La gouvernabilité conservatrice en flammes

 | Par Paolo Colosso

Publié le 03/09/2018

Traduction pour Autres Brésils : Marie-Hélène Bernadet
Relecture : Du Aldon

Nous pleurons le Musée National comme nous pleurons la mort de Marielle. Mais qu’on ne s’y trompe pas : il y aura d’autres tragédies tant que notre génération ne surmontera pas la revanche des élites.

Les deux dernières années de crise économique, sociale et humanitaire sont douloureuses et même traumatisantes, mais également didactiques. Ils sont nombreux les jours que nous aimerions oublier, mais il appartiendra à notre génération de se souvenir que cette période a été marquée par l’échec total de l’alliance conservatrice en matière de gestion publique.

On compte déjà plusieurs chapitres à cette dégringolade : des chiffres déplorables de la récupération économique et de l’emploi, jusqu’aux blocages provoqués par l’amendement constitutionnel 95 (qui gèle les dépenses publiques pour vingt ans, à l’image de ce que connaît actuellement le CNPQ - Conseil National de Développement Scientifique et Technologique), en passant par les humiliations internationales, le retour de maladies tropicales éradiquées et la vente d’entreprises publiques à des valeurs en dessous du marché. Mais la décrépitude se matérialise particulièrement dans un lieu et une scène facilement identifiables : la ville de Rio de Janeiro, avec l’armée dans ses rues et le musée le plus ancien du pays en flammes. Il s’agit du portrait le plus criard des errements du programme des régressions.

L’intervention militaire, ordonnée par décret fédéral depuis la mi-février, a bénéficié à ce moment-là d’un impact positif dans l’opinion publique, car elle a transmis l’image forte de la reprise du contrôle par l’Etat d’une ville soumise au risque du chaos et de la violence généralisée. Deux mois plus tard, un rapport faisait état de l’inefficacité de l’exhibitionnisme : 70 opérations impliquant 40 mille hommes ont confisqué 140 armes, en augmentant le nombre de fusillades. Le nombre de meurtres a doublé par rapport à l’année dernière.

Six mois après, le nombre d’opérations sans objectifs précis et aux effets négatifs impliquant l’armée et la police se sont multipliés. Le cas le plus marquant est celui du petit Marcos Vinícius, victime d’une opération policière dans la favela de Maré. Le petit garçon est mort sous les balles tirées depuis un hélicoptère alors qu’il rentrait à pied de l’école, vêtu de son uniforme. Le nombre de victimes tuées par la police continue d’augmenter. Près de 1,2 milliard de réaux ont été investis dans ce carnage exhibitionniste.

Dimanche, nous avons assisté à l’incendie de l’imposant bâtiment du Musée National, partie intégrante de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), dont les collections abritaient plus de 20 millions d’objets. Parmi eux, les registres des sciences naturelles et anthropologiques les plus importants du Brésil. Les chiffres publiés par le journal Folha de São Paulo montrent que les ressources attribuées à l’institution en 2018 étaient réduites de moitié par rapport à la moyenne des deux années précédentes [1]

Depuis le mois de mai, le directeur du musée réclamait que le gouvernement fédéral prenne ses responsabilités et avait rendu public le mauvais état du bâtiment. [2]

De son côté, le recteur de la UFRJ a reconnu que le manque de ressources avait empêché la mise en place de travaux pour améliorer les infrastructures, notamment l’installation d’un système anti-incendie dans le bâtiment de l’époque impériale. Après l’incendie, le recteur a même signalé les mauvaises conditions rencontrées par les pompiers pour combattre les flammes : en l’absence de bornes d’incendie à proximité, ils ont dû faire appel à des camions-citerne et courir à un lac des environs [3]

Les cas paradigmatiques sont liés par l’inefficacité étatique d’une gouvernabilité conservatrice. L’alliance est avant tout constituée par le discours de la crise ; celle-ci est mentionnée ainsi, de manière générique, afin qu’elle puisse, le cas échéant, être mieux utilisée. Ceci justifie l’attaque des droits sociaux, entraînant la précarisation du travail et les coupures budgétaires dans la santé, l’éducation et la science. La gouvernabilité est conservatrice, entre autres, parce qu’on impose l’« austérité » aux citoyens lambdas, dont la valeur des biens, telles que la vie et les connaissances, ne se mesure que très peu en matière de capital. En revanche, il y a une générosité dans l’allègement de la dette des grandes entreprises, dans les subsides accordés sans contrepartie, dans le réajustement salarial des castes bureaucratiques et dans la violence institutionnelle comme réponse à une sortie de crise. Elle est conservatrice parce que les classes qui, historiquement, jouissent de privilèges, monopolisent les ressources publiques, poussant les classes moyennes à redevenir subalternes et contraignant les pauvres à une situation d’extrême vulnérabilité. La recherche, la science et la technologie sont, à leur tour, reléguées au second plan et à l’oubli. Elles reviennent à l’ordre du jour uniquement au travers d’évènements dramatiques, comme dans le cas du CNPQ et cette semaine, dans celui du Musée National.

Le second élément fondamental de cette alliance s’appuie sur exploitation de la crainte d’une possible aggravation rapide de la situation et sur les solutions tout aussi rapides des dirigeants. Ces derniers se prévalent des stigmates les plus ancrés dans l’imaginaire social, en créant des boucs émissaires face aux malheurs : les noirs, les pauvres qui ne font pas assez d’efforts, les criminels qui habitent dans les favelas, les marginaux qui vivent dans les rues, les migrants du Nordeste et du Venezuela, tous ceux qui sont soit vagabonds, soit violents de nature.

Cette dangereuse alliance, tour à tour cynique et fantomatique et toujours caractérisée par un exhibitionnisme rance, a eu l’air légitime en 2016. Elle l’est encore en cette période électorale, mais le cours de l’histoire ne laisse planer aucun doute quant à son échec et à sa fin. Son horizon engendre le délabrement total de la société.

Voir en ligne : Outras Palavras

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