L’éducation publique sous le feu d’artillerie lourde

 | Par Cleo Manhas

Avec la Proposition d’amendements constitutionnels (PEC) du Pacte fédératif, le gouvernement promet des fonds et l’autonomie aux états et aux municipalités, mais ne fait qu’aggraver les reculs : il démantèle le budget des politiques éducatives et abolit les programmes qui combattent les inégalités en éducation.

Par Cleo Manhas, publié initialement dans INESC (Institut d’études socio-économiques)
Publié le 22/11/2019 à 16h26
Traduction pour Autres Brésils : Du DUFFLES
Relecture : Philippe ALDON

Photo : Igor Matias/ NINJA

Le démantèlement des politiques publiques garantes des droits s’inscrit dans une attaque néolibérale contre l’État, comme en témoigne l’approbation de l’amendement constitutionnel en ce qui concerne le plafond des dépenses et, plus récemment, la proposition d’amendement constitutionnel nommée PEC du Pacte fédératif [1]. En plus des manifestations publiques quotidiennes contre les droits humains, la science et la pensée critique, organisées par des responsables gouvernementaux.

En matière de politique éducative, l’intensité de l’attaque est notoire : les propositions telles que « l’école sans parti », en réaction à ce qu’ils appellent « l’idéologie du genre » et l’imposition de la militarisation des écoles en sont les exemples les plus connus. Dans le domaine budgétaire, il y a eu des attaques par le biais de contingentements et de retraits de moyens, comme le propose le projet Future-se, présenté aux universités comme une panacée, mais qui est, en fait, un moyen de permettre aux organisations sociales de gérer les universités publiques, avec les ressources provenant du marché. Une autre évidence du démantèlement de l’éducation est la proposition de fusionner les organismes de financement Capes et CNPQ, qui seraient sous la responsabilité directe de la Présidence de la République et non plus du ministère de l’Éducation ou du ministère des Sciences et des Technologies, créant ainsi une énorme anomalie pour le système.

L’attaque la plus récente est venue de la Proposition d’amendement constitutionnel (PEC) 188/2019, appelée la PEC du Pacte fédératif, qui propose, entre autres, l’unification des budgets de la santé et de l’éducation. Aujourd’hui, les états consacrent au moins 12 % de leurs recettes courantes nettes à la santé (somme des recettes fiscales, des contributions foncières, industrielles, agricoles et de services, des contributions courantes, entre autres - moins ce qui reste aux états et municipalités par détermination constitutionnelle) et 25 % à l’éducation. Dans le cas des municipalités, les pourcentages sont respectivement de 15 % et 25 %. La PEC totalise les pourcentages (40%) de sorte qu’un maire pourra, par exemple, affecter 20% à la santé et l’autre 20% à l’éducation. La proposition provoquera un conflit de ressources entre ces domaines, les affaiblissant.

Avant d’en analyser les conséquences, rappelons comment nous en sommes arrivés au cadre actuel des politiques publiques en matière d’éducation :

Chronologie de l’éducation

Avec la Constitution de 1988, l’éducation est devenue un droit pour tous et un devoir de l’État, qui dorénavant était obligé d’assurer la scolarisation dès la petite enfance jusqu’au lycée, l’éducation de base. Cette loi a été progressivement incorporée, en 1988, dans le texte constitutionnel, puis complétée par la Loi des directives et de bases de l’Éducation nationale de 1966 et, plus tard, par l’amendement constitutionnel 59 de 2009.

Pour mesurer l’importance du texte constitutionnel, qui subit la plus forte attaque depuis son approbation, suivez le cheminement, ci-dessous, du droit à l’éducation dans l’histoire du Brésil.

