Source : Luiz Müller Blog - 06/09/2015
Traduction pour Autres Brésils : Céline Ferreira
(Relecture : Mathilde Moaty)
Dans un entretien publié initialement dans « Engenheria em Revista » [Ingénierie en revue], l’économiste Ladislau Dowbor, de la PUC de São Paulo, affirme que l’origine de la crise au Brésil ne vient pas d’une crise économique qui conduit à la récession mais bien d’une crise politique, créée par une élite qui veut détruire le système et qui dans une certaine mesure est en train de réussir à le faire. « Il n’y a aucune base pour parler d’une crise ayant d’énormes proportions, ou pour dire que le Brésil s’est effondré, ou encore qu’il va s’effondrer. Cela ne fait pas le moindre sens. Il peut même y avoir des ajustements qui amènent à une rationalisation des dépenses du gouvernement, mais cela n’annule pas la réalité : le pays se trouve dans un cycle d’avancées absolument impressionnantes » déclare-t-il.
Dowbor : l’absence de réformes a bloqué le Lulisme
Pour l’économiste, le pays a vécu douze années d’avancées, mais ce processus a atteint ses limites, et l’hésitation du gouvernement a mis en échec des changements structurels indispensables.
Le Brésil a beaucoup évolué au cours de ces deux dernières décennies. Il a obtenu un progrès social historique depuis le gouvernement Lula, mais est entré dans un cycle ralenti au sein duquel il ne reste plus que deux alternatives : soit avoir le courage de mettre en place les réformes structurelles toujours reportées, soit reculer. Faire du sur place n’est par contre pas une alternative possible.
Il s’agit du raisonnement de l’infatigable économiste Ladislau Dowbor, de la PUC de São Paulo. Du haut de son enviable CV académique, diplôme à Lausanne, doctorat à Varsovie, professeur à Coimbra et professionnel, Dowbor porte en lui une vocation d’éternel militant. Ce fut l’un des 40 prisonniers politiques qui, dans les premiers jours de 1971, ont été échangés par l’ambassadeur suisse Giovanni Bucher, lors d’une opération dirigée par Carlos Lamarca.
Aujourd’hui il plaisante sur le fait que la dictature a beaucoup favorisé l’échange de ces jeunes Brésiliens qui ont voyagé à travers le monde, les bannis du Brésil qui sont restés principalement en Europe, après avoir été échangés contre des ambassadeurs séquestrés lors d’actions de guérilla urbaine.
C’est avec une âme de militant que Dowbor a participé à toutes les interminables réunions qui ont eu lieu à São Paulo depuis le début de l’année entre intellectuels, et qu’il défend une opposition qui se traduit par une unité des forces progressistes capables de pousser le gouvernement vers la gauche, de garantir les avancées conquises dans les droits civils, politiques et sociaux depuis l’adoption de la Constitution de 1988, et de rompre avec ce qu’il appelle le cycle ralenti, c’est-à-dire les limitations imposées par une élite financière au plein développement du pays.
Au centre de sa pensée se trouve le constat que la position de rentier inflige une pléthore de taux d’intérêts élevés, qui ralentissent l’évolution de la dette publique, et maintiennent un coût du crédit élevé pour les personnes physiques et juridiques. Cette réalité s’est même traduite dans la pratique, par une limitation sévère du cycle de croissance basé sur le marché intérieur, initié sous le gouvernement Lula.
A partir de maintenant, soit le pays met en place des réformes structurelles, y compris une réforme financière, soit il reculera d’une période de presque trois décennies de progrès sociaux, économiques et politiques continus. Ladislau Dowbor a été interviewé à São Paulo après une tournée de débats sur l’avenir du Brésil entre les participants au Forum Brésil 21, dont l’objectif est de définir un agenda politique commun pour les forces progressistes du pays. Ci-après, les principaux extraits de l’interview qu’il a accordée à la journaliste Maria Inês Nassif.
