La lutte des quilombolas du Maranhão

 | Par IHU - Instituto Humanitas Unisinos

Source : Reentrâncias
Traduction : Hélène Chesnel pour Autres Brésils

Mercredi 9 juin 2011, deux prêtres et 17 quilombolas ont fait une grève de la faim dans le Maranhão pour exiger le respect et la protection de l’État, dénonçant le fait que 58 personnes vivent sous une menace de mort. Il s’agit des chefs de file des peuples paysans et des habitants quilombolas et des fleuves qui reçoivent des messages de menaces pour qu’ils fassent marche arrière dans la lutte qu’ils mènent pour la liberté de la terre. Cette liberté a été rognée par l’expansion des grands propriétaires terriens : ceux-ci ont pris possession de terres qui devraient appartenir aux peuples qui vivent depuis plus de 200 ans dans cette région et qui, aujourd’hui, vivent opprimés par des forces qui ont l’appui du gouvernement.

La grève de la faim a pris fin hier, vendredi.

L’IHU On-Line a discuté avec Inaldo Serejo, prêtre, coordonnateur de la Commission Pastorale de la Terre du Maranhão, qui a également pris part à la grève de la faim et campé avec les manifestants devant le siège de l’Incra , à São Luis. Il nous raconte, dans l’entretien qui suit, qui a été réalisé par téléphone, les réactions du gouvernement face à cette manifestation populaire et leur vie sous le pouvoir des oligarchies qui dominent l’État. “Ce lien entre les Maranhenses qui ont le pouvoir et la structure de l’État est quelque chose de vraiment tragique pour notre peuple. l’État semble se mettre au service des grands propriétaires terriens, au service de ce processus d’extermination dont souffrent les communautés quilombolas et les communautés paysannes du Maranhão”, a-t-il conclu.

Voici l’entretien.

IHU On-Line – Quel est la raison de votre grève de la faim ?

Inaldo Serejo – Elle a lieu dans un contexte de violation des droits humains fondamentaux. Nous défendons le droit de centaines de communautés paysannes, souvent quilombolas, à reproduire leur vie, alors même qu’en ce moment elles vivent dans une situation qui les empêchent de perpétuer leur existence sur leur terre. Les terres des petits agriculteurs et des quilombolas sont entourées par les grandes propriétés agricoles, quelques personnes qui vivent sur des terres entre la route et des grillages.

IHU On-Line – La grève a déjà attiré l’attention du gouvernement fédéral ?

Inaldo Serejo – Je ne sais pas si elle a attiré l’attention, mais elle a déjà gêné. Hier, nous avons été en contact avec la Secrétaire des Droits Humain de la présidence et la Fondation Palmares pour établir un agenda politique dans le Maranhão : l’objectif est que nous puissions discuter de la question de la terre et du processus pour obtenir des titres de propriété sur les territoires quilombolas. En outre, nous voulons aussi discuter du processus d’appropriation des grandes exploitations agricoles et de la réforme agraire. Pour le moment, le Gouvernement Fédéral a réagi en nous envoyant la Ministre des Droits Humains pour discuter de certains des points que je viens de présenter. La discussion portera sur la sécurité des communautés quilombolas.

Nous avons une liste de 58 personnes qui vivent sous une menace de mort. Certaines menaces sont publiques, d’autres sont voilées et indirectes. Des voitures d’agents pastoraux ont plusieurs fois été suivies par des personnes qui se comportaient de façon menaçante.

Cependant, il y a un deuxième point de l’ordre du jour assez important qui porte sur l’obtention de titre de propriété sur les territoires et sur l’accès à la terre par les paysans. Ce point doit être dicusté avec les Ministère du Développement Agricole et c’est ce que nous réclamons.

IHU On-Line – Pendant que nous discutons, une manifestation a lieu là-bas au siège de l’Incra du Maranhão, n’est-ce pas ? Vous pouvez nous parler de ce mouvement ?

Inaldo Serejo – Nous avons installé un campement devant l’Incra et nous avons manifesté à l’intérieur du bâtiment. Le groupe s’est rassemblé pour écouter la proposition de la Ministre et présenter les conditions pour que les manifestants mettent fin à la grève.

