« La vie de nos mères est en jeu » : Lettre des enfants d’employées domestiques sans quarantaine
« Nous avons répondu à une employée domestique qui traverse des difficultés avec sa patronne depuis quelques temps. Cette année, elle s’est rendue sur le littoral pour s’occuper du fils de celle-ci, mais n’a pas été payée pour les heures de travail supplémentaires effectuées pendant le voyage. Celui-ci a duré 32 jours. La patronne l’a fait signer sa feuille d’horaires avec des heures qu’elle avait elle-même remplie », raconte Silvia Maria Silva dos Santos, présidente du Syndicat des employées domestiques de la ville de São Paulo. « Pendant l’épidémie, elle exige que l’employée demeure sur son lieu de travail, au motif qu’elle n’a pas d’enfants.
Depuis ce voyage, celle-ci n’a eu que deux jours à son domicile et se trouve depuis quinze jours chez son employeuse. » Le récit met en évidence l’escalade d’abus, qui commence bien avant l’épidémie et remonte, de fait, au Brésil colonial.
Malgré les demandes pour que les employées domestiques au Brésil soient mises en congé tout en recevant leurs honoraires, c’est le contraire qui est en train de se produire. Et même plus. Dans la capitale paulista, São Paulo, une employeuse ayant contractée le virus a refusé de payer le test pour son employée, qui a été contaminée sur son lieu de travail et n’a pas pu être testée dans une unité de santé du Système Unique de Santé.
L’employeuse avait quant à elle effectué cet examen à l’Hôpital Sírio Libanês, une référence nationale du secteur privé. La conseillère juridique du syndicat, Zenilda Ruiz, a dû appeler l’employeuse qui a fini par céder et payer l’examen. Diabétique et souffrant de pression élevée, l’employée domestique fait partie d’un groupe à risque pour le Covid-19.
Lire aussi : La révolution des employées domestiques : de l’Institut Geledes, février 2002. Rompre le cycle familial du travail domestique : AzMina, février 2019.
Ruiz raconte que, tout comme les aides-soignantes de personnes âgées, les employées domestiques et travailleuses journalières sont les plus vulnérables dans la crise actuelle. Elles représentent 44% de cette catégorie, selon une étude de l’Institut de recherche économique appliquée (IPEA) effectuée d’après des données de l’Institut brésilien de géographie et statistique (IGBE). Rendue publique en décembre dernier, cette étude montre également que ce secteur compte 65% de noires.
“ On ne peut pas parler des employées domestiques et de la banalisation de la violation de leurs droits sans comprendre que la majorité d’entre elles sont des femmes noires ayant un faible niveau de scolarisation. Dans ce processus, on retrouve un vestige indéniable de l’esclavage et de l’absence de droits de celui qui travaillait dans la demeure de ses patrons », affirme Márcia Soares, directrice-exécutive de Themis, organisation juridique qui accueille des femmes.
Le facteur Bolsonaro
Les difficultés se sont accrues après le discours du président de la République et ses critiques envers l’isolement social, le 24 mars. Cette semaine [1], sur une chaîne nationale, Jair Bolsonaro a changé de ton après avoir minimisé le Covid-19 à plusieurs reprises. Mais le mal était déjà fait, brisant les laborieux efforts fournis pour convaincre les employeuses de donner congé aux employées.
« Jusque-là, nous arrivions à conscientiser les employeuses. Alors qu’après le discours, les patronnes ont commencé à menacer leurs employées », rapporte Cleide Pinto, présidente du Syndicat des employées domestiques de Nova Iguaçu, dans la région métropolitaine de Rio de Janeiro. Elle affirme que certains employeurs vont jusqu’à proposer des véhicules pour aller chercher les employées chez elles.
« Nous savons que la situation est difficile. Mais l’argent destiné à payer l’employée domestique fait déjà parti du budget de la famille. Il ne s’agit pas d’une dépense supplémentaire », rappelle la présidente de la Fédération des employées domestiques (Fenatrad), Luiza Batista.
Selon l’IPEA, en 2018, 71,4% des travailleurs et travailleuses de la catégorie n’étaient pas déclaré·es. La catégorie est composée par pas moins de 5,7 millions de femmes (soit 93,5 % du total). Luiza Batista, présidente du Syndicat des employées domestiques du Pernambouc, raconte que dans cet Etat, parmi la majorité que représentent les travailleuses non-déclarées, seule une minorité s’est vu mettre en congé et continue de toucher un salaire.
A São Paulo, une employeuse qui avait donné l’ordre à une travailleuse de revenir à son poste juste après le discours de Jair Bolsonaro, l’a menacée de renvoi. Selon cette travailleuse, son employeuse lui a dit : « Tu dois faire le ménage et la cuisine pour ma mère, parce que si tu ne le fais pas, c’est un Abandono de incapaz [2]. Si je te paie, c’est pour que tu travailles”. Malgré les demandes du syndicat pour obtenir un minimum d’aménagement des horaires de l’employée pour que celle-ci puisse éviter les heures de pointe des transports publics, l’employeuse n’a toujours pas donné son accord.
Beaucoup de celles qui ont réussi à garantir leur salaire de mars se sont entendu dire par les employeuses qu’elles ne savaient pas si elles pourraient payer le mois d’avril, selon Silvia dos Santos. "Pour les travailleuses plus ou moins bien déclarées, il existe au moins un soutien. Notre plus grande préoccupation concerne les travailleuses autonomes”, déclare Santos.
Maria, carioca, 38 ans, employée domestique journalière, travaille quatre fois par semaine dans différents domiciles. A cause de l’isolement social, toutes ses activités sont suspendues depuis 15 jours. Une seule de ses employeuses continue de lui verser le montant de ses honoraires pour l’aider à payer ses factures. Mais selon Maria, c’est insuffisant.
“Je n’ai pas arrêté de travailler parce que je ne voulais pas ou que je n’en avais pas besoin, mais parce que mes patronnes ne veulent pas que je vienne. Je suis chez moi et la situation est très compliquée parce qu’en tant qu’employée journalière, si je ne travaille pas, je ne gagne rien", affirme-t-elle.
Dans une note technique, le ministère public du Travail a recommandé aux entreprises, aux organes publics et aux personnes physiques de dispenser les employé·es domestiques en leur garantissant une rémunération, avec pour seule exception les cas dans lesquels « la prestation de leurs services est absolument indispensable, comme pour les soins aux personnes âgées et à celles qui vivent seules ».
Les procureurs demandent également de flexibiliser les journées de travail et de fournir des équipements de protection individuelle (gants, masque, lunettes de protection et alcool à 70%), en cas de potentielle contamination d’une personne sur le lieu de travail. La première victime du coronavirus dans l’État de Rio de Janeiro a été une employée contaminée par ses employeurs, qui ne l’avaient pas prévenue qu’ils avaient le virus.
Selon le journal O Globo, le gouvernement devrait inclure les employé·es domestiques dans la Mesure provisoire qui permet aux entreprises de suspendre les contrats de travail pour deux mois, avec une réduction des salaires allant jusqu’à 50%. Le texte prévoit qu’ils bénéficient de l’assurance chômage pendant cette période.