Ce n’est pas la première fois que Mme Lúcia Muria, 72 ans, l’une des aînées du Quilombo dos Machado, situé dans la Grande Sarandi, au nord de Porto Alegre, s’inquiète des conséquences des pluies sur la maison qu’elle habite. En 2013, elle a dû déménager dans une autre rue du quartier Vila Respeito, qui a de nouveau été l’un des plus touchés par les inondations record qui frappent la ville depuis le début du mois de mai. Plus loin du « fossé », près de l’endroit où elle vivait auparavant, Lúcia a été surprise par l’ampleur des inondations : « Je n’ai jamais vu l’eau atteindre un tel niveau », dit-elle.
La partie nord de Porto Alegre, où se trouve le quilombo, est l’une des zones qui a souffert de ces inondations historiques. Il y a des quartiers où toutes les maisons de certaines rues sont submergées. Le week-end dernier, le niveau de l’eau a commencé à baisser, mais avec le retour des fortes pluies dans l’État depuis le vendredi 10 mai, le niveau de la rivière a recommencé à monter.
Dès le mois de mars, MetSul Meteorologia annonçait de fortes précipitations pour les mois d’avril et mai. Le samedi 27 avril, certaines régions ont été touchées par la pluie et la grêle. Le lendemain, la protection civile a recensé des impacts dans 15 municipalités de la métropole.
Vila Respeito, où vivent la majorité des 265 familles du quilombo, a été durement touchée. Selon Rogério Machado, surnommé Jamaica, 43 ans, chef du quilombo, quarante pour cent des familles ont vu leurs maisons endommagées par les eaux et ont dû les quitter. Les habitants ont cherché refuge chez des parents, des amis et des voisins dont les maisons n’ont pas été atteintes, nous dit-il.
C’est exactement la situation dans laquelle se trouvent Lúcia et son mari, Edenir Santos, qui hébergent la famille de leur fils Luismar dans leur salon depuis plus d’une semaine. « Nous avons plusieurs enfants, neveux et petits-enfants qui sont sans abri, hébergés chez des proches, comme ici à la maison », explique Lúcia. Cette famille est l’une des plus grandes du Quilombo dos Machado : Lúcia a 24 petits-enfants et arrière-petits-enfants. Certains de ses enfants et neveux vivent à Vila Respeito et dans la Comunidade Sete de Setembro, où se trouve le siège du quilombo.
L’eau atteignant plus d’un mètre de haut à l’intérieur de la maison familiale, Luismar, maçon, 46 ans, a dû quitter sa maison avec ses filles, Kauane, 19 ans et Raiana, 14 ans, et sa femme, Daiane Patrícia, recycleuse [1] , 36 ans. Le samedi 11 mai, l’inondation s’est retirée et il est retourné chez lui, mais il n’a toujours pas pu évaluer les dégâts subis par la famille. « Tout est mouillé à cause de la pluie. Petit à petit, nous trions les vêtements et les meubles et nous voyons ce que nous pouvons récupérer ».
Tout comme Lucia qui héberge des membres de sa famille, la famille Muria ainsi que plusieurs autres familles de la région, peuvent compter sur le soutien des responsables du Quilombo dos Machado. Depuis les premiers jours de mai, la communauté est un lieu de refuge, de soutien et de résistance pour les quilombolas [2] et pour un grand nombre d’autres sans-abris de la région de Sarandi.
Le territoire, reconnu par la Fondation Palmares [3] en 2014, est en lutte pour obtenir la légalisation des terres qu’elle occupe [4] . Selon l’avocat du Front Quilombola [5] et du Quilombo dos Machado, Onir Araújo, alors que les études techniques (anthropologiques, géographiques, historiques) ont déjà été réalisées, la communauté attend toujours la publication du rapport d’identification technique. (RTDI) permettant de poursuivre le processus de reconnaissance de ses droits à la terre. « En l’absence de prévisions pour l’attribution des titres, les choses vont prendre beaucoup de temps, notamment en raison du manque cruel de personnel à l’Incra [6] », estime l’avocat.
Selon lui, alors que la situation actuelle est très grave, le gouvernement fédéral n’a offert aucune aide au quilombo, ni non plus aux communautés du Rio Grande do Sul légalisées [7]. « Le gouvernement fédéral n’a rien fait à ce jour. Lors de la sécheresse de 2023, qui a durement touché les communautés, il n’y a pas eu d’aide pour les quilombos. C’est la même chose aujourd’hui », souligne Onir.
Photos : Le scénario à Vila Respeito est sombre : de nombreuses maisons sont submergées, le mobilier est détruit, les gens se réfugient chez des amis ou des parents. (Agência Pública)
Dans l’après-midi du samedi 11 mai, le téléphone de Jamaica n’a cessé de sonner en raison des nombreux messages qu’il recevait. Il s’agissait de demandes d’aide ou d’informations sur les dons au quilombo. Depuis le premier week-end de mai, le siège du Front quilombola a été la base de soutien aux membres de la communauté affectés par ces inondations, aux sans-abris de Vila Respeito et à plusieurs autres villages de la région de Sarandi, tels que Dique, Nazaré, União et Nova Brasília.
Le siège du quilombo a servi de point de distribution de plats cuisinés [8], de paniers alimentaires [9] , de matelas, de produits d’entretien et d’eau potable. Outre les produits de première nécessité, le quilombo a également servi à guider les personnes perdues, qui n’ont reçu que peu de soutien ou d’informations de la part de la mairie de Porto Alegre ou du gouvernement de l’État du Rio Grande do Sul.
