La Dictature s’appuyait sur une machine à occulter les cadavres

 | Par Marsílea Gombata

Source : Carta Capital

Traduction pour Autres Brésils : Monica Sessin (Relecture : Jean Saint-Dizier)

Pour tenter de cacher la torture et les barbaries commises par l’État, la dictature brésilienne s’appuyait sur une logistique ingénieuse pour enterrer les corps des opposants morts dans ses sous-sols. Selon Iara Xavier Pereira, ex-militante de l’ALN [Ação Libertadora Nacional - Action de Libération Nationale] qui a fait une déposition lundi 24 février devant la Commission de la Verité de l’Etat de São Paulo “Rubens Paiva” et la Commission Nationale de la Vérité, les agents entretenaient une véritable "machine à occulter les cadavres".

A l’audience, l’ex-militante de l’ALN se souvient comment frères et camarades de lutte armée ont été enterrés sous d’autres noms.
“C’était quelque chose qui se faisait avec la connivence de l’IML [1], avec celle des greffes et des médecins légistes, ils falsifiaient les déclarations de décès qui parvenaient devant la Justice. Une mécanique parfaite avec un mode opératoire de dissimulation et mise en place pour couvrir ses crimes”, a-t-elle affirmé.

Carioca et fille de communistes, Iara a perdu ces frères, Iuri et Alex Xavier, son compagnon Arnaldo Cardoso et les amis Marcos Nonato da Fonseca, Ana Maria Nacinovic, Gelson Reicher, Francisco Seiko Okama, Francisco Emmanuel Penteado. Les décès sont survenus lors de trois opérations répressives à São Paulo, dans un intervalle de 14 mois, entre janvier 1972 et mars 1973.

Selon Iara, Alex et Gelson ont été enterrés sous les noms de João Maria de Freitas et Emiliano Sessa (leurs noms de militants). Un certificat militaire retrouvé parmi des documents du Superior Tribunal Militar [Tribunal Militaire Supérieur] démontre qu’au moment de sa mort, Gelson avait sa carte d’identité sur lui, ainsi que sa carte d’identification du centre universitaire, une attestation de revenus et une série de documents au nom d’Emiliano Ernesto, falsifiés pour la vie dans la clandestinité. “Alors, la version des militaires tombe à l’eau, version selon laquelle ils l’avaient enterré sous un autre nom parce qu’ils ne savaient pas qui il était”, explique-t-elle. “C’est la preuve que pour une raison quelconque, ils l’ont dissimulé. Ce n’était pas un acte gratuit.”

Elle se souvient aussi que le médecin qui a signé l’acte de décès, Isaac Abramovitch, était un voisin de la famille de Gelson et son professeur à la Faculté de Médecine de l’USP [2]. Le médecin n’a pourtant pas averti la famille du militant de l’ALN, ce qui a contribué au fait qu’il ait été enterré en tant qu’indigent au Cimetière Dom Bosco, à Perus (SP).

La déposition de Antonio Eustáquio, administrateur du Cimetière de Perus entre 1976 et 1992, corrobore cette thèse. Eustáquio raconte avoir trouvé dans les archives du cimetière des certificats de décès qui identifiaient les militants de gauche, adversaires du régime, d’un T rouge tamponné sur le document. “Au début, je ne savais pas qu’ils étaient ‘terroristes’. Ce n’est que plus tard que j’ai su le sens de cette lettre T rouge, à cause du nombre anormal de visites, des familles venues en voiture avec des plaques d’autres villes, telle que Rio de Janeiro.”

Malgré le fait qu’il n’y ait pas de séparation entre les emplacements où étaient enterrés militants et indigents, Eustáquio se souvient : contrairement aux fourgons qui amenaient les indigents par cinq, voire plus, les militants de gauche arrivaient un par un – et étaient accompagnés d’une forte escorte militaire. “Ils restaient à la grille du cimetière à l’entrée et interdisaient l’entrée et la sortie de toute personne jusqu’à ce que le corps soit enseveli” raconte-t-il. “Cela se faisait de jour. Dans certains cas, c’était la police elle-même qui ensevelissait le corps.”

En ce qui concerne la fosse commune de Perus, Eustáquio raconte l’avoir découverte des années plus tard, quand des fonctionnaires du cimetière lui ont en ont parlé. La découverte tardive ne l’a pourtant pas empêché de subir des menaces pour occulter les informations sur le sujet. “Après l’Amnistie, quand les parents ont commencé à venir chercher des informations au cimetière, j’ai été convoqué à une réunion à l’Hôtel Jaraguá, au centre ville, à laquelle devait prendre part le maire Mário Covas. A cette occasion, ils m’ont dit de ne pas trop m’étaler ou donner d’informations sur cette fosse commune ou même sur les personnes qui pourraient être recherchées en tant qu’indigents », se rappelle-t-il. “Les instructions étaient de ne pas donner d’interview, de ne pas parler des registre de décès et de ne jamais leur montrer les livres où ils figuraient.”

Expertises
Lors de l’audience du lundi 24 février, les experts de la Comission Nationale de la Vérité ont également présenté de nouveaux résultats qui semblent contredire les autopsies réalisées à l’époque du régime militaire. Dans le cas de Iuri Xavier, par exemple, les experts ont trouvé le double de blessures que celles attestées par le document précédent. “Ce sont des informations qui, quand elle ne sont pas publiées, nous font imaginer qu’il y avait quelque chose à cacher”, observe l’expert Mauro Yared.

De plus, ils ont aussi trouvé des marques et des perforations au visage, dans la région du cœur, ainsi que deux blessures par balles dans la région lombaire. Quantité de “lésions paralysantes” qui indiquent l’impossibilité pour le militant de réagir, a expliqué l’expert.

Dans le cas d’Alex, il a été conclu que les blessures n’étaient pas dues aux balles qu’il avait reçues, comme l’indiquait l’expert de l’époque. On a également trouvé des incongruités par rapport aux certificats de décès de Ana Maria, Marcos et Gelson, qui présentaient des écorchures sur le tronc et le visage, en plus des marques de perforation par projectile dans la tête. “Il est très improbable que cela soit la conséquence d’un accident de la circulation ou le résultat d’une fusillade”, a conclu Yared.

[1] IML : Institut Médico-Légal
[2] USP : Université de São Paulo

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