La ʺquestion Felicianoʺ et les manifestations de rue, apparences et culture politique

 | Par Sérgio Botton Barcellos

Source : Adital

Traduction pour Autres Brésils : Roger Guillox
Relecture : Piera Simon-Chaix

Depuis quelques temps, le choix et la présence du député fédéral, Marco Feliciano du Partido Social Cristão (PSC) [1] – São Paulo – à la Présidence de la Comição de Direitos Humanos e Minorias (CDHM) de la Chambre des Députés font la une des médias et sont motif de manifestations de rue. La CDHM [2] de la Chambre des Députés est l’une des 21 commissions permanentes, c’est une structure composée de 18 députés et un nombre égal de suppléants.

Les attributions constitutionnelles et régimentaires de cette Commission sont de recevoir, évaluer les plaintes et enquêter sur les possibles violations des droits humains, de discuter et voter des projets de loi relevant de son champ d’intervention, de contrôler et accompagner l’exécution de programmes gouvernementaux, de collaborer avec des entités non-gouvernementales ainsi que de s’occuper des différents sujets ayant trait à la diversité des groupes ethniques et sociaux, tout particulièrement des indiens, des communautés indigènes ainsi que de la préservation et la protection des cultures populaires et ethniques du pays.

La procédure ayant conduit au choix contesté du nouveau président de la CDHM, par le PSC, a commencé à la fin de février, suite à la création du Parti Social-Démocrate (PSD), quand les partis ont été informés de la création d’une seule commission et non pas de deux afin d’offrir un espace aux groupes politiques.

Les partis ont dû rediscuter leurs choix et priorités en ce qui concerne les Commissions. Et, dans les couloirs de la Chambre des députés, les commentaires entre assesseurs et députés ainsi qu’entre ceux qui accompagnent le quotidien du pouvoir législatif, ont montré que la CDHM ne figurait pas parmi les priorités du PT, du PMDB ni des autres partis qui auraient pu opter pour cette commission, le PCdoB, par exemple.

L’attitude du PT qui opta pour mettre la CDHM en quatrième position dans le choix des commissions, est une illustration de ce peu d’intérêt. Les autres Commissions considérées comme prioritaires étaient celles de Constitution et Justice (CCJ), des Relations Extérieures et de la Défense Nationale (CREDN) et de la Santé qui devait être créée à partir du démembrement de la Commission de la Sécurité Sociale et Famille (CSSF). Mais cette dernière ne fut finalement pas créée et le groupe parlementaire du PT ne se réunit pas pour rediscuter de ce sujet ni de la possibilité d’une nouvelle répartition de la présence du parti dans les commissions.

Finalement, les députés ne sont arrivés à un accord sur l’ordre des choix et priorités que le 27 février. Ce jour-là, il a été défini que le PSC serait placé en 20ème position (je dis bien, 20ème) pour le choix des 21 Commissions permanentes. En d’autres termes, quand allait venir le tour du PSC, il ne resterait plus à celui-ci que le choix entre deux Commissions dans lesquelles il pouvait assumer la présidence. Le PCdoB aurait pu prendre la CDHM mais il préféra la Commission de la Culture qui venait d’être créée suite au démembrement de la Commission Education et Culture (CEC).

Le député Feliciano fut choisi par son parti le 05 mars, et ce malgré les mobilisations à l’intérieur et à l’extérieur de la Chambre des Députés pour éviter qu’il ne prenne la présidence de la CDHM en raison de ses déclarations homophobes et racistes ainsi que des deux procédures judiciaires en cours au Tribunal Fédéral Suprême (STF) [3] pour homophobie et escroquerie.

Le président de la Chambre des Députés, Henrique Eduardo Alves, du PMDB, programma une réunion pour le 07 mars, réunion dont l’accès était réservé aux députés et aux personnes autorisées (presse, assesseurs et invités). C’est pour cette raison que les députés du PT, du PCdoB et du PSOL abandonnèrent la session et des partis comme le PMDB, le PSDB et le PP laissèrent leur place à des membres du PSC et c’est ainsi que Feliciano fut élu avec 11 voix contre une.

Le déroulement des faits, les arrangements du pouvoir et les choix de la Chambre des Députés

La semaine suivante, après une série de manifestations aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Chambre ainsi que dans la société civile, une réunion eut lieu avec le représentant du PSC, André Moura. De son côté, le président de la Chambre demanda publiquement à Feliciano de renoncer à la présidence de la CDHM. Cependant celui-ci fit savoir qu’il se maintiendrait à ce poste.

Pendant ce temps, nombre de manifestations réunissant des sympathisants du mouvement LGBT et d’autres mouvements à orientation éthique et religieuse se produisirent dans l’ensemble du pays et quelques députés du PT, du PSB et du PSOL engagèrent un recours auprès du Tribunal Suprême Fédéral, contestant le choix actuel du président de la CDHM. Le ministre du STJ [4], Luiz Fux, fit savoir qu’il n’allait pas prendre position dans cette situation qui relevait du pouvoir législatif. Un Front Parlementaire de Droits Humains avec une direction collégiale fut également créé. C’est la première fois que la constitution d’un front parlementaire pour la défense des droits humains s’est avérée nécessaire au cours des 18 années d’existence de la CDHM.