IHU On-Line – La grève de la faim va donc se terminer ?

Inaldo Serejo – Le groupe a fixé comme condition pour la fin de la grève aujourd’hui (vendredi 10 juin 2011) à 18h, que la ministre Maria Rosário s’engage à garantir la survie des peuples menacés et que le Ministre du Développement Agraire vienne pour discuter du deuxième axe que j’ai présenté sur la question de la propriété terrienne. En outre, une exigence immédiate est que la sécurité soit assurée jusqu’au retour dans les communautés c’est-à-dire jusqu’au 22 juin, jour où nous rencontrerons avec la délégation du gouvernement fédéral.

IHU On-Line – Comment est la vie des quilombolas dans le Maranhão ?

Inaldo Serejo – Nous vivons dans une situation de vulnérabilité énorme. Ces communautés occupent les terres depuis de nombreuses années, certaines sont bicentenaires, mais, dans les faits, elles ne possèdent pas de titres de propriétés de ces terres, alors qu’elles les occupent et les cultivent. Ces dernières années, surtout depuis 45 ans, les grands propriétaires terriens se sont accaparés les terres publiques dans cet État, ce qui menace la survie de ces communautés. Ils empêchent nombre d’entre elles de cultiver les champs et, de ce fait, elles n’ont pas de quoi se nourrir. Ils leur interdisent de construire des maisons en dur ce qui rend incertain leur habitat. Plusieurs communautés n’ont pas non plus accès à l’éducation parce que les grands propriétaires terriens ne permettent pas la construction d’écoles sur des terres qu’ils disent être les leurs. Il y a actuellement un cycle de violence et un ethnocide est en train de se produire dans la mesure où l’on retire les moyens de survivre à ces communautés. C’est pour cela que nous avons besoin de l’attention du gouvernement et de la société. L’État brésilien condamne ces familles à la mort.

En plus de toute cette situation, nous avons dans le Maranhão un pouvoir judiciaire rétrograde qui ne veut pas discuter des droits fondamentaux. Il y a environ cinq mois, lors d’une audience, dans le cadre d’une affaire concernant une communauté quilombola, nous avons entendu un juge dire qu’il n’était pas là pour discuter des droits humains, mais plutôt de la partie pratique de la situation. Dans cette affaire, le prétendu propriétaire a présenté un document émanant du bureau d’enregistrement, sur lequel le juge s’est appuyé pour décider qu’il était le propriétaire légitime de ce morceau de terre. Cependant, beaucoup de ces documents présentés aux juges sont établis de façon frauduleuse par les bureaux d’enregistrement du Maranhão. Le juge ne peut pas déterminer qui est propriétaire en se basant seulement sur un document et sans connaître les communautés requérantes. Il devrait d’abord écouter la communauté et les personnes qui sont citées dans l’action en justice. Nous avons rarement rencontré un juge qui écoutait les deux parties.

IHU On-Line – Combien y a-t-il de communautés quilombolas dans l’État ?

Inaldo Serejo – Nous n’avons pas de données précises mais il y aurait, selon une estimation, entre 650 et 700 communautés quilombolas dans le Maranhão.

IHU On-Line – Pourquoi le problème de la violence a-t-il autant augmenté dans le nord et le nord-est du Brésil ? Comment est la présence de l’État dans le Maranhão ?

Inaldo Serejo – La violence semble augmenter car nous réussissons à la faire connaître du public. En outre, certaines entreprises s’étendent dans le Maranhão comme, par exemple, la "Suzano Papel e Celulose" qui est en train d’acheter des terres immenses pour planter de l’eucalyptus. Or ces espaces sont occupés par des communautés traditionnelles. Le soja a déjà avancé dans le sud du Maranhão, maintenant il avance aussi dans l’est. Il y a une entreprise ici dans l’est du Maranhão qui dévaste d’immenses espaces avec la plantation intensive de canne. Il y a aussi des projets de sidérurgie qui avancent sur les territoires occupés par les communautés quilombolas et des villages des fleuves. Et le pire de tout cela est que cette avancée se fait dans la violence.