Une accumulation d’impasses
Le Brésil est aujourd’hui dans plusieurs impasses. Parmi elles, de dimension internationale, le pays souffre de l’impact des mouvements spéculatifs, surtout sur le marché des matières premières. Ces douze derniers mois, le minerai de fer, par exemple, qui pèse lourd dans le profil des exportations brésiliennes, a perdu 40% de sa valeur. Le soja, l’orange et d’autres matières premières ont perdu entre 20 et 30% de leur valeur. Ce sont des chiffres assez significatifs. Sur le plan interne, le pays traverse une limite structurelle. Le Brésil a conquis une conjoncture d’avancées, en particulier pendant les gouvernements de Lula et le premier gouvernement Dilma, mais le processus d’extension des politiques sociales arrive à une limite, à partir de laquelle des changements structurels sont indispensables.
Les réformes éternellement remises à plus tard ne peuvent plus attendre.
La résistance des élites et la crise politique
Dans cette tension, la résistance des élites se montre extrêmement forte. C’est pour cela que la crise actuelle est essentiellement politique. Il n’y a aucune base pour parler d’une crise ayant d’énormes proportions, ou pour dire que le Brésil s’est effondré, ou encore qu’il va s’effondrer. Cela ne fait pas le moindre sens. Il peut même y avoir des ajustements qui amènent à une rationalisation des dépenses du gouvernement, mais cela n’annule pas la réalité : le pays se trouve dans un cycle d’avancées absolument impressionnantes.
Socialement, le Brésil a changé de visage. Entre 1991 et 2010, le Brésilien moyen qui vivait jusqu’à 65 ans vit désormais jusqu’à 74 ans. En 2012, il vit déjà jusqu’à 75 ans, nous parlons donc d’un pays où les Brésiliens vivent 10 ans de plus. Le taux de mortalité infantile est passé de 30 pour mille à 15 pour mille. Cela est le résultat d’une conjonction de changements : ces personnes ont désormais une maison plus décente, ils mangent, ils bénéficient de l’extension du service basique de santé, le SUS [1], etc… Ce sont des facteurs qui se conjuguent en faveur d’un prolongement du temps de vie et d’une réduction de la mortalité infantile, et convenons-en, réduire de moitié la mortalité infantile constitue une avancée gigantesque. De plus, nous disposons d’un ensemble d’autres chiffres déjà connus : la création de 20 millions d’emplois formels et la sortie de la pauvreté de 40 millions de personnes.
Selon les données de l’Atlas des Régions Métropolitaines élaboré conjointement par le PNUD [2], l’Ipea [3] et la fondation João Pinheiro, toutes ces régions ont connu une réduction drastique de la pauvreté et une amélioration des Indicateurs de Développement Basiques (IDB). Plus récemment ont été publiés les Indicateurs du Progrès Social, l’IPS, accompagné de 54 indicateurs qui constituent le PIB, plaçant le Brésil à la 42ème place parmi 130 pays, tiré vers le bas principalement par le problème de la sécurité, qui est le point critique et est directement lié au problème de l’inégalité.
Le système financier ralentit la locomotive
J’ai écrit un document intitulé « Banques : le poids mort de l’économie brésilienne », dans lequel je décris comment les taux d’intérêt internes à l’économie stérilisent les actions de politique économique et sociale. Rubens Ricupero et Bresser Pereira, qui ont été Ministres des Finances et maîtrisent bien le sujet, ont approuvé mes commentaires. Le capitalisme financier impose des limitations sévères à l’étape qui suit ces progrès sociaux, à l’avancée du Brésil vers l’avenir. Un processus de globalisation financière mondiale est en cours et rend difficile l’adoption de politiques macroéconomiques indépendantes et de réformes financières nécessaires au pays. Lorsque l’on applique des taux d’intérêt de 100% sur les cartes de crédits, l’intermédiation financière s’approprie la moitié de la capacité productive de la population. L’immense effort que le Brésil a fait de redistribuer et d’intégrer sur le marché de dizaines de millions de personnes a été anéanti par les banques, les commerçants vendant à crédit, et les gestionnaires de cartes de crédit. Les institutions de crédit ont soustrait le pouvoir d’achat à la population et ont ainsi stérilisé la dynamisation de l’économie du côté de la demande. Les taux d’intérêt pour les personnes juridiques sont absolument démentiels, ce qui ralentit également l’économie du point de vue de l’investissement. Les entrepreneurs ont déjà tendance à peu investir lorsque l’économie est ralentie. Si en plus, acquérir des équipements et financer des entreprises coûte 40 à 50% de taux d’intérêt, alors on peut tout de suite faire une croix sur des nouveaux investissements.
