La droite n’a pas besoin d’impeachment

 | Par Gilberto Maringoni

Source : Carta Capital - 04/03/2015

Traduction pour Autres Brésils : Anne-Laure BONVALOT (Relecture : Sifa LONGOMBA)

Joaquim Lévy et Eduardo Cunha, lors d’une rencontre le 23 février dernier : le duo dicte les mesures du gouvernement.

L’action de l’opposition brésilienne visant l’impeachment (destitution de la Présidente) recouvre deux significations possibles : le putschisme (ou la recherche du coup d’État), et l’inutilité. Le putschisme, qui consiste à contester la légitimité d’une présidente élue avec 54 millions de voix, alors même qu’il n’existe pas le moindre indice ni la moindre recherche en cours sur sa probité dans l’exercice de ses fonctions. L’inutilité, parce que Dilma Rousseff et son parti semblent avoir perdu les commandes de l’administration, et ce dans presque tous les domaines d’importance.

Il convient d’insister sur ce point : ils n’ont subi aucune tentative de coup d’État. Ils ont livré le pouvoir spontanément, volontairement et de leur plein gré.

L’enfer économique dans lequel le pays est plongé est la conséquence des choix qu’a opérés la Présidente dès son premier mandat.

En arrivant au pouvoir en 2011, Dilma Roussef et le PT se sont principalement employés à dégrader la croissance économique. L’année précédente, le pays avait connu une augmentation du PIB de l’ordre de 7,5%. C’était là quelque chose d’exceptionnel, notamment après une plongée à - 0,3% en 2009. Le capital financier et les médias prévoyaient alors un hypothétique dérèglement inflationniste, qui n’a en réalité jamais eu lieu.

Dilma Rousseff, pourtant consciente que le monde traversait alors une crise économique d’une ampleur inédite depuis 80 ans, s’est montrée ferme. Elle a répondu positivement aux revendications émanant des hautes sphères de la finance, ce qui a déclenché une escalade des taux d’intérêt. La même année, au mois de juillet, le taux directeur de la Banque Centrale Brésilienne, le SELIC [1] est passé de 10,75% à 12,5%, ce qui a engendré une surévaluation du taux de change. En outre, la Présidente a annoncé des coupes budgétaires d’environ 55 milliards de réaux.

Du point de vue du « rentiérisme », cette tactique fut un succès. Le PIB a dégringolé jusqu’à 2,7% la même année – atteignant 0,9% en 2012, puis 2,2% en 2013 –, pour avoisiner le zéro en 2014.

Dans un contexte de récession mondiale, ces mesures ont eu pour effet de freiner les espoirs et les investissements et de surévaluer le dollar, inhibant ainsi les exportations.

L’industrie nationale accuse le coup. Si, en 1985, elle constituait une part de 27,5% du PIB, cette proportion a progressivement chuté au fil des années. En 1995, elle n’était plus que de 16%, s’élevant à 19,2% en 2004 pour redescendre à 13,3% en 2013 – un chiffre comparable à celui de l’année 1955 [2].

Résultat : un mandat médiocre en termes de développement.

Lors de sa réélection en 2014, Dilma Rousseff a fait ce que tout le monde sait. Elle a nommé un ministère conservateur, a laissé libre cours aux mesures d’austérité, tournant ainsi le dos à sa base sociale.

On ne sait pas au juste ce que la numéro 1 de l’Exécutif avait en tête : elle ne s’adresse presque jamais à la population, pas plus que son parti n’explique le sens de ses choix.

Élue avec une courte avance de 3 millions de voix par rapport à son adversaire Aécio Neves, la Présidente a déçu son électorat, n’a pas tenu ses engagements durant la campagne – c’est en tout cas ce que pensent, d’après un sondage Datafolha, 47% des interrogés – et a remis des postes clé de l’administration aux mains de secteurs qui, en octobre, travaillaient à sa défaite.

Aurait-elle pu faire autrement ? Oui. Mais cela impliquait de contrarier des intérêts et de désigner clairement qui devrait payer l’addition de la relance économique. Un chemin bien différent de celui dans lequel le PT cherche à s’engouffrer depuis 2003.

Le théologien Leonardo Boff, qui s’est entretenu avec Dilma Rousseff au Palais Présidentiel le 25 novembre dernier, affirme lui avoir livré ses inquiétudes. Voici ses mots : « On est libres de faire part de nos réticences, du fait que certains noms nous inquiètent, mais d’un autre côté on sait bien qu’elle a une main de fer, qu’elle ne se laisse pas diriger, que c’est elle qui commande. Cela nous rassure en partie ».

Pourtant, de telles attentes ne se sont pas concrétisées. Joaquim Lévy a été choisi par Dilma Rousseff pour répondre aux besoins du monde de la finance, un secteur que, contrairement à d’autres, la Présidente a décidé de rassurer.

La droite de sa base alliée, voyant le choix de la présidence de faire peu de cas de son électorat traditionnel, et ce dès les premières mesures qui ont suivi la prise de pouvoir, a bien perçu que la tendance était à la perte de confiance. Elle a vu là la chance, assez facile à saisir, d’entraver, voire de finir d’assiéger, le second pouvoir de la République. C’est ainsi qu’Eduardo Cunha s’est lancé, confiant, à la conquête du Congrès, avec l’aval du vice-président Michel Temer.

