La presse écrite, les sites d’information, les chaînes de télévision et de radio regorgent d’informations sur le pays et sur le monde. Cependant, pour avoir des informations sur la situation d’une région spécifique, tout particulièrement hors des grandes villes, il faut recourir au journalisme local. Or, d’après l’Atlas da Notícia 2019 [1], 62 % des communes brésiliennes ne disposent pas de couverture locale de l’information. Ce qui, en soi, est déjà grave et prend une toute autre dimension en période de pandémie. Pensez aux personnes qui vivent loin et qui veulent connaître la situation dans leur ville natale. Il est vrai qu’en parlant avec les gens, il est possible de se faire une idée de la situation mais cela n’est pas la même chose qu’une information journalistique.
Lire aussi les analyses « Atlas de l’info » de l’Observatoire de la démocratie brésilienne :
Pour ceux qui vivent dans ces localités, le journalisme est plus que jamais indispensable pour informer sur tout ce qui peut être utile, des services publics de santé au nombre de personnes contaminées et de personnes décédées mais aussi sur d’autres questions telles que le calendrier scolaire ou les heures d’ouvertures des commerces. Pour ne mentionner que les services publics et les autres questions prioritaires liées à cette situation.
Ne pas disposer de médias en mesure d’apporter des informations sur ces villes est, en soi, grave, mais ce qui me préoccupe encore davantage, ce sont les radios, journaux et sites existants dont l’information laisse à désirer en ce qui concerne la couverture de la situation actuelle. Je rappelle que nous sommes en pleine pandémie, qu’il s’agit d’informations vitales, d’engagement, d’éthique et de responsabilité.
Au Brésil, la polarisation politique affecte la gestion de la pandémie et a un impact sur la couverture journalistique de la situation, ce qui peut devenir dangereux. Il ne faut pas être naïfs et penser que – notamment dans les petites villes - le journalisme suit les théories enseignées dans les universités. Ce n’est pas le cas. Le journalisme est habituellement encadré par la publicité, dans ce cas essentiellement des commerçants et des chefs d’entreprises. Une grande partie de ceux qui ont participé aux convois de voitures dans plusieurs villes du pays pour nier la létalité de la maladie et demander la reprise de toutes les activités et qui plus est, s’en prennent à la science et à l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Comment le journalisme local doit-il agir face à cette impasse ? Quelle posture doit-il prendre ? Soutenir le discours de celui qui paie les salaires ou être un minimum responsable et mettre en évidence les contradictions de ces actions ?
La réponse paraît évidente, mais quand on parle d’argent, on sait bien que la situation prend une autre dimension et plus encore quand il s’agit du journalisme local totalement dépendant des annonceurs. Ceux qui ont déjà travaillé dans ces médias savent que parfois les départements commercial et journalistique ne font qu’un. Cela n’a jamais été bon pour le journalisme mais aujourd’hui, au milieu de cette pandémie, les conséquences sont beaucoup plus sérieuses, sans doute plus qu’elles ne l’ont jamais été.
Si le journalisme, particulièrement au niveau local, s’aligne sur ce discours du gouvernement et de ses partisans, nie la pandémie, condamne le confinement (reconnu scientifiquement pour être la seule mesure permettant de ralentir la propagation du virus) et attaque la science, que fait-il d’autre que de mettre en danger la santé de la population ? Aujourd’hui, peu de choses peuvent être aussi anti-éthiques et dangereuses que celles-ci.
Il n’est pas nécessaire d’être journaliste pour comprendre que cette attitude est grave et va à l’encontre de tous les principes du journalisme, activité qui ne peut être complice de ces prises de position. Devons-nous rappeler l’article 6 du code de déontologie des journalistes brésiliens qui inclut comme devoirs du journaliste : 1- de s’opposer à l’arbitraire, à l’autoritarisme et à l’oppression et défendre les principes définis dans la Déclaration universelle des droits humains, 2 – de divulguer les faits et les informations d’intérêt public.
La posture minimale que l’on attend du journalisme local, en ces temps de pandémie, est de penser d’abord à la vie des personnes. Les journalistes doivent avoir conscience que, en dépit des attaques contre la presse, nombreux sont ceux qui prennent au sérieux les médias locaux et, pour cette raison parmi d’autres, ils doivent valoriser la vérité et la qualité. Le moment est venu de démasquer les mensonges, quels que soient ceux qui les ont divulgués. Il n’a jamais été aussi important de disposer d’un journalisme local fort et responsable pour la défense du bien commun, des gestes de prévention et de la diffusion d’actions essentielles permettant de freiner la pandémie. En agissant ainsi dès maintenant, on évitera, qu’à l’avenir, les unes des médias soient estampillées de chiffres indiquant le nombre de morts dues à la pandémie, laquelle est bien réelle.
Refusant de s’allier au discours négationniste, le journalisme local peut saisir ce moment pour s’affermir comme le fait bon nombre de médias de référence. Il ne s’agit pas de tirer avantage de la situation mais bien de rappeler, en ce moment d’attaques, que la liberté et le droit à l’information sont les piliers de la démocratie et, au Brésil aujourd’hui, ceci n’est pas un cliché.
Vous appréciez notre site ? Aidez-nous à en maintenir la gratuité !
Vous appréciez nos actions ? Aidez-nous à les concrétiser !
La couverture du covid-19 est vitale et doit être réalisée de la meilleure manière possible, sans faire l’économie de données scientifiques, de descriptions de faits, d’interviews de professionnels de la santé, d’autorités locales, d’histoires de ceux qui sont en première ligne du combat contre cette malade. Même si l’on ne dispose que de moyens réduits et tenant compte des limites imposées par les restrictions de circulation, les journalistes doivent avoir à l’esprit que, dans la situation actuelle, l’information de qualité aide à sauver des vies.
En fait, l’heure est peut-être enfin venue de comprendre la bonne logique du journalisme : c’est la qualité qui le renforce, génère audience et profits et non pas l’économie de personnel et de travail. Cette deuxième option est la logique qui prévaut dans la majorité des petits médias. Ayant opté pour cette logique, ils réalisent un travail de qualité moyenne et se plaignent de la concurrence des informations qui circulent sur WhatsApp et les pages de Facebook, montrés comme les vilains. L’heure est venue de se positionner et de saisir le pouvoir de l’information pour montrer que celle-ci est essentielle à la vie des personnes de ces communautés.
Nous vivons un moment unique dans l’histoire et l’avenir est incertain. Cependant il est clair que la position adoptée maintenant définira comment la société s’organisera après la pandémie. Le journalisme local ne peut pas choisir de rester du côté obscur de l’histoire que ce soit pour des raisons de commodité ou d’argent.
À lire aussi : Covid-19 au Brésil : Le journalisme populaire et le droit à la communication
Covid-19 au Brésil : En l’absence de l’État dans les favelas et périphéries, des activistes prennent en charge la communication sur le Covid-19