Voyez le pouvoir politique dont ces groupes disposent pour pouvoir forcer le gouvernement américain, la Banque Centrale Européenne et Bruxelles à trouver des milliards de dollars en peu de mois, alors que les ressources sont si faibles pour résoudre le problème de la destruction ou de la pauvreté.
La financiarisation n’est pas abstraite. Les groupes financiers contrôlent les conseils d’administration des entreprises les plus variées et dictent les politiques des corporations.
Une réforme financière urgente
Les réformes politiques et fiscales sont sans aucun doute urgentes, mais la mise en place d’une réforme financière en profondeur est également centrale.
La composante rentière de la crise fait partie de mon analyse. Selon mon évaluation, le fait que nous ne disposions pas de mécanisme de canalisation des ressources du pays adapté constitue le facteur central de ces limitations sur l’avenir. Le Brésil dispose d’un revenu par tête de 11 000 dollars, ce qui représente le niveau de revenus d’un pays riche. Notre pays maîtrise également les technologies, et a des institutions. Il n’y a aucune raison plausible pour que l’économie ne fonctionne pas. Cependant, la généralisation de l’inclusion sociale et la réduction des déséquilibres internes se heurtent à des motifs structurels.
Le Brésil est allé de l’avant ces deux dernières décennies
Dans l’Atlas Brésil 2013 des Indicateurs de l’Indice de Développement Humain (IDH) si nous comparons les indices de 1991 à ceux de 2010, nous observons des progrès stupéfiants. En 1991, 85% des municipalités du Brésil avaient un IDH très bas, inférieur à 0,50. En 2010 à peine 32 municipalités étaient dans cette situation, soit 0,6%. Cela constitue un changement extrêmement profond et structurel. Dans une phase antérieure au gouvernement Lula, le Brésil avait commencé à se transformer, avec l’adoption de la Constitution de 1988, qui a créé les règles du jeu démocratique qui ont conduit au début des progrès.
La rupture avec l’inflation a également constitué un progrès. Finalement, dans une situation d’hyperinflation, on ne peut pas gérer le secteur public.
Tout cela a rendu viable une série de progrès significatifs pendant la décennie 1990. A partir du gouvernement Lula, cela s’est systématisé et les progrès sont devenus extrêmement puissants.
Un monde en explosion
Nous sommes dans une année cruciale d’un point de vue mondial. Nous sommes arrivés aux limites critiques de la destruction de la planète. En 40 ans, nous avons détruit 52% de la vie vertébrée de la planète. Le rapport de WWF est dramatique : nous sommes en train de rendre le sol stérile et de supprimer la couverture forestière.
Au-delà de ces difficultés environnementales, un certain nombre d’autres problèmes persiste également dans le domaine des inégalités. Le rapport d’Oxfam sur l’inégalité est désastreux. 85 familles ont un patrimoine accumulé plus important que la moitié la plus pauvre de la population, c’est-à-dire 13,5 millions de personnes. Si vous ajoutez à cela l’environnement et le social, on est tenté de conclure que le monde est en train d’exploser.
Coffee Party
Le Tea Party paralyse les Etats-Unis. Ces mêmes groupes veulent un Coffee Party au Brésil. Ils prennent comme point de départ le même fondamentalisme, le même discours radical conservateur sans propositions. Que veulent-ils au juste ? Augmenter les inégalités ?
Le capitalisme financier impose de sévères limites à la prochaine étape sur le chemin des avancées sociales, à l’avancée du Brésil vers l’avenir.
Le chemin est de regarder au-dedans
Si nous comprenons les transformations qui sont en cours d’un point de vue interne et externe nous sommes dans une crise planétaire, et dans une extrême volatilité, y compris en ce qui concerne les prix des matières premières, et le chemin à suivre devient très clair. Le Brésil est un très grand pays, de plus de 200 millions d’habitants, et il a simplement 100 millions de personnes qui ont besoin d’améliorer leurs conditions de vie. Nous avons donc de quoi croître d’un point de vue interne. Et lorsque le domaine externe est extrêmement incertain, il n’y a rien de mieux que de renforcer la base interne de développement. Cela implique de maintenir et approfondir les politiques d’inclusion et de redistribution, mais en garantissant que cela se fasse en même temps que les transformations significatives du système financier.
