La recette de Bolsonaro pour créer le Brésil de la faim

 | Par Outras Palavras, Paulo Kliass

Traduction : Felipe Kaiser Fernandes
Relecture : Honoré Banidje

Au milieu de la crise, le gouvernement a fait le choix d’approfondir l’"austérité” au lieu de miser sur les dépenses publiques. Voici le résultat : en deux ans, la pauvreté est passée à 29,5 %. À São Paulo et Rio de Janeiro, elle a augmenté de 40 %. Le pays est au bord de l’effondrement social - et ces arguments sont même supportés par des théories élitistes des économistes « qui n’ont jamais tort ».

L’aggravation de la crise économique et sociale qui traverse le Brésil ces derniers temps est plus qu’évidente. En théorie, il suffirait un peu de sensibilité politique pour interpréter les phénomènes en lien avec la hausse des données sur la réalité concrète de la grande majorité de notre population. Afin de comprendre le moment tragique que nous vivons actuellement, un peu d’habileté dans la manipulation des données qui concernent l’économie pourrait également être un atout.

Mais lorsque ce sentiment est confirmé par les statistiques et autres informations officielles divulguées par les organismes publics eux-mêmes, il n’y a plus le moindre doute. Les grands médias, les experts “des plateaux” associés au financiarisme, et le discours officiel du groupe de Paulo Guedes n’ont jamais répondu aux problèmes des classes populaires, situés aux échelons les plus bas de la pyramide sociale .

Bien que la crise de la pandémie ait une influence non négligeable dans l’aggravation des conditions de vie des moins favorisés, le fait est que tout a commencé dès 2015, lorsque la stratégie d’austérité a investi l’espace économique des gouvernements successifs, conduisant à d’approfondissement des conditions de vie des moins favorisés. Pointer les principaux méchants de cette histoire comme étant les dépenses publiques excessives et la supposée taille disproportionnée de l’Etat, c’était le diagnostic qui a dominé les têtes et les esprits depuis longtemps. Cela est passée par Dilma, Temer et s’est enracinée plus fortement avec Bolsonaro.


Domination de l’austérité depuis 2015

L’une des principales conséquences de cette hégémonie de la pensée a été la proposition systématique de mesures visant à réduire la taille du secteur public dans notre économie, en utilisant des idées telles que la privatisation, la concession, l’externalisation et d’autres propositions visant à transférer la responsabilité des fonctions de l’État au capital privé. D’autre part, la domination de la pensée conservatrice et monétariste a conduit à l’accélération du démantèlement des politiques publiques, telles que la santé, l’aide sociale, l’éducation et la sécurité sociale. Ainsi, le secteur public voit sa dimension réduite et les droits de citoyenneté prévus par la Constitution sont de plus en plus transformés en marchandises à offrir par le secteur privé à qui peut les payer.

À ce décor s’ajoute l’incapacité de la politique économique à reprendre les schémas de développement historiques. La perception erronée selon laquelle tout ce qui sent le secteur public implique l’inefficacité, la corruption et des dépenses publiques exagérées conduit à la proposition infâme de l’État minimal. Ainsi, la solution récurrente est l’illusion libérale que selon laquelle tout se résout par la libre action des forces de l’offre et de la demande. Le problème est que, depuis la crise de 2008/9, le Brésil allait à l’encontre de ce qui était progressivement mis en place dans les pays les plus riches. Les difficultés inhabituelles rencontrées par les États-Unis et l’Union européenne, par exemple, à ce moment-là, ont mis en échec les recommandations typiques du menu néolibéral présenté jusqu’alors. Il y a donc eu un véritable bouleversement dans la mise en œuvre de la politique économique. L’ensemble du récit impliquant la nécessité d’une austérité budgétaire à tout prix a fait place à un discours en faveur du rétablissement du protagonisme de l’État dans la résolution de la crise. La solution consistait à augmenter les dépenses budgétaires de toutes sortes dans ces pays.

Mais pour nos libéraux Tupiniquim, ce changement de paradigme ne mériterait pas d’être mieux connu et étudié. Ici, le chant antiétatique a été maintenue et même l’arrivée de la pandémie - avec son besoin évident de renforcer la présence du secteur public - n’a pas suffi à toucher le cœur de l’orthodoxie. Ainsi, même les indicateurs officiels ont commencé à refléter ce qui était vu dans les rues du pays. La hausse du chômage et la "normalisation" des conditions précaires et de l’informalité ont considérablement réduit le revenu des ménages. D’autre part, l’austérité et la libéralisation irresponsables ont réduit la capacité du secteur public à offrir des services minimalement raisonnables à la majorité de la population. La précarité s’est accentuée et les conditions de vie ont diminué drastiquement.


