Covid-19 : Le Brésil pourrait vacciner 80 millions de personnes - s’il y avait un gouvernement.

Les anciens ministres de la Santé et la directrice du magazine Luiza discutent des initiatives visant à rendre possible la vaccination au Brésil, menacée par le « manque de tout » du président brésilien Bolsonaro

Traduction de Anaïs CASTILHO pour Autres Brésils
Relecture de Marie-Hélène BERNADET

Un reportage de Cláudia Motta pour Rede Brasil Atual, le 20 janvier 2021.

Le Programme National d’Immunisation brésilien (PNI), est reconnu dans le monde entier. Parmi ses meilleures réalisations figure par exemple la vaccination de 80 millions de personnes en trois mois contre le H1N1 en 2010. Autrement dit, il devrait être possible de vacciner contre la covid-19 avant l’arrivée de l’hiver, les groupes les plus susceptibles d’être contaminés, les professionnels de services essentiels et ainsi sauver des vies. Le futur de la vaccination au Brésil a été l’objet d’un débat, mercredi soir (20/01), qui a réuni les anciens ministres de la Santé et l’entrepreneure Luiza Helena Trajano, propriétaire du magazine Luiza, qui se démarque par sa politique de lutte contre les inégalités.

Les nouvelles ne sont pas bonnes du tout. Nelson Teich, l’ancien ministre de la Santé de Jair Bolsonaro, qui a été au pouvoir une vingtaine de jours, a été le premier à prendre la parole. Il a révélé être préoccupé quant à la capacité du gouvernement à mettre en place un plan de vaccination efficace.

« Il doit y avoir stratégie, planification, leadership, coordination, formation, bonne exécution et communication. Si vous échouez dans l’une de ces catégories, cela va devenir compliqué. La covid-19 est un virus qui a submergé les systèmes de santé du monde entier, et qui submergera également notre PNI (Programme National d’Immunisation). Nous ne pouvons pas sous-estimer la difficulté à laquelle nous serons confrontés. » , a-t-il alerté. « Et nous avons eu des difficultés. Au cours des deux dernières années, nous n’avons pas réussi à atteindre l’objectif que nous nous étions fixé en 2017, nous n’avons pas été en mesure de vacciner contre la rougeole. Si nous devons encore ajouter 300 millions de doses supplémentaires, nous aurons un PNI absolument submergé. »

Teich souligne qu’il y a beaucoup à apprendre sur les vaccins de la covid-19. « Le grand défi aujourd’hui est de savoir dans quelle mesure notre implémentation du programme de vaccination sera compétente. »

Le Brésil, en bout de file

Artur Chioro, qui a été à la tête du ministère de la Santé sous le gouvernement de Dilma Rousseff, a mis en exergue les erreurs commises par le pays dans la lutte contre la nouvelle pandémie et les risques encourus par le pays en prenant un tel retard. « Une crise politique générée par un président brésilien complétement désengagé dans la vie, dans la responsabilité et dans la conduite des évènements que nous devons vivre ».

Étant médecin urgentiste et enseignant, Chioro devrait se faire vacciner contre la covid-19 dans les prochains jours.

« Je ne suis pas satisfait de cette possibilité, à savoir le manque de perspectives pour garantir la prise en charge de vaccins en quantité suffisante, dans un délai adéquat pour atteindre la dimension la plus importante qu’un programme national de vaccination contre toute maladie puisse apporter » a-t-il affirmé. « Bien sûr, la protection individuelle est importante, mais lorsque vous vaccinez une population, vous essayez d’obtenir une couverture vaccinale suffisante pour garantir une protection collective. Pas seulement interrompre la chaîne de transmission ou générer des cas graves. »

L’ancien ministre critique les décisions prises depuis le début par le gouvernement de Bolsonaro.

« Le Brésil est profondément en retard et n’est pas préparé » prévient-il. « Nous dédaignons le fonds mondial. Nous aurions pu réserver jusqu’à 212 millions de doses auprès du consortium dirigé par l’Organisation mondiale de la santé. Pour des questions idéologiques, d’étroitesse, de désengagement, nous sommes restés en bout de file et ce, seulement pour 10% de la population. Nous parions toutes nos cartes sur un seul vaccin. Jamais dans un pays surpeuplé nous n’aurions dû commettre des erreurs de planification aussi grossières. » regrette le ministre. « Compte tenu des conditions qui prévalent, nous ne serons pas en mesure de garantir une couverture vaccinale suffisante pour contrôler la pandémie dans notre pays avant la fin de l’année prochaine. Ce qui placera le Brésil en bout de file pour retrouver la normalité, avec des coûts politiques, sociaux, économiques et sanitaires terribles ».

Un système de santé public parfait

L’entrepreneure Luiza Trajano s’est également montrée préoccupée au sujet de la population, se rappelant que quiconque serait présent dans le débat pourrait se faire vacciner, peu importe l’âge ou la profession. « Mais à quoi ça m’avance de me faire vacciner si c’est pour laisser la population continuer ainsi. Au-delà de toute la tristesse et de l’insécurité sanitaire, nous avons l’insécurité du marché dans le monde entier. Ce virus est venu vivre avec notre impuissance et notre incompétence. »

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Se définissant comme « une personne de gestion », elle a révélé que, ce vendredi, un groupe de dirigeants irait se réunir pour débattre et se mettre d’accord sur ce que la société civile peut faire. En accord avec ce qui a été dit concernant les failles gouvernementales, Luiza a affirmé qu’il était l’heure de « venir en aide ». « Le seul moyen pour la société est de se réunir et trouver des alternatives », a-t-elle affirmé.

