La santé des personnes Noires : de réelles améliorations ?

Source : OutraSaúde Saúde negra
Par Gabriel Brito, Publié le 02/05/2024
Traduction : Roger Guilloux
Relecture : Bertrand Carreau

Après des années de mise à l’écart et de démantèlement, le programme Politique nationale de santé intégrale de la population noire est à nouveau pris en compte par le gouvernement, dans le cadre d’un effort conjoint entre ministères. Une chercheuse de l’Association brésilienne de santé collective (Abrasco) nous aide à en comprendre les enjeux.

Le lien entre les gouvernements conservateurs et le racisme idéologique au Brésil ne relève pas d’une simple rhétorique. Les présidences de Michel Temer et de Jair Bolsonaro [1] ont effectivement dégradé, voire éliminé, des politiques publiques visant à réduire les inégalités raciales dans le pays. Et la santé est un domaine privilégié pour observer l’aggravation du racisme institutionnel durant cette période.

Il n’est pas surprenant que le gouvernement Lula ait promu une réorganisation institutionnelle pour tenter de regagner le terrain perdu. L’ancien Secrétariat des politiques de promotion de l’égalité raciale a été transformé en ministère, jouant un rôle dans l’articulation de politiques d’équité aux côtés d’autres ministères. Par ailleurs, des représentants du mouvement noir ont été nommés à des postes importants au sein du gouvernement.

Cette situation nouvelle a été l’opportunité pour l’Association brésilienne de santé collective de consacrer un numéro entier de sa revue à la santé de la population noire. « L’équipe éditoriale du groupe de travail Racisme et santé de l’Abrasco a voulu contribuer aux publications scientifiques qui traitent des inégalités ethniques et raciales en matière de santé, des impacts du racisme sur la santé de la population noire et de la nécessité de questionner une épistémologie blanche ou soi-disant neutre », explique Ionara Magalhães de Souza, du groupe de travail Racisme et santé de l’Abrasco.

Physiothérapeute, titulaire d’un master en santé publique et spécialiste des inégalités ethno-raciales, Ionara est l’auteure, avec Edna Maria de Araújo et Aloísio Machado da Silva, de l’article « Impact actuel des lacunes du registre race / couleur, dans les bases de données de la santé au Brésil entre 2009 et 2018 » Tendência temporal da incompletude do registro da raça/cor nos sistemas de informação em saúde do Brasil, 2009-2018. Ce recensement, utilisé depuis de la création du programme Politique nationale de santé intégrale pour la population noire (PNSIPN) en 2009, suit l’évolution du processus d’inclusion des données sur la race et la couleur dans les dossiers médicaux des usagers du Système unifié de santé , (SUS) [2].

Dans un entretien à Outra Saúde, Ionara explique l’importance de ces informations dans les dossiers médicaux des Brésiliens. « La différenciation des informations selon la race/couleur dans les données de santé de la population permet de tracer le profil épidémiologique ethnico-racial de la population brésilienne, de construire des indicateurs, d’identifier les besoins spécifiques de chaque groupe ethnico-racial, de suivre l’évolution des résultats les plus intéressants, de mesurer et de surveiller les impacts du racisme et d’évaluer la qualité des soins de santé prodigués aux différentes populations », a-t-elle déclaré.

La chercheuse souligne que le programme PNSIPN a été rapidement démantelé par les deux derniers gouvernements. Outre les effets évidents sur la vie des plus pauvres que la politique de l’État minimum a effectivement générés, il y avait une forte prédisposition des autorités à écarter la production d’informations sur les inégalités raciales.

« Au cours de ces années, nous avons eu des gouvernements de droite marqués par une volonté de démantèlement des acquis démocratiques et d’indifférence aux droits humains et à la santé de la population noire, ce qui a conduit à la fermeture du Secrétariat spécial pour les politiques de promotion de l’égalité raciale et à l’extinction du Comité technique pour la santé de la population noire. Il y a eu de profonds reculs dans les politiques d’égalité raciale ».

Les lacunes auxquelles la chercheuse fait référence, concernent précisément la production d’informations sur la santé de la population noire, suite à la publication, par le ministère de la santé en octobre dernier, de la deuxième édition du Bulletin épidémiologique sur la santé des Noirs, la première édition remontant à 2015. Ce n’est pas un hasard si la mise en œuvre du PNSIPN était au point mort, en particulier dans les régions et les États les plus pauvres, précisément là où se trouvent les plus fortes proportions de populations noires, métisses et indigènes.

« Paradoxalement, ces régions font moins souvent état de difficultés et d’initiatives en matière de gestion de la qualité de l’information alors que, depuis toujours, elles présentent des données de moins bonne qualité. En effet, la production de données déficientes, incohérentes et peu fiables rend impossible la formulation d’indicateurs de santé, la réalisation d’études épidémiologiques et compromet la formulation de politiques publiques et la qualité des soins de santé pour les populations historiquement vulnérables », a-t-elle indiqué.

