Le statut de plus en plus controversé des analyses en termes de « classe sociale » au sein de la sociologie européenne de la fin du XXe siècle fait l’objet de vives discussions dans différentes branches des sciences sociales contemporaines. Soumettant à un nouvel examen la thèse d’une société sans classes où les clivages liés au genre ou à l’ethnie auraient pris le dessus (Chauvel 1999 ; Chopart & Martin 2004), certains ont étudié l’effondrement de la conception de classe dans un registre marxiste (Dubar 2003). D’autres ont plutôt interprété le discrédit attribué à la sociologie des classes comme l’envers du décor des analyses postmodernistes radicales, dont l’opposition aux déterminismes et aux classes cacherait mal la revendication de l’inépuisable singularité présumée de l’individu (Pinto 2006).
Dans ce scénario de contestation internationale, l’un des paradoxes les plus intéressants de la sociologie brésilienne est sans doute l’importance qu’elle a toujours plus ou moins accordée aux analyses en termes de classe (Guimarães 1999), souvent d’une manière théorique et avec relativement peu de travaux empiriques (par comparaison avec des sujets comme le genre ou les « relations raciales »). Il existe ainsi de nombreux travaux sociologiques et anthropologiques sur des groupes sociaux décrits à partir d’études localisées, comme les paysans, les ouvriers, les grands propriétaires, les militaires, etc. On trouve également des études théoriques, souvent à base économique, sur les classes sociales perçues comme des strates de revenus ou bien, dans un autre domaine, comme des « agents politiques » (le « prolétariat », le « grand capitalisme », etc.). Toutefois les études empiriques, et surtout ethnographiques, permettant de décrire les groupes et leurs relations sont moins nombreuses que ce que l’on pourrait penser.
L’un des aspects du paradoxe est justement que le Brésil est un modèle parfait de société de classes dans laquelle, pour le dire d’une manière abrupte, pratiquement tout repose sur des divisions de classe. Ce décalage s’explique sans doute en partie par le fonctionnement de la sociologie elle-même, qui a facilement tendance à s’orienter vers des questions alimentées par l’actualité, la politique ou les media. Les effets concrets de cette situation sont, quoi qu’il en soit, assez évidents si l’on prend le point de vue d’un jeune chercheur intéressé par l’étude de la structure sociale : il lui faudra explorer la littérature existante, s’y repérer et s’en satisfaire.
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