Augmentation de la pauvreté et de la misère

En outre, il convient de souligner la persistance de la hausse récente des prix des différents composants du panier de consommation des couches à faibles revenus. Ce mouvement s’exprime dans les indices d’inflation, notamment pour les denrées alimentaires, les transports et l’énergie. Aujourd’hui, la combinaison perverse et explosive de la hausse des prix et de la baisse des revenus familiaux est l’un des signes d’alerta de la crise sociale. Des questions autrefois presque résolues - comme la misère et la pauvreté - reviennent à l’ordre du jour politique dans notre pays. La situation est si préoccupante que même Bolsonaro fait marche arrière par rapport à ses critiques bien connues du programme Bolsa Família, créé sous le gouvernement Lula, et exige que son équipe lance un appel dans le même sens. Après tout, l’année prochaine, nous aurons des élections et les sondages indiquent qu’il aurait à peine assuré son passage à un éventuel second tour si le les élections avaient lieu maintenant.

La question de l’extrême pauvreté a été introduite dans le débat également à partir de la proposition d’un économiste conservateur et conseiller de la présidence états-unienne à la fin des années 1960. Arthur Okun a suggéré la création de l’“indice de pauvreté”, qui serait le résultat de la combinaison des données sur le chômage et sur l’inflation. Le cabinet de consulting LCA a réalisé une étude pour la période actuelle dans cette perspective et la conclusion montre une détérioration des indicateurs depuis l’investiture de Bolsonaro et l’économie dans les mains du super-ministre Paulo Guedes.
Cet indice a été élaboré à partir de l’utilisation des taux officiels de chômage et d’inflation de l’IBGE. Respectivement, les collections de l’Enquête Nationale par Échantillon de Ménages (PNAD) et de l’INPC ont été considérées. Le graphique ci-dessous montre l’aggravation significative à partir de la transition de 2019 à 2020.

Un autre élément important concerne le comportement de la pauvreté, définie sur la base d’un certain niveau de revenu mensuel obtenu par les familles et/ou les individus. Il est évident qu’il y a toujours une limitation dans la définition de ce taux. La Banque mondiale (BM) définit l’extrême pauvreté au seuil de 1,90 USD/jour, mais aussi deux autres indicateurs, fixés à 3,20 et 5,50 dollars, qui reflètent respectivement les seuils de pauvreté nationaux dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et supérieure.

Une étude élaborée également par le conservateur Institut brésilien d’économie (IBRE) de la Fondation Getulio Vargas (FGV-RJ), a cherché à évaluer l’évolution récente des taux de pauvreté au Brésil en suivant la méthodologie de la BM. Le tableau ci-dessous apporte des informations comparant les performances entre les mois de janvier de 2019 et de 2021. Les données au niveau des États fédératifs sont analysées, ce qui permet de vérifier l’impact sur les différentes régions. Dans l’ensemble du pays, la part des pauvres sur la population totale augmente de 17% sur la période de deux ans, passant de 25,2% à 29,5%.

Les cas de São Paulo et de Rio de Janeiro attirent l’attention, parmi les États fédératifs, puisqu’ils présentent une aggravation des indicateurs de plus de 40%. Le district fédéral présente la pire performance relative, avec une augmentation du pourcentage de pauvres de plus de 40%, passant de 12,9% à 20,8% de la population totale du district.

Les deux études mentionnées ci-dessus ne peuvent être accusées d’être "gauchistes" ou "populistes". Ces recherches ont été réalisées par des entités qui répondent aux intérêts de l’« establishment » et ont utilisé des informations officielles du gouvernement brésilien. Mais la gravité de la crise n’offre aucune échappatoire. La pauvreté et la misère ont considérablement augmenté au Brésil sous le gouvernement Bolsonaro.

Le moyen de surmonter les difficultés actuelles passe par le remplacement du capitaine et de son équipe. Et en abandonnant la politique économique actuelle et le programme du mauvais gouvernement, qui devraient être remplacés par un ensemble de programmes visant à retrouver la voie du développement social et économique, y compris les mesures nécessaires pour réduire les inégalités et la concentration des revenus et des richesses.

Voir en ligne : A receita de Bolsonaro para criar o Brasil da fome

Photo de couverture : Pablo Albarenga / Mídia NINJA

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