« Le quilombo remplit une fonction d’existence, de résistance et de survie », explique Jamaica. "Nous faisons cet effort pour nous soutenir mutuellement en tant que frères et sœurs, en tant que famille. Il s’agit de vivre selon les valeurs du quilombo : « nous, pour nous et avec nous », parce qu’il est difficile de pouvoir compter sur des organismes qui ne sont guère compétents, qui sont même vraiment incompétents", explique-t-il.
Selon Jamaica, la plupart des dons qui arrivent proviennent de collectifs, de mouvements sociaux, du mouvement noir, de syndicats, d’autres quilombos - Família Silva et Kédi - et de réseaux sociaux. Continuellement, des voitures arrivent, apportant des couvertures, de l’eau potable, des boîtes de plats cuisinés, des aliments, des médicaments, des bâches, des imperméables, etc.
« Le gouvernement du Rio Grande do Sul et la mairie de Porto Alegre nous ont aidés pour l’évacuation. Ils nous envoient quelques paniers de nourriture, parce que nous sommes un quilombo et qu’il s’agit d’un problème humanitaire. Mais nous n’avons rien reçu de significatif pour soutenir notre communauté et répondre aux demandes des personnes qui viennent ici », déclare Jamaica.
Photo. Le quartier général du quilombo dispose d’un point de distribution de paniers repas, de produits alimentaires, de produits de nettoyage et d’eau potable.
La peur d’une rupture de barrage effraie les quilombolas
L’épuisement se lit sur le visage de Jamaica, de sa femme Tamires Machado, 34 ans et des femmes et des hommes qui sont en première ligne à la base de soutien. Ce travail représente déjà une dizaine de jours d’attention, de pressions et de soins constants à diverses personnes en situation d’extrême vulnérabilité.
En ce moment, notre équipe se concentre sur la gestion de la réception et de la distribution des dons. Mais il y a deux ou trois jours, ces personnes étaient extrêmement tendues et préoccupées en raison de la possibilité que l’inondation atteigne le siège du Quilombo.
Le dimanche 5 mai, l’information selon laquelle le barrage du quartier Sarandi s’était rompu, a été rapidement diffusée par les groupes de WhatApp, ce qui a créé une grande confusion chez les agents de la circulation et les policiers se trouvant proches de la digue. Les recommandations de la mairie de Porto Alegre étaient que les gens devaient évacuer la zone nord. Ceci a provoqué un mouvement de panique parmi la population. En réalité il s’agissait d’une fausse alerte.
En peu de temps, des dizaines de voitures de volontaires sont arrivées au quilombo à la suite de cet appel à l’évacuation en urgence. À ce moment-là, le niveau de pression sur Jamaica est monté en flèche. Il se demandait s’il devait ou non organiser l’évacuation du quilombo qui est maintenant une base de soutien pour des centaines de familles. Après quelques minutes de pleurs et de mouvements en tous sens, une nouvelle information est tombée : l’eau avait bien ouvert une brèche dans la digue, mais ne l’avait pas détruite. L’atmosphère s’est calmée et l’option d’une évacuation a été réévaluée.
Assistance à l’intérieur et à l’extérieur du quilombo
Le siège du Quilombo dos Machado est devenu une base et un point de soutien et de distribution de nourriture. Il y a une semaine, António Costa, 40 ans, habitant de Vila Respeito et propriétaire d’une cafétéria qui vend des snacks salés devant les commerces du quartier de Sarandi, récupère des paniers-repas qu’il apporte en moto à deux employées hébergées par des proches dans la ville d’Alvorada.
La difficulté d’approvisionnement en eau potable - introuvable sur les marchés et chez les distributeurs et qui est l’un des éléments prioritaires pour les dons – a provoqué une crise pendant les inondations. Les trois premiers jours de la semaine dernière, 70% des foyers de la ville se sont retrouvé sans eau courante.
Photo. Après plusieurs jours sans eau, voici l’état du liquide qui sort des robinets du Quilombo dos Machado.
La distribution de paniers-repas et d’eau pour le déjeuner et le dîner arrive jusqu’à certaines personnes qui sont toujours bloquées à Vila Respeito. Au moins deux fois par jour, Artemis da Silva, 40 ans et Richard Schmitt, 31 ans, résidents de la Comunidade Sete de Setembro, qui disposent d’un canot, quittent la base du Quilombo dos Machado pour apporter de la nourriture aux personnes qui n’ont aucun moyen de s’en procurer.
« Nous faisons tout ce que nous pouvons. Ils me demandent de payer en utilisant le système Pix[[Pix. Sûre, simple, pratique, rapide et gratuite, cette application de paiement, créée par la Banque Centrale du Brasil, est utilisée massivement depuis 2022. Pour plus d’information voir Blog Brésil. Je pixe, tu pixes… tout le Brésil pixe !]. Je ne dispose pas de ce mode de paiement, mais nous, nous avons de la nourriture, un matelas, des vêtements. Nous nous entraidons. C’est un vrai sentiment de famille », dit Richard, qui a fêté son anniversaire le 6 mai avec quelques amis au siège du quilombo, entre deux demandes.
La communauté est consciente que les défis ne font que commencer. Lorsque les eaux se seront retirées, il sera possible de constater l’étendue des dégâts à l’intérieur des maisons. La reconstruction, même s’il n’est pas encore possible de prédire quand elle commencera, prendra du temps et nécessitera que le groupe de travail et l’organisation autonome continuent leurs activités.