L’incarcération de Lula : Emblème du lawfare à la brésilienne

 | Par Carol Proner

Par Carol Proner
Professeur à l’UFRJ et membre du Comité international de l’Association brésilienne des juristes pour la démocratie

Crédit : Mídia NINJA, 2 mil vozes por Lula Livre - 02/09/2018 - Belo Horizonte (MG)

Il y a un an, Lula était incarcéré. Son arrestation représente la plus grande fraude juridique de l’histoire du Brésil. L’"affaire Lula", une série d’actes criminels contre l’ancien président, est déjà considérée comme un modèle de lawfare contemporain, consistant à utiliser le système judiciaire pour persécuter des dirigeants politiques. Ce phénomène s’est également produit dans d’autres pays, tels que l’Argentine et l’Équateur.

Au Brésil, par action et par omission, le pouvoir judiciaire continue de refuser à Lula le principe pourtant sacré de « présomption d’innocence », le droit primaire d’être présumé innocent jusqu’à ce qu’un tribunal équitable, qui prononce un jugement basé sur des preuves solides, rende une sentence justifiée. Jusqu’à présent, le processus qui a exclu Lula des élections de 2018 et qui l’a maintenu isolé, invisible et dans l’impossibilité de communiquer, dans une prison improvisée de la ville de Curitiba, repose uniquement sur des convictions et des « actes non spécifiés ». Autrement dit, il n’existe aucune preuve concrète car, selon le juge qui l’a déclaré coupable, le crime de corruption est difficile à identifier.

D’un point de vue procédural, consistant à utiliser des thèses étrangères, telles que la thèse de Claus Roxin sur le domaine de fait, Lula a été reconnu coupable sur l’hypothèse qu’il « savait tout », qu’il serait à la tête d’une gigantesque organisation criminelle pour détourner de l’argent des entreprises publiques vers le Parti des travailleurs (PT) et vers lui-même, dans le but d’acheter un appartement, le fameux Triplex de Guarujá. Même sans preuves, les procureurs de Lava Jato, en contact avec la presse hégémonique, diffusent sur les chaînes de télévision un schéma graphique, un power point plaçant Lula au centre d’un complot de corruption systémique : une sorte d’ennemi numéro un de la nation. Cette image répandue, associée aux avancées du conservatisme politique et de la militarisation, a été la stratégie cynique permettant aux élites d’éliminer Lula des élections, dans un complot qui s’est déroulé en Haute Cour et sous la tutelle militaire.

De nombreux secteurs ont réagi à l’instauration d’une peine de prison sans crime. Les juristes pour la démocratie sont notamment venus s’interroger sur le comportement illégal des tribunaux. Ils ont formé des associations, se sont joints à des mouvements sociaux et populaires et ont commencé à remettre en question la légitimité des tribunaux et du parquet chargé de l’opération anti-corruption.

Mais quelque chose ne semblait pas avoir de sens : pourquoi Lula est-il toujours en prison après les élections ?

Pour répondre à cette question, il faut comprendre le mode opératoire de l’Opération Lava Jato. Bien avant que Lula ne soit arrêté, des magistrats et des procureurs ont mis en place le « groupe de travail anti-corruption » et ont commencé à collaborer avec des entités américaines, le ministère de la Justice (DoJ) et la Securities and Exchange Commission (SEC) pour réunir les preuves contre Petrobras. Trois ans plus tard, les éléments réunis appuyaient une épuration des comptes de l’entreprise publique responsable des cas de corruption et une amende de 682,56 millions de dollars. En vertu d’un accord du comité consultatif, 80% de cet argent irait à une fondation de droit privé dirigée par les propres procureurs de Lava Jato et approuvée par un tribunal prédéfini. Cette forme d’affectation de fonds publics n’avait jamais été vue dans le pays.

La découverte de cet accord étonnant révèle les véritables motifs du lawfare au Brésil. Ce schéma d’appropriation de l’argent des sociétés d’État et des entreprises nationales par des « accords de clémence » permet de mieux comprendre pourquoi le juge Sérgio Moro a quitté le pouvoir judiciaire pour devenir ministre de la Justice dans le gouvernement de Jair Bolsonaro, après avoir négocié cette position pendant les élections. Le rôle de Lava Jato dans la destruction de la politique nationale est devenu de plus en plus transparent en touchant les entreprises de secteurs stratégiques tels que la construction et l’énergie et en facilitant les processus de privatisation des entreprises d’État productrices d’énergies électrique et pétrolière. Des éléments matériels prouvent que des agents publiques et des fonctionnaires ont eu accès a des informations et des documents à diffusion restreinte des entreprises brésiliennes et dévoile un stratagème dénoncé par des membres du pouvoir législatif et condamné par le Tribunal fédéral.

Les juristes pour la démocratie veulent croire que les agents de Lava Jato seront tenus pour responsables des crimes commis contre leur pays et de la perturbation économique et politique provoquée. L’emprisonnement politique de Lula, qui reflète l’état de la démocratie et de la souveraineté nationale, est au centre de la compréhension de ce schéma gigantesque d’utilisation politique du droit à des fins géostratégiques et impérialistes, une expérience vécue historiquement par l’Amérique latine, mais qui prend maintenant la forme de coups juridico-médiatiques contre le progressisme et la démocratie.

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