Un futur en suspens
Le chemin vers l’avant est d’approfondir la lutte contre les inégalités, au moyen de l’inclusion productive, de l’extension des programmes sociaux et des procédés de ce genre. En ce moment notre opposition ne doit pas se faire contre la présidente Dilma (Rousseff), mais pour qu’elle avance beaucoup plus, et qu’elle reprenne les processus qui avaient été annoncés.
Une crise pour freiner le cycle
L’imbrication de la situation internationale et de la situation économique interne et ses bases politiques respectives ralentit les réformes structurelles qui sont indispensables à la continuité du processus.
C’est un cycle ralenti, mais je ne crois pas que la droite ait quoi que ce soit de cohérent à proposer. Elle n’arrive à proposer rien de cohérent ni aux États-Unis, ni en France, ni en Grande-Bretagne, ni nulle part. Partout est en train de surgir un Podemos ou un Syriza (parti grec de gauche).
Les États-Unis sont paralysés en termes de capacité de gouvernement.
Le capital financier a contaminé la production
Le capital financier est devenu hégémonique d’une façon que nous ignorions jusqu’à 2011. Cette année-là a été publié le premier rapport mondial sur le système corporatif international, produit par l’Institut Fédéral Suisse de Recherche Technologique (ETH), qui correspond au MIT de l’Europe et a 31 prix Nobel de Technologie, a commencer par Albert Einstein. Une source absolument inattaquable.
D’après l’étude, 737 groupes sur la planète contrôlent 80% de la valeur des entreprises transnationales. Parmi eux 147 groupes, entre lesquels 45 sont des banques, contrôlent 40% du système mondial. Ainsi, la financiarisation n’est pas abstraite, un mécanisme dilué ou mystérieux. Ces groupes financiers contrôlent les conseils d’administration des entreprises les plus variées et dictent les politiques des corporations. Comme il s’agit de groupes financiers qui ont des participations actionnariales puissantes dans des entreprises productives, ils disent à ces entreprises ce qu’elles doivent faire : nous voulons telle rentabilité, sinon nous retirons notre capital et conduisons l’entreprise à la faillite. Si l’entreprise décide d’adopter une politique environnementale plus durable, ou quoi que ce soit d’autre qui puisse affecter la rentabilité de l’entreprise, on peut oublier.
Des centaines d’exemples de fraudes de corporations internationales les plus variées, comme celles commises par des entreprises pharmaceutiques, d’agro-toxiques ou les banques elles-mêmes, ont pour objectif central de générer des bénéfices. Cette structure mondiale du pouvoir a été suffisamment forte pour que pendant la crise de 2008, les gouvernements soient poussés à dépenser des milliards et des milliards de dollars pour secourir les banques, qui étaient allées trop loin dans les processus de spéculation et étaient en déséquilibres. Un secours pour les groupes financiers qui a provoqué la crise.
La contamination de la justice
Le pouvoir des entreprises est imprimé dans le vote du Tribunal Suprême Fédéral pour l’action d’inconstitutionnalité du financement de campagne par les entreprises. Les entreprises ne votent pas et ne doivent pas non plus avoir d’intérêts politiques propres. Il est légitime que la Fédération des industries de l’État de São Paulo (Fiesp) soit un instrument de participation politique des entreprises. Mais qu’une entreprise achète un mandat pour un député ou un sénateur, en le finançant, cela n’est certainement pas juste. Six juges du Tribunal Suprême Fédéral, et donc la majorité, ont déjà voté l’inconstitutionnalité du financement de campagne par les entreprises. Un seul, Gilmar Mendes, lié à des intérêts évidents, demande des vues avant les élections. Cette seule personne a radicalement transformé le profil du congrès qui a été élu par la suite, car si le financement par les entreprises avait été interdit avant les élections, les candidats n’auraient pas pu maintenir de lien avec les groupes d’entreprises. Cela donne également la mesure du degré d’emprisonnement du politique par le judiciaire, par les entreprises et les médias, et place comme objectif principal des forces progressistes de libération du processus démocratique de l’orbite du pouvoir économique.