Et donc, faire l’éloge du gouvernement actuel ne relève pas d’un simple « chauvinisme politique » ou d’un alignement idéologique. Le gouvernement Lula, même s’il dispose d’un financement limité pour les politiques publiques de lutte contre les inégalités sociales, promeut un programme qui devrait véritablement améliorer la vie et la santé des majorités sociales non blanches.

« Après 15 ans d’existence, je crois que le programme Politique nationale pour la santé intégrale de la population noire s’inscrit dans un nouveau cycle, une nouvelle phase de mise en œuvre et d’évaluation. Avec le nouveau gouvernement Lula, nous assistons à des actions inédites. La santé de la population noire a été incluse dans le plan gouvernemental, nous avons un bureau pour l’équité raciale en matière de santé au sein du ministère de la Santé. Nous avons noté un effort pour développer des actions interministérielles, impliquant le ministère de la Santé, le ministère de l’Egalité raciale et le ministère des Droits humains et de la citoyenneté, et incitant d’autres ministères, à intégrer dans leur programme la santé de la population noire », indique-t-elle.

Ci-après, l’intégralité de l’entretien avec Ionara Magalhães de Souza.

D’une manière générale, quelles nouveautés apporte la revue Ciência e Saúde coletiva, dans son numéro consacré à la santé de la population noire, aux débats et à l’élaboration de critiques à l’encontre des politiques de santé publique ?

Le Dossier thématique sur la santé de la population noire vise à accroître la visibilité des inégalités ethno-raciales en matière de santé et à favoriser les réseaux de collaboration au niveau national et international, renforçant ainsi le programme Politique nationale en faveur de la santé intégrale de la population noire (PNSIPN) et le Système unifié de santé (SUS).

Avec cette publication, l’équipe éditoriale du groupe de travail Racisme et santé de l’Abrasco a voulu contribuer aux publications scientifiques qui traitent des inégalités ethniques et raciales en matière de santé, des impacts du racisme sur la santé de la population noire et de la nécessité de questionner une épistémologie blanche ou soi-disant neutre.

Cette édition met en évidence le racisme institutionnel qui entrave ou empêche la diffusion des connaissances scientifiques et technologiques sur ce sujet. De nombreux aspects soulevés dans le dossier sont abordés dans deux bulletins épidémiologiques publiés par le ministère de la Santé. En réponse aux critiques à la situation actuelle, le positionnement politique de ces bulletins prônant une équité en matière de santé, occupe une place de premier plan.

Qu’est-ce qui vous a conduit à publier votre article intitulé Tendência temporal da incompletude do registro da raça/cor nos sistemas de informação em saúde do Brasil, 2009-2018 ? Pourquoi avez-vous choisi cette période et quelles sont les nouveautés les plus importantes de l’article ?

Le Centre interdisciplinaire d’études sur les inégalités en matière de santé de l’Université d’État de Feira de Santana (UEFS) auquel je suis rattachée, développe des actions et des productions scientifiques sur ce thème. En outre, j’ai travaillé sous la direction d’Edna Maria de Araújo, reconnue comme étant l’une des figures de proue de la lutte pour la santé de la population noire dans le pays. Cet article fait partie de mon travail de doctorat. Notre souhait était de contribuer d’une manière ou d’une autre à la mise en œuvre du programme Politique nationale de santé intégrale de la population noire. La période retenue a pris en compte l’année de mise en œuvre de la PNSIPN qui préconise l’inclusion du critère couleur dans les instruments de collecte de données adoptés par les services publics, conventionnés ou sous contrat avec le SUS et l’utilisation du critère couleur pour la production d’informations épidémiologiques, afin de soutenir la gestion et d’améliorer la qualité des systèmes d’information sanitaire.

Les principales questions abordées dans l’article ont trait à la difficulté à mesurer les inégalités ethniques et raciales et à les intégrer au champ race/couleur, souvent mal renseigné, en raison également de la quantité de lacunes, plus élevée dans certaines régions, notamment en ce qui concerne certaines maladies et affections. D’une manière générale, on observe une réduction progressive des renseignements incomplets du champ race/couleur en ce qui concerne la plupart des maladies et affections. Dans cet article, nous cherchons à problématiser le processus de collecte et d’enregistrement des données, à attirer l’attention sur les responsabilités et surtout, à mettre en évidence les conséquences de ces lacunes et les conséquences des fiches du champ race/couleur mal renseignées, pour l’équité en matière de santé. De plus, on constate qu’il est difficile d’intégrer ces données dans le processus de gestion de la santé.

Et la qualité du recueil des données sur la race/couleur s’est-elle améliorée ?

D’une manière générale, sur la période analysée, on peut dire qu’il y a une tendance à la réduction des erreurs concernant la question race/couleur dans les systèmes d’information analysés, c’est-à-dire qu’il y a une amélioration de la qualité des données recueillies.

Finalement, quelle est l’importance de l’affinement des informations sur la race et la couleur dans les données concernant la santé de la population ? Comment celles-ci peuvent-elles influencer l’élaboration des politiques publiques ?

