L’entreprise Vale a dicté les règles qui simplifiaient la délivrance de permis environnementaux au Minas Gerais

 | Par Maurício Angelo

Des directeurs de la société minière se sont secrètement réunis avec des représentants du gouvernement de l’état du Minas Gerais, au Brésil, afin d’obtenir des changements dans le processus de concession des autorisations, selon les enregistrements obtenus par Reporter Brasil. Les suggestions furent adoptées trois ans plus tard par le gouvernement de l’état du Minas Gerais.

Traduction : Jean Saint-Dizier pour Autres Brésils
Relecture : Luc ALDON

Lors d’une réunion à huis-clos, des directeurs de la multinationale Vale ont négocié avec des fonctionnaires publics du gouvernement de l’état du Minas Gerais, Sud-Est du Brésil, les règles qui régissent la délivrance des permis environnementaux dans cet état, afin de les simplifier et de les accélérer. C’est ce que révèlent les enregistrements audios et les documents obtenus en exclusivité par Repórter Brasil. Les suggestions proposées par les employés de l’entreprise minière, à l’occasion de cette réunion qui eut lieu en octobre 2014, furent adoptées trois ans plus tard, lorsque le gouvernement du Minas Gerais, alors aux mains de Fernando Pimentel (Parti des Travailleurs), simplifia les règles de délivrance du permis environnemental dans cet état.

La nouvelle norme a affaibli l’audit des chantiers et accéléré l’autorisation d’exploitation de la mine de Córrego do Feijão, dont le barrage a rompu le 25 janvier en laissant derrière lui au moins 176 victimes et 134 disparus à Brumadinho (état du Minas Gerais).

La réunion secrète a eu lieu au siège du Secrétariat d’État à l’environnement et au développement durable de Minas Gerais (Semad), à Belo Horizonte, pendant le mandat de l’ex-gouverneur Alberto Pinto Coelho (Parti Populaire Socialiste), qui était entré en fonction en lieu et place d’Antonio Anastasia (Parti de la Social-Démocratie Brésilienne ). Quatre représentants de la multinationale et au moins deux fonctionnaires de l’état participèrent à cette réunion. La présence de représentants de la Vale dans ce groupe va à l’encontre de la propre norme interne du secrétariat d’État.

Responsables du contrôle et de la régulation du secteur, les fonctionnaires ont écouté pendant trois heures les suggestions de la société minière, dans un climat amical et sans remettre en question les risques que pouvaient apporter des changements dans la législation.

Après une heure de réunion, la directrice de l’environnement de la Vale, Gleuza Jesué, a suggéré que le processus de délivrance du permis, qui dans certains cas peut se faire en trois étapes, “pourrait se transformer en une seule et unique étape”, ce que le gouvernement de l’État a, en effet,complaisamment accepté. Les exigences de l’entreprise se succèdent dans la discussion jusqu’à ce que le sous-secrétaire de la gestion et de la régularisation environnementale globale du gouvernement, André Luiz Ruas, ne réponde : “Si c’est possible ? Tout est possible. Une loi qui ne change pas est une mauvaise loi” (voir la fin des enregistrements en portugais).

Le procès-verbal de la réunion, obtenu par Repórter Brasil, confirme la teneur des conversations, et enregistrant la présentation faite par l’équipe de la société minière “sur le système actuel de régularisation environnemental, exposant les difficultés rencontrées et offrant sa contribution dans un but d’amélioration”.

Le Secrétariat de l’état se contredit

Outre le fait de révéler la proximité entre l’entreprise minière et les responsables de sa surveillance, la réunion montre que les fonctionnaires du gouvernement ont violé la norme interne qui détermine que les groupes de travail mis en place pour discuter de nouvelles règles dans le processus des autorisations, doivent être composés “exclusivement d’agents de l’État”, selon la note de la Semad envoyée à Repórter Brasil.

Interrogé sur l’éventuelle participation de membres de la Vale à certaines réunions ayant eu lieu dans les locaux de l’institution publique en 2014, le service de communication de la Semad a répondu par la négative.

Néanmoins, suite aux révélations des enregistrements et des procès-verbaux de la réunion, le secrétariat est revenu en arrière et a reconnu la présence de représentants de la Vale, qui auraient été “invités par un des membres du groupe de travail” afin de présenter une étude qui rendait compte des modèles canadiens et australiens, en terme de délivrance de permis. “La Vale n’a donc pas intégré le groupe de travail en question, mais n’a fait que réaliser une présentation pour les membres de ce groupe”, conclut le communiqué.

Le communiqué signale aussi que les groupes de travail ont bénéficié des contributions d’autres organismes et entités de l’administration publique et de la société civile. “Nous affirmons donc que cette réunion (avec la Vale) n’a pas servi de référence à l’édition des normes qui ont suivi”. Lire ici l’intégralité de la réponse (en portugais).

Maria Tereza Corujo, qui participe fréquemment à ce type de réunion à la Semad affirme qu’en 2014, la société civile n’a été conviée à aucun moment pour discuter de changements dans la législation. Elle fut l’unique conseillère du Conseil d’État de la Politique Environnementale (Copam), à voter contre l’autorisation des chantiers du barrage de Córrego do Feijão. “Nous avons toujours dénoncé la promiscuité excessive entre l’État et les représentants des secteurs économiques, principalement les sociétés minières”, conclut-elle après avoir pris connaissance des enregistrements.