Crédit à Fernando Henrique, mais à terme
On crédite au gouvernement Fernando Henrique Cardoso la rupture avec le processus inflationniste, ce qui est correct. Mais, d’après The Economist, en 1992, 44 pays dans le monde étaient en hyperinflation et ils ont tous réglé ce problème pour la simple raison que la possibilité de participer au système financier qui s’internationalisait ne s’ouvrirait pas à eux s’ils ne réglaient pas leurs processus inflationnistes. La globalisation financière, la formation du système spéculatif et ce que nous appelons la financiarisation était incompatible avec des économies dont les monnaies étaient inconvertibles, qui changeaient de valeur pendant la journée.
L’articulation entre le mécanisme de rente et les média
Le plus grand journal économique du pays, par exemple, en février dernier a publié un papier dans lequel se trouve un tableau des prévisions d’inflation, avec comme titre : ce que les économistes attendent. Et sont listées 21 prévisions sur les indices utilisés pour calculer l’inflation, par des économistes des institutions. Parmi eux, aucun Amir Khair, Luiz Gonzaga Belluzzo, Tânia Bacelar, Rubens Ricupero, Bresser Pereira ou Marcio Pochmann, pas même quelqu’un du IBGE [4] ou du DIEESE [5]. Tous étaient issus de banques ou consultants liés au marché financier, et sortant gagnants de l’inflation. Ces économistes créent des prévisions inflationnistes qui se produisent automatiquement, en effet les agents économiques qui suivent ces prévisions augmentent leurs prix de façon préventive.
Il existe un travail de chantage et de contamination par l’incitation au risque inflationniste, et tous savent que l’inflation est un coup mortel en termes politiques. Ce type de chantage prend le gouvernement à la gorge. L’inflation est devenue une arme idéologique.
Une crise civilisatrice
Il n’y a plus de pauvres comme avant. Les gens savent aujourd’hui qu’ils peuvent avoir une santé décente pour leurs enfants, un accès à une éducation décente et à d’autres droits. En ce sens nous vivons une crise civilisatrice. Ce n’est pas simplement une crise globale que le monde affronte. Le volume des ressources accaparées par les intermédiaires financiers serait suffisant pour affronter la reconversion technologique que l’environnement exige, comme les investissements dans l’inclusion productive que la dynamique sociale détermine.
Cela reviendrait à donner une autre articulation au système financier, car il n’est pas seulement monnaie, mais il constitue aussi le droit d’allouer les ressources là où elles sont nécessaires. La fonction de la monnaie n’est pas la spéculation financière. Cela constitue la reconversion qui se profile devant nous, qui unit l’opposition génératrice de propositions que nous souhaitons créer au Brésil. 20 milliards de dollars US sortiront d’ici vers les paradis fiscaux, soit 25% du PIB, argent qui suffirait à financer Dieu et le monde.
La rente, un obstacle
La rente est un concept lié au marché international, qui a créé une espèce d’élite qui vit des taux d’intérêt, non de la production. Et cela est très profond dans le pays. Santander, par exemple, qui est un grand groupe mondial, fait près de 30% de ses bénéfices au Brésil. Ainsi le marché financier impose un drainage ainsi que des structures politiques de pouvoir qui rendent très difficile à tout gouvernement la mise en place des transformations nécessaires pour rompre avec cette logique. De 2013 à 2014, Dilma a tenté de réduire le taux Selic [6] et les intérêts pour l’accès au crédit des personnes physiques et juridiques, et la réaction s’est matérialisée par des pressions politiques très fortes. Il est curieux de constater comment les réactions se manifestent. Lorsque l’on réduit le niveau des taux d’intérêts dans les télévisions, les radios, les journaux, on consulte immédiatement ceux que nous appelons économistes qui disent, c’est inévitable, l’inflation va augmenter. En règle générale, ces économistes viennent tous d’entreprises financières.