Liée à l’obligation et la pertinence de données fiables, il est important de souligner l’importance de la concaténation des données par race/couleur dans les analyses épidémiologiques. En effet, bien qu’ils soient considérés comme un tout et présentent des similitudes au niveau des contextes socio-économiques, les noirs et les métisses montrent cependant des différences, dans certaines causes de décès par exemple.

La répartition des informations selon les critères race/couleur dans les données de santé de la population permet de tracer le profil épidémiologique ethnico-racial de la population brésilienne, de construire des indicateurs, d’identifier les besoins spécifiques à chaque groupe, de suivre l’évolution des résultats dignes d’intérêt, de mesurer et de suivre les impacts du racisme et d’évaluer la qualité des soins de santé reçus par les différentes populations.

Ces données permettent de se faire une idée de l’état de santé de groupes de populations spécifiques et ainsi de justifier des politiques publiques dans la mesure où elles subventionnent les activités de gestion, de planification, de programmation, de suivi et d’évaluation des politiques de santé et d’activités de soins. Elles orientent l’allocation des ressources et le financement de la santé et contribuent ainsi à la mise en œuvre des principes et des lignes directrices du Système unifié de santé. Ces données peuvent mettre en évidence l’institutionnalisation du racisme dans les pratiques et les services de santé et révéler des disparités concernant l’accès et la qualité des soins de santé.

Votre étude révèle également des disparités régionales, avec un déficit d’informations plus important dans les régions où la proportion de personnes noires, mulâtres, métisses, et indigènes est encore plus élevée. Pourquoi ?

Paradoxalement, ces régions font moins souvent état de difficultés et d’initiatives en matière de gestion de la qualité de l’information alors que, depuis toujours, elles présentent des données de moins bonne qualité. En effet, la production de données déficientes, incohérentes et peu fiables rend impossible la formulation d’indicateurs de santé, la réalisation d’études épidémiologiques et compromet la formulation de politiques publiques et la qualité des soins de santé offert aux populations historiquement vulnérables.

L’année dernière, le gouvernement a publié la deuxième édition du Bulletin épidémiologique sur la santé des populations noires, la première édition ayant été publiée en 2015. Comment expliquez-vous un tel laps de temps ?

Au cours de ces années, nous avons eu des gouvernements de droite marqués par une volonté de démantèlement des acquis démocratiques et d’indifférence aux droits humains et à la santé de la population noire, ce qui a conduit à la fermeture du Secrétariat spécial pour les politiques de promotion de l’égalité raciale et à l’extinction du Comité technique pour la santé de la population noire. Il y a eu de profonds reculs dans les politiques d’égalité raciale. Incontestablement, les plus grandes avancées dans le domaine de la santé de la population noire ont eu lieu sous les gouvernements de Lula et de Dilma [3] ."

Comment évaluez-vous le programme Politique nationale de santé intégrale de la population noire du nouveau gouvernement Lula ? Quelles actions ce gouvernement et ce ministère de la santé pourraient-ils privilégier ?

Après 15 ans d’existence, je crois que le programme Politique nationale pour la santé intégrale de la population noire s’inscrit dans un nouveau cycle, une nouvelle phase de mise en œuvre et d’évaluation. Avec le nouveau gouvernement Lula, nous assistons à des actions inédites. La santé de la population noire a été incluse dans le plan gouvernemental, nous avons un bureau pour l’équité raciale en matière de santé au sein du ministère de la Santé. Nous avons noté un effort pour développer des actions interministérielles, impliquant le ministère de la Santé, le ministère de l’Egalité raciale et le ministère des Droits humains et de la citoyenneté, et incitant d’autres ministères, à intégrer la santé de la population noire dans leur programme.

C’est dans cette optique qu’en décembre 2023, l’ordonnance n° 2 198 a été créée. Elle définit la Stratégie antiraciste pour la santé, dont le plan d’action comprend le développement d’actions positives, la formation à l’antiracisme au sein du SUS, la production et le suivi d’indicateurs raciaux dans les actions de santé et le fléchage des ressources en vue de promouvoir l’équité en matière de santé.

Plus récemment, suite à la publication du décret n° 11.996, le gouvernement a créé le Comité technique interministériel pour la santé de la population noire. Il s’agit d’un groupe interministériel chargé d’élaborer un plan d’action visant à renforcer le programme Politique nationale de santé intégrale de la population noire. Ce groupe va également suivre de près et évaluer les politiques, les actions et les stratégies. En résumé, je pense qu’avec l’expansion des politiques de protection sociale et la lutte contre les inégalités raciales, nous disposons d’une force d’action permettant de renforcer ce programme.

Voir en ligne : Article original en portugais

[1Les gouvernements de Michel Temer 12 mai 2016 – décembre 2018 et de Jair Bolsonaro janvier 2019 – décembre 2022.

[2SUS. Le Système Unifié de Santé est un système de santé publique qui garantit un accès universel et gratuit à l’ensemble de la population du pays, y compris aux réfugiés et aux demandeurs d’asile.

[3Les gouvernements de Lula janvier : 2003- décembre 2010 et de Dilma Rousseff : janvier 2011- 11 mai 2016 (date de sa destitution)

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