“Il est pour le moins étrange qu’un groupe de travail organisé exclusivement pour les agents de l’État, dans le but discuter de choses de si importantes que la régularisation environnementale, ait pu être ouvert aux représentants des entreprises”, affirme Bruno Milanez, titulaire d’un doctorat en politique environnementale et professeur à l’Université Fédérale de Juiz de Fora (UFJF). Milanez soutient que ce n’est pas la première fois que la Vale interfère directement dans la politique. En 2015, par exemple, le Code d’Exploitation Minière fut rédigé avec l’aide d’avocats de la société minière.

Une directrice de la Vale a suggéré au gouvernement du Minas Gerais, en 2014, de simplifier le processus d’autorisation environnemental (Photo : Ricardo Lanza/Repórter Brasil)

Outre la directrice exécutive Gleuza Jesué, l’actuel secrétaire de l’Environnement du Minas Gerais, Germano Vieira Lopes était aussi présent à cette réunion. Fonctionnaire de carrière, admis sur concours public en 2012, Germano Lopes a rapidement gravi les échelons de la Semad, jusqu’au sommet de l’institution, en novembre 2017. Il fut le seul secrétaire du premier échelon du gouvernement du Minas Gerais, nommé par Pimentel, a conserver ses fonctions après l’arrivée au pouvoir de Romeu Zema (Parti Novo).

À l’époque de la réunion, Lopes était le chef de cabinet du secrétaire et coordinateur du groupe de travail. À la fin de la réunion, il remercia de leur présence l’équipe de la Vale et dit que le secrétariat allait “établir les critères et les macros directives” afin qu’ils puissent reprendre la discussion l’année prochaine (2015) “sur une bonne base de travail pour continuer à avancer”.
C’est Germano, alors au poste de secrétaire, qui signa la norme de décembre 2017, qui altéra les critères de risques de certains barrages, et qui autorisa la réductions des étapes de délivrance du permis environnemental de l’État, comme l’a révélé Repórter Brasil le jour suivant le désastre de la Vale à Brumadinho. Avant cette mesure, les dossiers d’impacts environnementaux significatifs dans l’État passaient toujours par trois phases d’approbation : Autorisation préalable, Autorisation d’exploitation et Autorisation d’installation. Grâce aux nouveaux critères de risques, plus flexibles, les trois autorisations sont délivrées en même temps.

L’actuel secrétaire de l’Environnement de l’état du Minas Gerais, Germano Vieira a participé à la réunion avec la Vale en 2014 (Photo : Janice Drumond/Semad)

À l’époque, le gouvernement de Minas Gerais avait annoncé que les changements représentaient une “grande avancée pour la législation environnementale mineira[ Du Minas Gerais]”. Dans un communiqué envoyé aujourd’hui (22 février) à Repórter Brasil, le gouvernement affirme qu’il “ignore les suggestions faites par la Vale en cette occasion, puisqu’il s’agit d’une réunion ayant eu lieu en 2014” , et précise que le groupe en question était issu de la précédente gestion. Lire ici le communiqué dans son intégralité (en portugais).

La Vale confirme la participation de ses employés à la réunion au siège du secrétariat, mais précise qu’ils ne faisaient pas partie du groupe de travail. “Ses représentants ont juste été conviés à cette réunion, tout comme de nombreux autres représentants d’entreprises, dans le but de collaborer aux discussions techniques”, dans un communiqué envoyé à Repórter Brasil.

Suite au changement, les permis environnementaux se sont multipliés au Minas Gerais. De janvier à août 2018, une moyenne de 15 autorisations par jour ont été délivrées, alors qu’il n’y en avait que quatre auparavant. Tout peut être rediscuté

Voici trois moments de la réunion à huis clos entre les directeurs exécutifs de la Vale et les agents du service publics du Secrétariat à l’Environnement de l`état du Minas Gerais — organe responsable de la surveillance et de la régulation de l’activité de la société minière.

(en portugais)
À la 51e minute de lenregistrement de la réunion, la directrice exécutive de l’environnement de la Vale, Gleuza Jesué, suggère que le processus d’autorisation, qui dans certains cas se fait en trois étapes, “pourrait devenir une autorisation unique”. Autrement dit, en une seule étape.

(en portugais)
Quelques minutes plus tard, André Luís Ruas, du gouvernement mineiro, précise que dans certains cas d’augmentation de la production et des rejets miniers, il faut une nouvelle autorisation. Jesué, da Vale, demande alors si ce principe peut être rediscuté. “À vrai dire tout peut être rediscuté”, répond Ruas.

(en portugais)
La représentante de la Vale continue, suggérant une altération à la loi, qui offrirait à la société minière la possibilité de s’engager par une déclaration de responsabilité et ajoute qu’elle n’attend pas de réponse immédiate. Ruas répond : “Si c’est possible ? Tout est possible. Une loi qui ne change pas est une mauvaise loi”.

NOTE DE LA RÉDACTION de Reporter Brasil : Le reportage a été modifié à 19h15 pour y inclure l’information suivante : la réunion entre les représentants de la Vale et les fonctionnaires de la Semad, d’octobre 2014, a eu lieu pendant la gestion de l’ex-gouverneur mineiro Alberto Pinto Coelho (PPS), qui avait remplacé Antonio Anastasia (PSDB).

Voir en ligne : Reporter Brasil

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