Le 20 mars, le président de la Chambre des députés eut de nouveau une courte réunion dans son cabinet avec le représentant du PSC, André Moura (Sergipe) et le vice-président du parti, le pasteur Everaldo Pereira, pour parler de la situation de Feliciano. A l’issue de la réunion, le député Henrique Alves indiqua qu’il avait insisté pour que ce parti trouve un remplaçant à Feliciano. Selon Henrique Alves, les dirigeants du PSC s’engagèrent à trouver une solution à la crise.

Ce jour-là, la deuxième session de la CDHM présidée par Feliciano et qui devait discuter des droits des personnes ayant des troubles mentaux, pris fin précipitamment en raison des manifestations organisées par divers mouvements sociaux à l’intérieur du parlement.

Une semaine plus tard, la réunion du mercredi (27/03) commença également avec des manifestations de groupes - opposés et favorables au maintien de Feliciano à la présidence du CDHM. Bien avant la session, des centaines de manifestants occupaient déjà l’assemblée et les couloirs des commissions. Ils se trouvèrent face aux gardes de sécurité et divers rapports font état d’agressions physiques et verbales contre les manifestants ainsi que de la prison de l’un d’entre eux.

Les droits humains, les rhétoriques et la culture politique

Plusieurs députés et assesseurs de la Chambre des députés déclarèrent que le PT et le PMDB - qui avaient donné la priorité aux autres commissions considérées comme plus importantes dans l’optique d’accords visant à une meilleure gouvernabilité - seraient en grande partie responsables d’avoir laissé la CDHM au PSC et par voie de conséquence, d’avoir conduit Feliciano à la présidence de cette Commission.

N’accuser que le PT et le PMDB, dans ce cas, serait évidemment une erreur. Questionner leurs positions et en débattre, tout comme celles d’autres partis, est nécessaire. Réduire l’ascension de Feliciano à la présidence de cette commission à une question de choix de partis ne fait pas avancer les choses.

Les manifestations contre la prise de fonction de Feliciano à la CDHM sont légitimes et nécessaires même si elles n’abordent pas, sous l’angle politique, les questions de fond telles que le débat sur le système politique brésilien actuel, les arrangements entre les différentes lobbys parlementaires [5] et pas seulement entre les partis, lesquels ont permis à Feliciano d’accéder à la présidence du CDHM. Par exemple, il est étrange de centrer l’attention sur la ʺquestion Felicianoʺ et ne pas réagir à la présidence de la Commission de l’environnement qui est dirigée par l’un des plus grands producteurs de soja du monde, de ne pas questionner, non plus, la composition certaines autres Commissions.

Après que l’opinion publique eut questionné et exprimé une position considérée comme négative sur la prise de fonction de Feliciano, prendre position contre cette prise de fonction - comme l’ont fait le Secrétariat des Droits Humains et certains membres du PT, du PMDB et d’autres partis – donne l’impression de ʺse blanchirʺ face à l’opinion publique et de se dispenser de questionner une activité politique au quotidien qui conduit des dirigeants de partis politiques à faire des choix tels que celui de ne pas accorder une priorité à la direction de la CDHM.

Ayant choisi d’écarter le débat sur les inégalités du système social et économique, (re-)productrices de préjugés de genre, de préjugés sociaux, régionaux, raciaux et ethniques, nous percevons que nous tendons à créer une revendication superficielle en faveur de droits exclusifs. Revendication accompagnée d’une indignation sans beaucoup de profondeur de la part de la société, tant au plan théorique qu’au plan de la réalité concrète, incapable de stopper des idéologies qui émanent de formes de domination du capitalisme actuel, même si celles-ci se couvrent d’un vernis de respect et d’acceptation de la diversité.

Un processus permettant de repenser une certaine culture politique engendrant un ensemble d’actions et de relations telles que celles qui ont conduit Marcus Feliciano à la présidence de la CDHM, ne se produit pas uniquement au sein du Congrès national. Ces actions passent également par les entités sociales et politiques telles que l’école, les partis, l’église, les mass médias, les mouvements sociaux, la famille, etc. En ce sens et vu ce que nous avons obtenus ou que nous pouvons concevoir en tant que société et démocratie représentative, l’élection de représentants élus par le vote obligatoire, implique également la relation de chaque personne à la politique dans son ensemble, à partir de mécanismes de coercition et de consensus en vue de la remise en cause ou du maintien de la domination de groupes restreints sur la société et ses institutions. L’élection et le choix du maintien de Feliciano à la présidence de la CDHM me semble en être un exemple.

Le pouvoir social et économique qui régit les relations politiques au Congrès National et même au sein des gouvernements, n’est pas seulement garanti par les appareils de répression de l’Etat. Il l’est également par la formation d’une ʺhégémonieʺ culturelle à partir du contrôle du système d’éducation, des institutions religieuses, des moyens de communication qui ont un impact sur la formation et le conditionnement d’un ensemble de présupposés, d’attitudes, de normes, de croyances, de valeurs et d’attitudes politiques inhérentes à une société, de manière quasi spontanée, formant un bloc de pouvoir dans la société.