  1. 1) Jusqu’en 1930, l’éducation qui allait au-delà de l’alphabétisation était réservée à peu de gens. La majorité de la population ne suivait un apprentissage que pour aller travailler à l’usine et aux champs.
  1. 2) A partir de 1930, ce qui relevait de la seule responsabilité des états est désormais centralisé par le gouvernement fédéral, qui crée le ministère de l’Éducation et de la Santé publique, avec des fonds spécifiques pour ces domaines. Malgré ces progrès, l’enseignement public et gratuit n’atteint pas les masses de travailleurs et reste très en deçà de ce qui est offert aux élites.
  1. 3) Dans les années 1950, près de la moitié de la population âgée de plus de 15 ans se déclarait analphabète et seulement 15 % des inscrits terminaient la première année du primaire.
  1. 4) Pendant la dictature militaire, l’éducation était axée sur la professionnalisation et le productivisme, l’école devenant un instrument de restriction de la pensée et de renforcement des idées des militaires au pouvoir. L’enseignement de la philosophie fut interdit et naît, à sa place, l’éducation « morale et civique ». De même, la géographie et l’histoire ont été remplacées par les « études sociales ». L’obligation de transférer des fonds du niveau fédéral aux états n’est pas pérenne et les moyens vont diminuant, passant de 7,6% en 1970 à 5% en 1978.
  1. 5) La Constitution de 1988 (CF/88) a fait de l’éducation un droit social et non plus une aide d’État. Et, sous la pression populaire, notamment des mouvements féministes, l’étape de l’éducation de la petite enfance (crèche et maternelle) a été reconnue.
  1. 6) Le document CF/88, dans ses dispositions transitoires, obligeait l’État à universaliser l’éducation et à éliminer l’analphabétisme dans les 10 ans.
  1. 7) D’où les lois infra-constitutionnelles qui ont changé la réalité de l’éducation brésilienne : le Statut de l’Enfant et de l’Adolescent en 1990 et la Loi des directives et de bases de l’Éducation nationale en 1996.
  1. 8) Dans la décennie 1980, le taux d’analphabétisme (selon l’Institut brésilien de géographie et de statistiques -IBGE) était de 25,9% ; il est aujourd’hui de 6,8%.

Comme l’on peut constater, après la promulgation de la Constitution de 1988, le pays a parcouru un long chemin sur le plan de l’éducation, même avec plusieurs écarts de qualité ou d’accès par rapport à la race et à la région, en particulier le rapport ville/campagne. C’est à partir de ce moment-là que même les différences ont été reconnues, comme l’importance de l’éducation autochtone, par exemple, en assurant une meilleure réflexion sur l’offre d’une éducation multiforme.

Cependant, cette voie n’a jamais été aussi menacée qu’aujourd’hui, dans son ensemble, tant en ce qui concerne les modèles éducatifs proposés que les ressources budgétaires allouées à sa politique.

La PEC du Pacte fédératif et le différend budgétaire entre éducation et santé
Le PEC du Pacte Fédératif, en plus de proposer la jonction des budgets, qui favorisera un conflit entre des domaines essentiels pour la population, tels que la santé et l’éducation, ouvre la voie au déliement des ressources en flexibilisant leur utilisation.

Prenons l’exemple du Salaire-Education [2]

Actuellement perçue par l’Union et transféré aux états et aux municipalités, le Salaire-Education peut, selon la proposition, être intégralement transféré, ne laissant rien à l’Union, ou mieux, au Fonds national pour le développement éducatif (FNDE). Le Fonds est essentiel pour atténuer les inégalités régionales, grâce à des programmes financés en partie par les ressources du Salaire-éducation.

Il s’agit du Programme National du Livre et du Matériel Didactique (PNLD), distribué jusqu’en 2018 à toutes les municipalités ; du Programme National d’Alimentation Scolaire (PNAE), assurant une alimentation scolaire équilibrée et de qualité ; du Programme National de Transport Scolaire (PNATE), qui est complémentaire à celui des municipalités qui y ont accès, avec des standards minimum de sécurité et confort pour enfants et adolescents ; et du Programme Argent direct à l’école (PDDE), qui vise à aider les écoles à résoudre des problèmes structurels, voire à construire des espaces de sport ou des bibliothèques avec ces ressources, sans bureaucratie, qui plus est suivies par les conseils d’école, assurant la participation dans la façon dont elles sont utilisées.

