruction et le développement, notamment à partir du tremblement de terre de 2010. Avec un Indice de Développement Humain allant de 0,447 à 0,493, tout au long de la période d’intervention, Haïti continue à se situer parmi les pays les moins développés du monde et le plus pauvre des Amériques. Cela signifie que, pour la quasi-totalité de la population, les capacités et les opportunités d’accès à la santé, l’éducation et le bien-être social et économique se situent à des niveaux très en-deçà de ce qui serait acceptable et ne permettent pas d’éradiquer les racines structurelles qui ont produit les vagues successives d’instabilité dans le pays. Si l’on examine de près cette situation, la question clé que l’on doit se poser est comment participer de manière véritablement efficace au processus de construction de la paix.

La paix par des moyens pacifiques

Le rapide panorama qui vient d’être présenté, conduit à la conclusion que le Brésil ne dispose pas d’une marge minimale de décision lui permettant de réaliser une action véritablement singulière à l’intérieur du modèle dominant actuel de pacification sous l’égide de l’ONU sauf si le Brésil adopte, de fait, une position alternative radicale vis-à-vis de ce que signifie une intervention en faveur de la paix. Alors que les opérations de paix ressemblent de plus en plus à des opérations de guerre, il est nécessaire de rappeler que les fondements conceptuels et les contributions théoriques de son propre champ de réflexion – os Estudos para a Paz [4] - ont cherché à montrer que la qualité d’une opération de paix réside en sa capacité à traduire en politiques et en pratiques le concept de paix dans sa globalité aussi bien sur le court terme, qu’au niveau structurel et culturel. Cela signifie que la préoccupation visant à contenir les formes apparentes de violence physique ne suffit pas. C’est bien la transformation en profondeur des racines structurelles et culturelles de cette violence qui est cruciale pour construire un climat de paix étendu et durable au sein des sociétés plongées dans des conflits violents.

Affirmer que la Minustah n’avait pas pour objectif de soutenir le développement d’Haïti mais seulement celui de stabiliser le pays ne fait que confirmer la vision étroite en arrière-plan de cette conception de la paix. Les treize années de présence militaire massive en Haïti représentent une durée extrêmement longue pour ne rendre au peuple haïtien qu’un pays « un peu plus stabilisé » qu’au début de l’intervention (c’est-à-dire, avec des indices de violence provoquée par des groupes criminels, marginalement moins élevés) malgré l’aide massive tant humanitaire que de la part des agences de développement qui sont intervenues et continuent à opérer dans le pays. Ne juger l’action de la Minustah que sur la base de la réduction marginale de la violence immédiate et sur les objectifs définis par les intervenants eux-mêmes, sans prendre en considération la nécessaire transformation des racines structurelles d’ordre politique, social et économique qui sont, de manière larvée, à la base de cette violence, fait que cette mission courre le risque d’entrer dans l’histoire comme une occupation militaire étrangère égale à tant d’autres qui se sont déroulées auparavant en Haïti. Bien qu’appelées « opérations pour la paix », ces opérations ne réussissent pas à cacher leur objectif non déclaré : contenir par le biais de l’usage de la force, les populations périphériques et éviter qu’elles représentent une menace pour les objectifs de la gouvernance libérale de la sécurité globale.

En acceptant de s’insérer dans ce modèle, le Brésil n’est rien d’autre qu’un instrument utile au centre libéral du système même si le pays ne le reconnaît pas et semble se satisfaire des opportunités et des bénéfices tactiques et opérationnels qu’il réussit, éventuellement à obtenir. L’évolution actuelle de la politique étrangère et de la défense vise à maintenir l’engagement militaire brésilien dans d’autres missions sur le continent africain – en République Centrafricaine, en République Démocratique du Congo ou au Mali, qui, comme par hasard, sont définies comme étant des missions de stabilisation. Cela montre que les objectifs tactiques et opérationnels des Forces armées brésiliennes, cantonnent le pays dans le rôle de fournisseur de services en faveur de la paix et le maintien à cette place dans la distribution des rôles consacrée par le modèle dominant d’intervention.

Une insertion du Brésil qui conduise à une différence véritablement créative et valorisée dans ces opérations de paix requiert que l’on aille au-delà du mythe de la « singularité brésilienne » fondé sur une solidarité supposément due au métissage de sa population. Singularité portée par la fable sociologique d’une identité joyeuse, égalitaire, pluraliste et non raciste qui a été instrumentalisée pour montrer comment le pays dispose d’une capacité particulière pour utiliser son outil militaire d’une manière plus sympathique. En réalité, le grand potentiel de singularité brésilienne en tant que constructeur de paix, ne se trouve pas dans cette identité brésilienne imaginée mais dans les propres principes constitutionnels qui fondent son positionnement international et dans la traduction de ces principes dans une conception de la paix par le biais de moyens pacifiques. Cette participation aux opérations de paix passe par l’adoption d’un mode d’action véritablement original qui démilitarise la conception de la paix et défende des formes d’intervention non offensives et non violentes. Composée majoritairement de civils, elle inclut une proportion équilibrée d’hommes et de femmes ainsi que des contingents de policiers et d’agents de la défense civile, des médecins, des infirmiers, des ingénieurs, etc. Cette singularité implique également une interaction étroite avec les sociétés locales, non pas sous la forme d’opérations psychologiques destinées à coopter l’acceptation locale de la présence militaire étrangère mais bien en vue d’identifier et de contribuer à dépasser les nécessités concrètes de sécurité et de développement des communautés affectées par la violence. C’est dans cette recherche de paix par l’utilisation de moyens pacifiques que réside le grand potentiel d’une action qualifiée et singulière du Brésil dans les efforts internationaux de construction de la paix.

Ramon Blanco est professeur de l’Université Fédérale de l’Intégration latino-américaine où il coordonne le Centre d’études pour la paix et la chaire d’études pour la paix. Il est également professeur dans le cadre du programme de troisième cycle en sciences politiques de l’Université Fédérale du Paraná.
Gilberto Oliveira est professeur à l’Université Fédérale de Rio de Janeiro et co-auteur de Incursões na teoria da resolução de conflitos, UAL/Observare, Lisboa, 2017

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