La diminution du rôle de l’État ou un État démocratique et citoyen

 | Par Marilza de Melo Foucher

Source : Carta Maior, du 30/08/2014

Traduction pour Autres Brésils  : Caroline SORDIA (Relecture : Céline FERREIRA)

La période des élections présidentielles constitue toujours un moment propice à la réflexion, permettant de repenser ce que nous voulons de meilleur pour le Brésil et pour sa population. Tout programme de gouvernement, qu’il s’agisse de celui de Dilma [Roussef, du Parti des Travailleurs], de Marina [Silva, du Parti socialiste brésilien] ou d’Aécio [Neves, du PSDB, social-démocrate], doit être lu attentivement afin que les électeurs et électrices puissent avoir des éléments de comparaison entre la situation du pays aujourd’hui et celle d’hier. Aujourd’hui, c’est le thème de l’économie qui domine les débats. Les candidats ont chacun présenté leur programme. Cependant, ce dont il n’est nulle part question, c’est la capacité du moteur économique brésilien dans un contexte de crise mondiale. Une question se pose alors, qui peut devenir un thème de débat :

Que serait le Brésil aujourd’hui, face à la grave crise économique que nous traversons, sans l’intervention de l’État ? Il faut rappeler que beaucoup de candidats considèrent cette intervention étatique comme un obstacle à la bonne marche de l’économie. Pour certains candidats, le marché doit dicter ses règles sans que l’État s’en mêle.

Depuis 2008, la crise du capitalisme financier et de la spéculation a explosé et a touché sans distinction toutes les puissances économiques ; sans l’intervention de l’État, à travers ses investissements et son action sur les banques de développement, le Brésil serait en faillite. Si ces mesures n’avaient pas été prises, la majorité des Brésiliens qui vivent avec des crédits n’auraient pas pu éponger leurs dettes. Ils auraient certainement vu leurs biens hypothéqués, comme des millions de Nord-Américains et d’Espagnols. Ces derniers, les premiers atteints par la crise, ont été nombreux à perdre leur maison et à se retrouver à la rue.

À coup sûr, de nombreuses entreprises auraient également déposé le bilan et auraient réduit des millions de travailleurs brésiliens au chômage.

Pourquoi ne pas approfondir ces questions lors des débats entre candidats ?

Vouloir réduire le rôle de l’État en tant que régulateur social et gardien de l’équilibre économique paraît quelque peu risqué ! Les États-Unis ont, pour leur part, réactivé ce rôle pour faire face à la crise du capitalisme financier mondial et à son impact dramatique sur l’économie américaine. Grâce à cette intervention, le gouvernement américain est parvenu à créer des emplois et un climat optimiste pour ses citoyens. Quant aux pays d’Europe, leurs gouvernements conservateurs ont préféré adopter une politique d’austérité basée sur l’offre, ce qui a eu pour résultat une hausse du chômage et une récession économique. Sur ce sujet, lire l’article récemment publié ici [sur Carta Maior], dans le journal Correio de Brasil ainsi que sur le site Brasil 24/7.

Le pays est devenu une puissance mondiale ; et pourtant, il n’a pas encore d’État-providence solide, qui garantisse effectivement des services publics de qualité, sans nier pour autant les efforts déployés au cours de ces dernières années. Face à la crise de la mondialisation, le Brésil doit continuer à réunir les conditions qui lui permettent d’orienter son économie dans un monde multipolaire. Aussi l’idée libérale de « moins d’État », de « dégraisser », peut-elle s’avérer un désastre en désorganisant l’État, notamment via les propositions émises par les candidats de centre-droit et leurs conseillers néolibéraux dans leurs programmes respectifs.

Les répercussions d’une telle politique s’avéreront négatives pour les populations à revenus faibles et modérés, qui bénéficient aujourd’hui de certaines aides et ont connu une hausse de leur pouvoir d’achat. Il serait intéressant d’interroger les candidats sur la manière dont ils envisagent de diminuer le rôle de l’État et les secteurs qu’ils pensent lui soustraire.