À propos du système de santé public (SUS, Système Unique de Santé), elle a rappelé que « notre système de santé est prêt, ce qui est dans la Constitution est parfait. Nous possédons le meilleur système de santé du monde et il doit fonctionner. Être géré et digitalisé. Fonctionner comme une chose de l’État et non une chose politique ».

Quand elle eut terminé, Luiza fit un remerciement à Padilha, Temporão et Chioro pour tout ce qu’ils ont fait pour le SUS lorsqu’ils étaient ministres. La dirigeante a affirmé que le SUS est un « joyau de la couronne ». Elle a aussi annoncé que l’association Mulheres do Brasil, qu’elle préside également, prépare une grande campagne de publicité afin de souligner l’importance du réseau de santé publique et sauver l’image de l’institution auprès de la population.

Le meilleur du monde

José Gomes Temporão, qui fut à la tête du Ministère de la Santé entre 2007 et 2011, a souligné que depuis le début de la pandémie, nous savions que la seule possibilité de renverser complètement le jeu et de surmonter la situation était d’avoir au moins un vaccin. Dans le même temps, il a rappelé que le Brésil possède une importante compétence et tradition.

« Notre PNI (Programme National d’Immunisation) est de loin le meilleur du monde. En 2010, nous avons vacciné 80 millions de personnes en trois mois. Ce n’est donc pas un manque de capacité logistique. Il y a eu un manque dramatique de diplomatie de la part du gouvernement brésilien. La posture et la diplomatie du Brésil ont toujours été respectées. Notre programme d’immunisation est une référence mondiale. Le gouvernement a très mal géré cette question, offensant ainsi la Chine qui produit pour nous des intrants, tests, médicaments génériques, vaccins, équipements de diagnostics et tout ce qui se rapporte à la santé. Le président brésilien et son fils s’en sont pris à ce grand pays. Cela a été une entrave. La respectabilité que le Brésil possédait s’est évaporée à cause de ce gouvernement. »

Selon lui, il faut pousser le pays à une énorme mobilisation de la société. « Je participe au mouvement Abrace a Vacina. Nous devons emprunter plusieurs chemins : Congrès National, gouverneurs, Consortium du Nordeste. Nous voulons adresser une lettre aux ministres de la Santé de Chine et d’Inde pour lancer un appel. »

L’ancien ministre estime que Fiocruz (Fondation Oswaldo Cruz, institut national de recherche et développement en sciences biologiques) et Butantan (centre de recherches biomédicales) seraient en mesure de livrer au ministère de la Santé, si tout se passait bien, 30 millions de doses mensuelles de vaccin.

« Nous devrions essayer de raccourcir le délai de vaccination. Si nous continuons comme ça, nous aurons toujours plus d’hospitalisations, d’infections et de décès. Nous devons sortir le gouvernement de l’inertie dans laquelle il est et accélérer l’approvisionnement de ces principes actifs pour que Butantan et Biomanguinhos (l’Institut de technologie en immunobiologie, responsable de la recherche, de l’innovation, du développement technologique et de la production de vaccins, de réactifs et de produits biopharmaceutiques) puissent étendre leur production et livrer au PNI ».

Le vaccin russe

L’ancien ministre Alexandre Padilha, responsable de la promotion de ce débat en direct, a rappelé que pour adopter le vaccin, il faut déjà l’avoir.

« Il est possible de vacciner 80 millions de brésiliens en trois mois. Cela signifie tous les professionnels de santé, les personnes âgées, toute la population indigène, quilombolas, les professionnels de l’éducation, de la sécurité publique et des transports, de la manutention des villes et les personnes handicapées. Il est possible de vacciner ces personnes avant l’arrivée de l’automne et de l’hiver, lorsqu’il y aura encore plus cas. »

Humberto Costa, ministre de la Santé sous le gouvernement de Luiz Inácio Lula da Silva, a rappelé que la situation actuelle du Brésil est très grave.

« Les mois de décembre et janvier sont extrêmement préoccupants. La capacité de contagion du virus a augmenté. Nous allons devoir actionner tous nos efforts en même temps. La vaccination aura lieu alors que nous aurons une augmentation du nombre de cas et de décès. C’est une situation d’une énorme gravité », a-t-il déclaré.

« La vaccination étant retardée, des mesures d’isolement social et de confinement doivent être appliquées à un moment plus difficile. Les gens se sont déjà relâchés. Il y a un sentiment de fausse sécurité, il y a une plus grande résistance », dit-il, rapportant l’exemple « brutal » de Manaus.

« Les commerçants ont résisté à la décision du gouvernement d’étendre l’isolement social. Les gouverneurs et préfets sont inquiets d’un point de vue politique. Nous sommes face à un contexte qui exige une couverture rapide du vaccin, dans la continuité des mesures préventives, sous peine d’aggraver notre situation. »

Humberto Costa a souligné que le Consortium du Nordeste a commandé 55 millions de vaccins russes.

« Et l’Anvisa (l’Agence Nationale de Vigilance Sanitaire) n’a même pas voulu admettre la possibilité d’une phase de test au Brésil. Le Tribunal Fédéral doit s’imposer. Si l’Argentine, qui a une agence de vigilance sanitaire qualifiée, vaccine sa population avec le Spoutnik V, pourquoi ne pouvons-nous pas le faire ici au Brésil ? Nous devons amener la société à se rassembler et exiger cette mesure du gouvernement. »

Voir en ligne : IHU Unisinos : « País tem estrutura para vacinar 80 milhões contra covid-19 antes do inverno. Falta governo »

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