Victorieux, il a fait ce que ni Lula ni Dilma Rousseff n’avaient osé faire au début de leurs mandats : Cunha a joué cartes sur table, défendant haut et fort ses propres orientations politiques. Les mesures sont connues : réforme politique conservatrice, commission d’enquête parlementaire pour l’entreprise Petrobras, audition de chacun des 39 ministres, fin de toutes les avancées en matière de mœurs et blocage des mesures de démocratisation des médias.

La tactique consistant à commencer un mandat en exposant clairement ses objectifs n’est pas nouvelle. Elle fut popularisée par Franklin Roosevelt, qui fit des cent premiers jours d’un gouvernement l’aune à laquelle il est possible de mesurer ou de définir son action. Dans les cent premiers jours de leurs mandats, Lula et Dilma Rousseff ont mis en pratique le modèle de leurs adversaires, « pour apaiser les marchés ». Voilà le résultat.

On a ainsi affaire à une présidente faible, qui n’arrive plus à contenir les ardeurs récessionnistes de son Ministre des Finances. Lévy est un libéral prévisible. Il brandit à tout-va le discours de la stabilité, au mépris des impératifs de croissance et de distribution du revenu. Les médias le plébiscitent, tout comme Eduardo Cunha, l’un des connétables du gouvernement. Tous deux agissent en véritables premiers ministres. Ensemble, ils définissent ce que seront les orientations de l’administration en matière de politique et d’économie.

Le PMDB (Parti du Mouvement Démocratique Brésilien, Partido do Movimento Democrático Brasilieiro, centre droit), traditionnelle base d’appui du PT, s’est démarqué lors d’une émission diffusée fin février à la télévision : le gouvernement est une pléiade de fiefs autonomes, il est la propriété privée du parti. Chaque ministre du PT évoque son petit pré-carré, défendant des objectifs hermétiques. Le gouvernement n’existe pas, il n’y a pas de coalition, il n’y a pas de PT.

En revanche, il y a un Parti des Travailleurs.

Il s’agit de cette formation qu’il incombe à Lula de recadrer conformément aux orientations dictées par Eduardo Cunha. Le président du Congrès a menacé de faire barrage lors du vote de la réforme fiscale au cas où l’ex-président ne recadrerait pas suffisamment son parti et la CUT (Central Única dos Trabalhadores, le plus grand syndicat du pays).

Lula, apparemment, n’a pas bronché. Fin février, il a pris un avion pour Brasilia et a enjoint ses sénateurs à trancher en faveur des mesures d’austérité. Le président du PT, Rui Falcão, n’a pas agi autrement : lors du Conseil National du parti, il a piloté une manœuvre destinée à rallier ses coreligionnaires à la cause de Joaquim Lévy.

Dans un tel contexte, à quoi peut bien servir l’impeachment ? Qu’est-ce que la droite libérale peut espérer de plus ? Le PT et Dilma Rousseff se sont avérés être des alliés particulièrement avantageux.

L’ensemble des mesures édictées par le Ministère de l’Économie provoquera chômage, mécontentement populaire, inflation et stagnation.

Sur le plan électoral, ce ne sont pas les tenants du conservatisme classique – PSDB et DEM – qui paieront les pots cassés. Pas plus que les collègues de Michel Temer et d’Eduardo Cunha.

L’addition, c’est le PT qui la paiera intégralement : en 2016 et en 2018, le parti ne manquera pas de se rendre compte des dommages qu’il a lui-même causés.

Dilma Rousseff semble ne pas gouverner. Elle apparaît rarement en public et, outre à ses affaires particulières, elle semble se consacrer à des tâches de gestion silencieuses. Réticente aux manœuvres politiques, elle pourrait bien continuer ainsi, tout en se tirant publiquement une balle dans le pied, les chances de reprendre les rênes de la situation s’amenuisant dangereusement.

Les médias encensent ceux qui sont devenus les deux hommes les plus illustres du pays – Lévy et Cunha –, au détriment de la mandataire élue. Ils apparaissent sans cesse sur les écrans et dans la presse, donnant leur avis sur tout, fixant et définissant les orientations du pays.

Si Dilma Rousseff et le PT en sont arrivés là, c’est parce qu’ils ont abandonné toute politique de remise en cause des intérêts consolidés de ceux qui composent le haut de la pyramide sociale.

Ils ont jugé qu’il était possible de ménager la chèvre et le chou, de viser le match nul sans menacer jamais les buts de l’adversaire. Ils encaissent à présent but sur but, et l’on croirait presque assister à un deuxième Brésil/Allemagne.

Ce faisant, ils sont en train d’apporter une contribution notable à l’étude des Sciences Politiques.

C’est un peu comme ce que le philosophe slovène Slavoj Zizek évoque dans son livre Bienvenus dans le désert du réel (Boitempo, 2003, pour la traduction en portugais) : « On trouve actuellement sur le marché toute une série de produits libérés de leurs propriétés nocives : du café sans caféine, de la crème sans matière grasse, de la bière sans alcool. [...Et] le sexe virtuel, sans rapports sexuels ».

Ils ont maintenant inventé l’impeachment sans destitution physique de la présidente.

Notes de la traduction :
[1] Au Brésil, le taux SELIC (Sistema Especial de Liquidação e Custodia) correspond au Taux de Base Bancaire.
[2] Ces chiffres proviennent de l’IBGE (Institut Brésilien de Géographie et de Statistiques, Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística) et sont cités dans une étude de la FIESP (Fédération des Industries de l’État de São Paulo, Federação das Indústrias do Estado de São Paulo).

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