De manière spécifique, une ambivalence apparaît dans notre culture politique brésilienne qui, en même temps qu’elle remet en cause certaines postures et attitudes, les rétro-alimente dans le quotidien, par les actions gouvernementales pragmatiques, prudentes et opportunistes. Cependant, l’ensemble des facteurs qui ont conduit Feliciano à la présidence de la CDHM sont d’un grand poids et s’entrelacent dans cette perspective démocratique, faisant en sorte que des directives conservatrices, autoritaires et de type exclusif se reconfigurent et se présentent sous un jour plus démocratique.

En d’autres termes, cet évènement offre une opportunité parmi d’autres, de réfléchir un peu sur la réalité que nous construisons et dans laquelle nous vivons. Critiquer publiquement le Congrès, Feliciano, le ʺmensaleirosʺ [6], par exemple, sans procéder à une autocritique de l’action quotidienne qui a permis qu’une telle chose se produise, se situe au-delà d’une rhétorique contradictoire. C’est une question de répétition et de banalisation du quotidien, ce qui, sous le règne du cynisme comme l’indique Safatle [7] (2008), implique une inertie dans la modification de l’agir car le sujet automatise et se désolidarise de sa propre action. Ce cynisme porterait en lui la faillite d’une certaine forme de critique sociale. Car finalement, dans un tel régime de ʺrationalité cyniqueʺ, il n’est plus possible de penser la critique de situations concrètes, traitant l’expression et le langage comme pure forme dont le contenu peut être substitué (traduit) ou valorisé par une rationalité qui est devenue procédurale.

A partir de cette brève provocation, nous avons essayé de déclencher une possibilité supplémentaire de débat sur ce thème qui occupe chaque semaine la une des médias et est motif de manifestations dans tout le pays. Des questions telles que ʺQuel Etat et quelle démocratie voulons-nous ? Etat et démocratie pour quoi faire et pour qui ?" sont écartés par bon nombre de secteurs et de groupes politiques aussi bien de l’opposition que de certains partis qui composent la base gouvernementale actuelle. Et en plus, proposer un débat sur un Etat et une démocratie qui donne la parole à l’ensemble des groupes sociaux et ne fabrique pas des élites et des corporatismes électoraux, tendrait à déstabiliser des zones de confort, déconcentrer le pouvoir et les ressources destinés aux groupes politiques. Ce débat sur l’Etat, la démocratie et la culture politique au Brésil mené avec la société sera peut-être reporté pour longtemps encore, même s’il ne manque pas d’évidences de la nécessité de le réaliser. Concomitamment, l’effort visant à rediscuter le système électoral et la participation sociale, devra inclure l’ampliation de l’actuelle discussion sur la démocratie, l’émancipation et l’autonomie dans la société sans oublier la Réforme politique et la question du financement public des campagnes électorales.

Notes du traducteur

[1] Pour mieux comprendre ce texte, il est nécessaire d’avoir une idée de la composition de la Chambre des députés. Actuellement, 21 partis y sont représentés. La coalition gouvernementale réunit 14 ʺpartisʺ dont les orientations politiques vont de ce qui correspondrait, en France, au Centre gauche à l’extrême droite incluant l’extrême droite religieuse. Cette coalition est en théorie commandée par le PT (87 députés sur un total de 513). En réalité c’est le second parti, le PMDB (79 députés) qui donne le la. Parmi les autres partis alliés, cités dans ce texte, le Parti Socialiste Brésilien (PSB, 34 sièges) le Parti Communiste du Brésil (PCdoB, 15 sièges) et le Parti Social Chrétien (PSC, 16 sièges), celui du député Feliciano. Les deux principaux partis d’opposition mentionnés, sont le PSDB (53 sièges) et le DEM (43 sièges). Le PSOL (dissidence du PT) n’est lié à aucun de ces deux blocs.

[2] CDHM : Commission des Droits Humains et Minorités

[3] Le STF est le gardien de la Constitution C’est l’instance suprême du système judiciaire.

[4] Le Tribunal Supérieur de Justice (STJ) est le gardien de l’interprétation des lois fédérales.

[5] Le mot portugais ʺbancadasʺ peut être utilisé comme synonyme de parti mais il peut aussi renvoyer au fait que des membres de différents partis – de gouvernement et d’opposition – défendent les mêmes positions sur certains projets de lois et l’expriment dans leur vote. Les deux lobbys les plus actifs sont ceux de l’agro-business et le lobby religieux. Le vote secret facilite ce type d’infidélité à la position officielle des partis dont ils sont issus.

[6] Mensalão. Nom donné par les médias à l’existence d’une caisse noire du PT utilisée pour aider les groupes politiques faisant partie de la base gouvernementale. Ce scandale financier a débouché sur un jugement qui a fait la une des médias pendant tout le deuxième semestre 2012.

[7] Vladimir Safatle, philosophe brésilien, très présent dans les médias.

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