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« Tout ça semblait plutôt absurde » : c’est par ces mots que le militant des mouvements sociaux Bento Xavier, 25 ans, qui s’identifie comme personne transmasculine [1], évoque le conflit qu’il a vécu pour comprendre son identité masculine. Car s’il s’identifiait au genre des garçons de sa classe lorsqu’il était à l’école, il avait aussi tendance à rejeter leurs comportements. Au collège, Bento s’est rendu compte que tous les garçons semblaient sur la même longueur d’onde : intolérance, idées préconçues et, surtout, harcèlement. « C’est à partir de là que j’ai commencé à ne fréquenter que des filles. »
Quelques années plus tard, en 2019, Bento a commencé sa transition de genre [2]. Cependant, alors que ce processus lui permettait de se sentir mieux dans sa peau, il était hanté par les souvenirs de son adolescence. Ces images surgissaient comme des menaces : est-ce que s’épanouir en tant qu’homme signifiait ressembler à ces anciens camarades ? Pour Bento, il n’en était pas question.
En plus de cette sensation d’inconfort, il se passait autre chose dans la vie de Bento : les personnes qu’il côtoyait commençaient à le traiter différemment. Elles semblaient le considérer de manière plus respectueuse, sans que Bento n’ait besoin de faire quoi que ce soit différemment — une situation extrêmement inconfortable, selon lui. « Vous arrivez quelque part et on vous identifie comme étant un homme. Ça change la donne, vous voyez ? »
À cette époque, Bento suivait une thérapie. Lors de l’une des séances, il est parvenu à mettre des mots sur ce qui lui pesait sur le cœur. Son psychologue, un homme gay, l’a alors aidé à comprendre qu’être un homme n’était pas synonyme d’une allégeance à la masculinité dominante. Effectuer sa transition vers une identité masculine ne consistait donc pas nécessairement à reproduire cet ensemble d’idées toxiques qui balise le concept d’être un homme. « Là où rien de féminin n’est permis », précise Bento.
Masculinités possibles
À cause de toutes les significations possibles que recouvre ce mot, Bento préfère le terme personne transmasculine. Pour lui, s’identifier à une notion moins connotée permet de construire plus librement sa propre identité. « Je ne veux pas avoir à répondre aux attentes de la féminité, mais je n’ai pas non plus envie de tomber dans la masculinité telle qu’elle est aujourd’hui. J’arrive à prendre un peu de chaque », explique-t-il.
Bento considère qu’en plus d’être une expérience personnelle, la transmasculinité permet d’inventer de nouvelles références pour performer [3] une identité masculine sans avoir besoin d’en passer par la reproduction du machisme et du sexisme. « Le genre n’est pas simplement un système d’oppression, mais ç’en est un aussi. Il faut réfléchir à une manière de faire qui n’est pas oppressive. »
Une telle approche n’est pas inhérente à la transition de genre. Il faut s’ouvrir, comprendre comment s’organise la société et approfondir son propre processus. C’est à ce niveau que certains hommes trans sont accusés de renforcer la masculinité hégémonique [4], en agissant conformément à la norme. « J’ai rencontré des types trans qui reproduisaient la masculinité [dominante] », précise Bento, avant d’ajouter : « ça n’a aucun sens lorsque vous savez ce que c’est qu’être au monde sans être masculin ».
Les hommes trans renforcent-ils la masculinité dominante ?
Éclairagiste de théâtre, Felipe Fly, 27 ans, s’identifie comme un homme trans, et raconte avoir déjà entendu ce type de conversation. Cependant, selon lui, refuser la manière misogyne dont les hommes se comportent est une question d’engagement et de responsabilité. « Il faut chercher à bâtir une relation moins toxique que celle basée sur les exemples que nous avons. » Felipe s’oppose aussi à l’idée que les hommes trans pourraient renforcer la masculinité dominante, car ils constituent « une très petite fraction de la population. » « Le stéréotype qui est créé suit la norme cisgenre, il n’y a pas moyen que nous le renforcions ».
Selon lui, le fait que les hommes trans et les personnes transmasculines soient tenus de ressembler à des hommes cis [5] pour que leur identité de genre soit validée est une demande de la norme cisgenre. « C’est comme si la société affirmait que l’unique manière d’occuper cette place était d’obéir à la norme du stéréotype de genre », ajoute-t-il. Cela se traduit par la conformité à une image que les hommes trans et les personnes transmasculines devraient rechercher — large mâchoire, pilosité faciale, pectoraux dessinés —, mais aussi à une manière d’être au monde, en adhérant au comportement toxique généralisé.
Pour Felipe, l’émergence de la transmasculinité permet de remettre la norme en question. « La masculinité et la féminité sont des notions qui ne servent qu’à décrire ce qui existe déjà aujourd’hui. La transidentité met au centre du débat le fait qu’il existe de multiples formes et potentialités d’existences au sein de la société », conclut-il.