La crise internationale n’est pas un obstacle, mais une opportunité
C’est ce contexte international qui rend fondamentale l’adoption de mesures inclusives, et l’expansion de l’horizon économique interne. Il est vital de nous baser sur des objectifs internes à notre économie. Dans les conditions actuelles, soutenir le pays dans le système international est un suicide. Dans cette perspective, surdimensionner le problème fiscal peut être une erreur, en effet il y a des failles beaucoup plus grandes dans le système financier. Le pays doit sauver ce qui s’échappe à travers des systèmes spéculatifs et des paradis fiscaux et financer l’inclusion productive de la majorité de la population.
Le Brésil n’est pas brisé mais attaqué
Luiz Gonzaga Belluzzo dit que les forces conservatrices sont en train de créer politiquement une crise et je suis d’accord. Le Brésil n’est pas brisé. L’origine de cette crise ne vient pas d’une crise économique qui provoque une récession. C’est une crise politique créée par une élite qui souhaite briser le système et qui est en grande partie en train de réussir.
La rigueur financière est une action qui engage de grands intérêts, en particulier les intérêts internationaux dans le Pré-Sal et l’intérêt des grandes banques internationales qui veulent maintenir le Selic élevé, car c’est une grande affaire de l’appliquer ici et de gagner 12% d’intérêts, quand les Banques Centrales de l’Europe et des États-Unis travaillent avec des taux d’intérêts de 0,5%, 1% tout au plus.
La tentative de Dilma de réduire le taux Selic à 7% et d’ouvrir les banques officielles pour forcer à la concurrence a été, pour ces intérêts, un cri de guerre. A tel point qu’elle a dû rétrocéder. Mais nous ne pouvons pas continuer de travailler pour remplir les poches des spéculateurs financiers d’argent. Je crois que ce n’est pas seulement l’objectif de la classe travailleuse, mais aussi des entrepreneurs effectivement productifs. Il est impossible de développer le pays quand tout le monde se voit forcé de payer une espèce de royalties sur l’argent, argent qui d’ailleurs n’appartient même pas aux banques elles-mêmes, mais qui vient de nos dépôts, ou alors un argent fictif créé au moyen de leviers.
Soit nous avançons soit nous reculons, nous ne pouvons plus stagner.
Le Brésil vit une impasse, et à partir de cette impasse soit le pays avance et consolide les acquis des dernières décennies, soit il recule et perd ce qu’il a acquis. C’est pour cela que je trouve important de d’unifier le débat. Je suis convaincu que beaucoup de gens veulent avancer. Beaucoup de familles, pour la première fois, ont des enfants à l’université, beaucoup de ces familles réussissent seulement maintenant à nourrir leurs enfants, et elles sont toutes mobilisables. Les changements ne sont pas finis parce que 200 000 sont descendus sur l’Avenue Paulista. Ce pays a une base.
Je crois que le fait qu’une partie de ces manifestants du retard demandent le retour de la dictature montre l’absence de vision de propositions de la droite. Que veulent-ils ? Saigner davantage les pauvres, augmenter davantage l’inégalité, privatiser davantage ?
La contamination de la politique par le pouvoir économique
Aujourd’hui le pays a un Congrès avec un banc ruraliste, un banc pour les banques, un banc pour les grandes entreprises de construction, un banc pour les grands constructeurs automobiles et vous pouvez compter sur les doigts de la main qui est sur le banc des citoyens. La loi adoptée en 1997 qui autorise les entreprises à financer les campagnes a été un coup terrible pour le processus démocratique. Nous ne pouvons pas qualifier ce que nous vivons au Brésil de démocratie uniquement parce que les gens votent. Le vote est rigoureusement déterminé par une gigantesque machine de financement qui se traduit par le type de congrès que nous avons. Cela pose la question de la réforme politique et plus particulièrement, du financement des campagnes, en premier lieu.
Rien pour la planète, tout pour les banques
A Rio+20 une grande réunion internationale a signé comme l’un des objectifs de lever 30 milliards de dollars US pour sauver la planète. Elle n’a pas réussi. En 2008, en quelques mois, les gouvernements ont levé des milliers de milliards de dollars pour sauver le système financier, ils se sont endettés et ont fini par payer des intérêts au système financier qui a lui-même été secouru avec cet argent. En réduisant les droits sociaux, ce mouvement des gouvernements a pratiquement détruit ce qui restait de l’héritage de la démocratie sociale dans ces pays, le fameux Welfare State.
Notes de la traduction :