En fin de première quinzaine de novembre 2019, ce qui avait été exécuté, y compris les reliquats à payer, s’élevait à un montant de 6,07 milliards de R$, comme l’indique le tableau 1, qui retrace le budget de ces programmes gérés par le FNDE, d’une manière centralisée, assurant un traitement équitable entre les différentes entités fédérales.

La promesse du ministère de l’Économie en vue du pacte fédéral est que les états et les municipalités disposeraient d’environ 9 milliards de R$ de plus dans leurs budgets. Toutefois, lorsque l’on regarde la somme de cette contribution, les chiffres ne correspondent pas, comme le montre le tableau 2, car ce qui restait pour l’Union était un total de 6,9 milliards R$. Et ce qu’il faut, c’est mettre fin au plafond des dépenses et non au FNDE et à ses politiques importantes pour atténuer les inégalités régionales.

L’une des innovations de la Constitution de 1988 était de prévoir que le budget public aurait pour fonction de réduire les inégalités, tandis que la PEC du Pacte fédératif veut faire disparaître ce principe. En ce qui concerne l’éducation de base, depuis les premiers mois de ce gouvernement, les transferts complémentaires aux politiques telles que l’éducation globale, se réduisent. Et maintenant, ils expriment clairement l’intention de ne plus contribuer financièrement pour assurer l’équité. La proposition supprime également l’obligation pour le gouvernement fédéral de créer des places dans les écoles où il y a pénurie. Ce que dit la CF/88 : le gouvernement est obligé d’investir principalement dans l’expansion de son réseau d’éducation lorsqu’il y a un manque de places dans les écoles publiques et de cours réguliers dans le système scolaire public dans une localité. Toutefois, si la proposition passe, cette obligation sera retirée, ce qui laisse penser qu’en cas de manque de places, c’est aux étudiants de résoudre le problème par leurs propres moyens. Le gouvernement prétend qu’il existe la possibilité d’accéder à des bourses d’études dans le réseau privé. Et ce qui se cache peut-être derrière cette mesure, c’est peut-être le fait de favoriser l’enseignement privé au détriment de l’enseignement public.

Un autre facteur aggravant est que le rapporteur en la matière, le sénateur Márcio Bittar (Mouvement Démocratique Brésilien/Acre), veut approfondir encore davantage le démantèlement du budget, en affirmant, qu’étant « super libéral », il va ajouter au budget santé et éducation les dépenses des retraités et pensionnés, réduisant considérablement les montants affectés à ces politiques, accentuant ainsi la crise qui est déjà installée.

Par conséquent, ce qui s’en vient est un recul de plus de 30 ans dans les politiques publiques garanties des droits dans le pays. La réforme des retraites et les modifications de la Loi générale du travail (CLT) ont déjà été approuvées et, si la PEC du Pacte fédératif est confirmée, ce sera la dégringolade. La mobilisation est indispensable pour faire obstacle et empêcher cette perte de droits.

Voir en ligne : Outras Palavras

[1Le pacte fédératif est l’ensemble des dispositions constitutionnelles qui définissent le cadre juridique, les obligations financières, la collecte des ressources et les domaines d’action des entités fédérales ; en outre, le Pacte fédératif concerne la manière dont les recettes fiscales sont réparties entre les états et les municipalités.

[2Le Salaire-Education est une contribution sociale prévue par la Constitution comme une source supplémentaire de financement pour toute l’éducation de base publique. La cotisation est calculée sur la base du taux de 2,5 % sur la valeur totale des rémunérations versées ou créditées par les entreprises.

Suivez-nous

Newsletter

Abonnez-vous à la Newletter d’Autres Brésils
>
Entrez votre adresse mail ci-dessous pour vous abonner à notre lettre d’information.
Vous-pouvez vous désinscrire à tout moment envoyant un email à l’adresse suivante : sympa@listes.autresbresils.net, en précisant en sujet : unsubscribe infolettre.

La dernière newsletter

>>> Autres Brésils vous remercie chaleureusement !

Réseaux sociaux

Flux RSS

Abonnez-vous au flux RSS