IHU On-Line – L’origine du Maranhão s’est basée sur la lutte entre les peuples et pour la terre. Comment analysez-vous cette lutte actuelle du peuple maranhense ?

Inaldo Serejo – Nous continuons à lutter pour la terre. Les personnes menacées de mort dans le Maranhão sont aujourd’hui les chefs de file des paysans et des quilombolas qui affrontent les propriétaires terriens. Ainsi, dans le Maranhão, la lutte continue pour libérer la terre. Un jour, un paysan a dit quelque chose de très beau : "nous sommes en train de libérer la terre pour que nos enfants et petits-enfants puissent survivre". Ceci est l’axe fondamental de la lutte dans le Maranhão.

IHU On-Line – Comment se passent les menaces contre les peuples quilombolas du Maranhão ?

Inaldo Serejo – Elles prennent différentes formes. Un message est très fréquemment envoyé aux personnes qui luttent contre les propriétaires terriens : "On raconte qu’un de ces jours tu vas te retrouver avec la bouche pleine de fourmis". Dernièrement, un avertissement est aussi arrivé par téléphone. Une des personnes menacées a reçu plusieurs appels de menace où ils lui disaient qu’ils allaient l’« attraper » à un moment ou à un autre.

Ici, si une personne dit quoi que ce soit contre un propriétaire terrien, elle court le risque de perdre son emploi, y compris dans le secteur public. Même les membres de la famille risquent le licenciement pour une critique sur l’expansion des grandes propriétés terriennes. La persécution prend de nombreuses formes. Une façon est de tuer par balle, l’avertissement arrive par message, par téléphone, mais il y a aussi d’autres formes de menace, comme l’interdiction de construire des maisons, de cultiver les champs...

IHU On-Line – Et qui font ces menaces ?

Inaldo Serejo – Les menaces proviennent, généralement, des propriétaires terriens et des éleveurs de buffles dans les plaines du Maranhão.

IHU On-Line – Vous avez déjà souffert de menace de ce type ?

Inaldo Serejo – Oui. J’étais dans une lutte contre l’élevage de buffles dans les campagnes et j’ai alors reçu un message qui "me demandait de faire attention de ne pas me retrouver la bouche pleine de fourmis sur le bord de la route". Cependant, on ne peut pas baisser la tête devant la menace, parce que l’objectif est d’intimider et de faire reculer les personnes. C’est pour cela que la menace est presque toujours dirigée contre les chefs de file.

IHU On-Line – Quel est le rôle des oligarchies dans cette oppression contre les quilombolas ?

Inaldo Serejo – Il y a, dans le Maranhão, une alliance pour accaparer les terres. Cette alliance a des représentants dans les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Il y a aussi un réseau à l’intérieur des bureaux d’enregistrement formé pour frauder et légaliser de faux documents. Les oligarchies politiques ont un pouvoir de domination très important. Ce sont les "maîtres" de la politique et de l’économie du Maranhão.

IHU On-Line – Dilma et Sarney se sont alliés durant les dernières élections. Comment cette alliance est-elle perçue par les peuples opprimés du Maranhão ?

Inaldo Serejo – Une grande partie de la population a le sentiment que le Gouvernement Fédéral, lorsqu’il décide des actions à mener dans l’État, est subordonné au pouvoir du président du Sénat, José Sarney. Cela nous a beaucoup déçu. Le peuple avait pensé que nous pourrions échapper à cette oligarchie au début du gouvernement Lula, mais une alliance entre Lula, Dilma et Sarney est apparue aussitôt. Elle est jugée de façon très négative par beaucoup de Maranhenses.

Ce lien entre les Maranhenses qui ont le pouvoir et la structure de l’État est quelque chose de vraiment tragique pour notre peuple. L’État semble se mettre au service des grands propriétaires terriens, au service de ce processus d’extermination dont souffrent les communautés quilombolas et les communautés paysannes du Maranhão.

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