L’enjeu fondamental n’est pas la diminution du rôle de l’État, mais la réorganisation de la machine administrative. La bureaucratie brésilienne n’a jamais été une vraie organisation dans le sens de « faciliter » le fonctionnement de la machine étatique. Elle a au contraire installé une forme de pouvoir hautement hiérarchisée et verrouillée. Dans cette hiérarchie, ceux qui appartiennent au niveau supérieur détiennent les savoirs, savoirs qui doivent demeurer soigneusement cachés à leurs subordonnés – lesquels ont eux-mêmes des subordonnés. Privées de savoir, ces personnes n’innovent pas et ne font pas montre de créativité : elles ont été embauchées pour obéir aux ordres des échelons supérieurs. C’est ainsi que se déploie le pouvoir des hauts fonctionnaires, suivant l’adage selon lequel détenir le savoir, c’est détenir le pouvoir. Le pouvoir, dans l’histoire politique du Brésil, s’apparente à une forme de tutelle et de distribution de faveurs, sans médiation politique et sociale. Le gouvernant est toujours celui qui détient le pouvoir, les savoirs relatifs à la loi et au social, empêchant ses gouverné-e-s d’y accéder et créant par ce biais une relation de clientélisme.

Pour innover dans cette forme de gouvernance, au-delà de la réforme politique en profondeur sollicitée par tous les mouvements sociaux et tous les secteurs organisés de la société civile (voir http://www.plebiscitoconstituinte.org.br/), l’idéal serait également de former des leaders politiques, des hauts fonctionnaires et des dirigeants à l’exercice du pouvoir. L’histoire sociale montre combien la société brésilienne a été régie, pendant des siècles, par des structures de pouvoir autoritaires. Par le passé, les gouvernants ont empêché la participation et la proclamation de droits. De ce fait, chaque citoyen ayant des responsabilités politiques et exécutives devrait s’efforcer de modifier son approche du pouvoir.

Lors de la précédente campagne, j’ai écrit un article qui a été publié par différents sites d’informations sur l’éducation à l’exercice du pouvoir [retrouvez-le en portugais ici]. Peut-être ces lacunes dans la pratique du pouvoir pourraient-elles êtres comblées par un programme de formation à destination de tous les fonctionnaires et futurs ministres, formation qui porterait sur l’éducation à l’exercice de pouvoir. Une telle initiative serait sans nul doute propice à créer les bases d’une nouvelle gouvernance du Brésil.

Les abus de la machine publique ont plombé l’État brésilien et, aujourd’hui, le défi est de restaurer un véritable État démocratique et citoyen compatible avec un développement territorial intégrant la durabilité environnementale, sociale, politique, culturelle et économique. C’est cela et non la réduction des fonctions de l’État, qui constitue en réalité un grand défi. En ce sens, renforcer le rôle de l’État signifie innover en termes de modèle de développement, avec une vision intégrée des réalités d’aujourd’hui. Cela nécessite des changements d’attitude, des changements dans la manière de faire de la politique. Cela exige aussi un système éducatif à la hauteur de ce défi.

Malgré les avancées que nous avons connues cette dernière décennie avec les deux mandats de Lula puis celui de Dilma dans son sillage, la route vers des transformations structurelles est longue... Elle est parsemée d’embûches, qui sont autant de pierres sur le chemin.

Néanmoins, au milieu des pierres, la beauté, elle aussi, se reproduit…

À l’horizon surgit toujours un arc-en-ciel

Qui viendra partager la beauté des cactus en fleurs !

Alors l’espérance renaîtra,

Et, au milieu des pierres tu continueras d’avancer

Telle est l’utopie…

La question est maintenant de savoir si nous souhaitons poursuivre sur ce chemin ou revenir en arrière. C’est à l’électeur et à l’électrice d’en décider.

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